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La Pâque des Juifs approchait. Jésus monta à Jérusalem. Il trouva dans le Temple les marchands de bœufs, de brebis et de pigeons et les changeurs assis à leurs comptoirs. Se faisant un fouet de cordes, il les chassa tous du Temple, avec leurs brebis et leurs bœufs ; il dispersa la monnaie des changeurs, renversa leurs tables et dit aux vendeurs de pigeons : « Otez cela d’ici. Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce. » Un mot de l’Ecriture revint à la mémoire de ses disciples : Le zèle pour ta maison me dévorera. Alors les Juifs intervinrent et lui dirent : « Quel signe nous montres-tu pour agir ainsi ? » Jésus leur répondit : « Détruisez ce sanctuaire ; en trois jours je le relèverai. » Les Juifs lui répliquèrent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire et toi, tu le relèveras en trois jours ? » Mais lui parlait du sanctuaire de son corps. Aussi, quand Jésus ressuscita d’entre les morts, se disciples, se rappelant qu’il avait tenu ce propos, crurent-ils à l’Ecriture et à la parole qu’il avait dite. Durant le séjour qu’il fit à Jérusalem pour la Pâque, beaucoup crurent en son nom, à la vue des signes qu’il accomplissait. Mais Jésus ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous, et qu’il n’avait besoin d’être renseigné sur personne : lui savait ce qu’il y a dans l’homme. |
Essayons de déterminer astronomiquement la date exacte, en calendrier julien, de cette Pâque de l’an 30.
Il s’agit de trouver la lunaison survenue au moment de l’équinoxe de printemps.
L’équinoxe de printemps, en 30, tomba le 22 mars à 22 h 36 en temps universel (http://www.imcce.fr/fr/grandpublic/temps/saisons.php). Mais il faut ajouter 2 h 20, pour apprécier l’heure locale, à la longitude de Jérusalem. L’équinoxe fut donc sensible à Jérusalem, le 23 mars à 0 h 56.
La néoménie (nouvelle lune) survint le 22 mars 30 à 17 h 28 en temps universel (http://www.imcce.fr/fr/grandpublic/phenomenes/phases_lune/index.php), soit ce même jour à 19 h 48 à Jérusalem. Mais le premier croissant de lune ne fut visible à Jérusalem que le lendemain (julien) 23 mars. Ce fut le 1er Nisan des juifs. La Pâque, le 14 Nisan, est donc à dater du 5 avril 30 dans notre calendrier (qui fut julien, je le rappelle, jusqu’en 1582). Ce 5 avril était un mercredi. Au passage, on remarque que le 14 Nisan de cette année-là ne put donc pas être celui de la mort du Christ, comme il est pourtant admis communément, par exemple par la Bible de Jérusalem, ou encore par feu le Père Raymond Brown. Le 14 Nisan de la mort du Christ advint, en effet, comme chacun sait, un vendredi. Mais on y reviendra.
Jésus, donc, monte à Jérusalem, peu avant la Pâque. Il est accompagné de quelques disciples. Colère du Nouveau Messie. Ou plus exactement du Messie nouvellement proclamé au bord du Jourdain, déjà reconnu de quelques fidèles – et par Jean-Baptiste toujours en activité, ce qui n’est pas rien - et de plus auréolé de sa gloire naissante, acquise, comme malgré lui, mais grâce à sa mère, à Cana. Car les nouvelles volent vite, même si c’est de bouche à oreille, et sans radio ni télévision.
Colère du nouveau Messie ! Sainte colère de l’Agneau !
Ce Temple de Jérusalem, il le visitait chaque année, en tant que pèlerin anonyme, mêlé à la foule. Et chaque fois, il serrait les poings, en voyant le trafic éhonté qui le déshonorait, avec l’accord tacite des prêtres et des chefs des prêtres, mais illégalement et contre la Torah. Il se l’était bien promis, depuis son adolescence : je le purgerai quand mon temps sera venu. « Quand je serai le maître ! » menaçait le jeune Louis XIV.
