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21. Noces à Cana.

Jean 2, 1-12.

Le troisième jour, il y eut des noces à Cana de Galilée. La mère de Jésus y était. Jésus aussi fut invité à ces noces, ainsi que ses disciples. Or il n’y avait plus de vin, car le vin des noces était épuisé. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont plus de vin. » Jésus lui répond : « Qu’est-ce là pour moi et pour toi, femme ? Mon heure n’est pas encore venue. » Sa mère dit aux servants : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. »

Il y avait là six jarres de pierre, destinées aux rites de purification des Juifs ; elles contenaient chacune deux ou trois mesures. Jésus dit aux servants : « Remplissez d’eau ces jarres. » Ils les remplirent jusqu’au bord. « Puisez maintenant, leur dit-il, et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent. Le maître du repas goûta l’eau changée en vin ; comme il en ignorait la provenance, tandis que les servants la connaissaient, eux qui avaient puisé l’eau, le maître du repas appelle le marié et lui dit : « Tout le monde sert d’abord le bon vin et, quand les gens sont gais, le moins bon. Toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant ! » Tel fut le premier des signes de Jésus. Il l’accomplit à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. Après quoi, il descendit à Capharnaüm avec sa mère et les frères, mais ils n’y demeurèrent que quelques jours.

Episode 21. Commentaire.

« Le troisième jour, il y eut des noces à Cana de Galilée, et la mère de Jésus y était. Jésus aussi fut invité à ces noces, ainsi que ses disciples. » (Jn 2, 1-2). Le troisième jour après le choix de Philippe et Nathanaël, dans le val du Jourdain, Jésus et ses cinq nouveaux disciples parviennent à Cana en Galilée. Jean a raison de préciser : Cana de Galilée, car il existait un autre Cana, en Syro-Phénicie, près de Tyr, mentionné dans le livre de Josué (cf. Jos 19, 28). Deux sites, en Galilée, se sont disputé l’honneur d’être le Cana évangélique, le lieu du miracle de l’eau transformée en vin, Kafr Kenna, à 6 km seulement de Nazareth, où s’étaient installés des prêtres orthodoxes puis des franciscains, et Khirbet Qana, à 14 km au nord. Mais la balance doit pencher nettement en faveur du second. L’onomastique, ainsi que tous les témoignages antiques l’attestent. Ce n’est guère qu’à partir du XVIe siècle qu’on s’est orienté, erronément, vers Kafr