Alors il n’y tient plus. Il saisit un faisceau de grosses cordes qui traînait par là, et frappe à coups redoublés sur l’échine des juifs, ses frères de race. Il bouscule du genou et de la main les tables des marchands, il chasse les animaux qui s’affolent. Belle cohue sur l’esplanade du Temple ! Raoust ! Tout le monde hors d’ici ! Et n’y revenez pas, ou je recommence !
Le pape Benoît XVI, partisan de la non-violence, est bien embarrassé, deux mille ans après, pour commenter cette page d’évangile. Il voudrait bien la supprimer. Mais impossible : il faudrait truquer tous les manuscrits !
« Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce. » (Jn 2, 16). Car ce commerce était strictement interdit. Il ne faudrait pas faire du Christ, à cette occasion, un révolutionnaire qui voudrait renverser l’ordre établi, supprimer de surcroît le commerce. Bien au contraire, c’est une opération de police, de maintien de l’ordre, que le Christ diligenta. Il le faisait en tant qu’héritier des rois d’Israël, souverain légitime donc, même si non reconnu ; en tant que Messie proclamé (au moins devant quelques témoins), mais plus encore à titre de simple juif pratiquant et adulte. Car il ne faisait que respecter la Torah, que les prêtres eux-mêmes bafouaient. Il était dans son droit le plus strict, non seulement aux yeux de Dieu, et de sa conscience, bien sûr, mais aussi aux yeux des hommes et du droit positif juif. Il agissait au nom de la Loi, les responsables étant défaillants, ou même traîtres. Devant un tribunal, il était innocent, au-dessus de toute condamnation. Et on ne le traduira pas pour ça.
Les parvis du Temple, en effet, étaient considérés comme une réalité sainte par la Torah. Ils faisaient partie du Temple lui-même.
Petitfils nous apprend que c’est en cette même année 30 que les grands prêtres Anne et Caïphe décidèrent de transférer le Hanuth, le marché de la viande, du mont des Oliviers où il se tenait naguère, sur l’esplanade du Temple. « Il s’agissait de faire main basse sur les profits et les boutiques », en faisant payer sans doute une redevance. C’est contre cette innovation que s’élevait Jésus avec zèle. Cette même année 30, d’ailleurs, selon une tradition talmudique, 40 ans avant la destruction du Temple, le Sanhédrin avait été privé par l’occupant romain de son droit de mettre quelqu’un à mort.
« Le zèle pour ta maison me dévorera » (Jn 2, 17) pensent les disciples. Il ne faudrait surtout pas croire, en effet, que Jésus était mû par la haine du Temple ! Comme s’il entendait symboliquement le détruire ! Quel contresens sur la mentalité de Jésus ! Jésus tenait au Temple comme à la prunelle de ses yeux. C’était la maison de son Père, maison connue et fréquentée depuis l’âge de 12 ans. Comme tout bon juif, il plaçait Jérusalem, et son Temple, tout au sommet de son cœur. Il priait tourné vers elle et vers lui. Le Temple, c’était le trône de Yahvé, et par conséquent son propre trône. Tout en sachant bien qu’une religion en Esprit allait supplanter une religion extérieure et matérielle. Mais ce n’est pas lui qui détruirait le Temple, ce seraient les païens. Ce n’est pas lui qui rejetterait son peuple, ou la religion de son peuple, mais plutôt ces derniers qui le rejetteraient lui-même, tout en accomplissant un dessein providentiel, en vue d’une réconciliation future.
« Quel signe nous montres-tu pour agir ainsi ? » (Jn 2, 18). Point capital pour l’intelligence du récit. Seul reproche que lui font les juifs, c’est-à-dire les autorités : une déficience de prophète, en quelque sorte. C’est un aveu. Certes, tu es tout à fait dans ton droit pour avoir agi ainsi. Nous ne le nions pas. Nous ne te reprochons rien sur le plan légal. Nous ne te traduirons même pas devant un tribunal, en l’occurrence le Sanhédrin (il risquerait bien de nous donner tort). Mais néanmoins, quel toupet ! Qui es-tu pour agir ainsi ? Il faut être un prophète de Dieu, pour le moins. Et toi tu ne brandis aucun signe (céleste). Tu ne donnes aucune référence. Tu ne te revendiques d’aucune autorité, même pas celle du Saint, béni soit-il. Mais qui es-tu donc ? Donne au moins un signe irréfragable, sur le flanc des coteaux ou dans les hauteurs des cieux, et alors nous nous inclinerons. Mieux même, chiche, nous te reconnaîtrons.
Chiche ? « Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai. » (Jn 2, 19).
Bien sûr, nous dit Jean, il parlait, au second degré, du sanctuaire de son corps (qui sera le véritable Temple de Dieu dans la religion nouvelle). Et c’était une allusion voilée à sa Passion, ainsi qu’à sa Résurrection. Mais les juifs (les autorités juives) englués dans le matériel, ne pouvons l’entendre qu’au premier degré, c’est-à-dire à la lettre. Nous faisons remarquer ici, contrairement à des commentaires fréquents, qu’il n’y avait dans les propos de Jésus rien d’insultant pour le Temple, rien donc de blasphématoire (à Dieu ne plaise !). Les juifs, on va y venir, avait fait l’expérience, plus de 46 ans auparavant d’une destruction du Temple, dans le but de le reconstruire. Hérode avait provisoirement détruit le Temple, avec la bénédiction des juifs, avant de le rebâtir encore plus grand, et plus beau. Ce fait était dans toutes les mémoires, puisque aussi bien du temps de Jésus, le Temple, au moins pour ses salles annexes, n’était pas encore achevé. Il ne le sera, d’après Josèphe, que sous Néron, quelques années seulement avant sa destruction définitive.
Proposer aux juifs eux-mêmes de détruire le Temple n’avait donc rien d’irrespectueux, ou d’attentatoire. Cela pouvait passer pour une charade rabbinique, comme il s’en alléguait tous les jours dans les joutes théologiques.
D’ailleurs les autorités ne s’offusquent aucunement de ce fait, mais seulement de la prétention de Jésus. Ce sont elles, par hypothèse, qui détruisent, Jésus qui rebâtit. Mais en trois jours ? Et tout seul ? Fada, non ?
« Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire et toi en trois jours tu le relèveras ? » (Jn 2, 20). Décidemment les juifs (les autorités juives) ne sortent pas du plan matériel. Ils y sont englués. Ils sont pris à leur propre piège. Car si Jésus disait encore : chiche ! c’est à eux qu’il reviendrait, pour l’heure, de saisir une pioche pour commencer la démolition du Temple. Donc la controverse prend fin, faute de combattants. Ils s’en tiennent là.
Les quarante-six ans auxquels font allusion les chefs juifs, dans cette altercation, ont fait couler beaucoup d’encre. On s’en est servi pour justifier à peu près n’importe quelle chronologie (absolue) de la vie de Jésus. On les interprète un peu à sa mode. La Bible de Jérusalem, par exemple, s’en sert pour justifier une première Pâque de Jésus en 28, et sa mort (Résurrection) en 30. Les travaux de reconstruction du Temple ayant commencé en fin – 20, elle compte : 19 + 27 = 46. Quarante-six ans accomplis emmènent en début 28. Deux ans de ministère et Jésus meurt en 30. Mais on a vu ci-dessus (début du commentaire de l’épisode présent) que ce comput est formellement démenti par l’astronomie. Il est impossible.
Gérard Gertoux, quant à lui, fait remarquer que d’après l’historien Josèphe la construction du naos, ou sanctuaire, n’aurait duré qu’un an et demi, édifié qu’il fut par les prêtres. Or c’est bien du naos, ou sanctuaire, dont parle Jésus dans l’évangile, et non pas du Temple tout entier : « Détruisez ce sanctuaire… » (Jn 2, 19). Commencé en - 20/- 19, le sanctuaire aurait été achevé en - 18/- 17. Le compte donne : 17 + 29 = 46. Les quarante-six ans achevés nous conduisent en l’an 30, et à la première Pâque du ministère public. Mais du coup, le jeu de mots de la joute oratoire avec les chefs des prêtres devient moins obvie. Il faudrait comprendre : Il y a 46 ans que ce sanctuaire a été bâti…
Arthur Loth avait encore une autre approche. Il savait, toujours d’après l’historien Josèphe, qu’Hérode avait solennellement promis aux juifs de ne pas démolir l’ancien Temple avant que tous les matériaux ne fussent à pied d’œuvre, et tous les ouvriers recrutés et formés. Or tous ces préparatifs ont bien dû prendre au moins deux ans. La construction du nouveau Temple n’aurait débuté qu’en fin – 18. Et de nouveau : 17 + 29 = 46. Les quarante-six accomplis impliquent l’année 30, début du ministère public.
J’avoue pour ma part une certaine perplexité. Mais, quoique il en soit, la première Pâque de la vie publique n’a pu être que celle de l’an 30. D’ailleurs saint Jean, dans l’évangile, voulait-il vraiment dater le dernier Temple de Jérusalem, celui d’Hérode ? Ce n’est même pas certain. C’était une boutade des chefs juifs, lancée dans le feu de la discussion.
« Aussi, quand Jésus ressuscita d’entre les morts, ses disciples, se rappelant qu’il avait tenu ce propos, crurent-ils à l’Ecriture et à la parole qu’il avait dite. » (Jn 2, 22). Et voilà la relecture postpascale de la vie du Christ ! Elle est expressément notée par l’évangéliste. Elle n’a rien à voir avec une interprétation purement symbolique (et pourquoi pas mythique ?) des souvenirs évangéliques, comme elle est trop souvent perçue. Les évangélistes, eux-mêmes, savent très bien faire la différence entre la réalité historique, telle qu’ils l’ont vécue, et le commentaire, légitime après une longue méditation, qu’ils en donnent. Ils n’affabulent pas. Ils font entendre les harmoniques lointains, d’un événement déjà ancien. Quand Jean écrivait son évangile, par exemple, il y avait déjà 50 ans que l’histoire rapportée ici même avait eu lieu. Il l’avait prêchée maintes fois. Normal qu’il nous livrât le fruit de ses réflexions. Cela ne signifiait pas qu’il travestît les faits, ni même qu’il les sublimât. Au contraire, on peut noter à chaque instant la sobriété épurée de son récit. Il ne nous livre guère que l’essentiel.
Ils crurent à l’Ecriture et à la parole qu’il avait dite. Mais pourquoi invoquer, ici, l’Ecriture ? L’Ecriture n’avait pas, sauf erreur de ma part, prévu explicitement un séjour de 3 jours seulement dans le tombeau, mais comme nous le lisons dans les Actes (premier discours de saint Pierre après la Pentecôte) le psaume disait (selon la Septante) : « Tu n’abandonneras pas mon âme à l’Hadès et ne laisseras pas ton Saint voir la corruption. » (Ac 2, 27). S’il ne devait pas connaître la corruption, c’est qu’il devait demeurer moins de trois jours, en effet, dans le sépulcre. Les références scripturaires de saint Jean et de saint Pierre, implicites ou explicites, sont proches l’une de l’autre, on le voit. Normal car les deux apôtres, inséparables comme nous le constatons dans la première partie des Actes, ont vécu longtemps ensemble.
« Lui savait ce qu’il y a dans l’homme. » (Jn 2, 25). Jean note explicitement la science divine de Jésus, telle qu’il l’a perçue dès ce début de la vie publique à Jérusalem. Jésus, dès lors, restait pleinement maître de son destin, sans illusion sur les hommes.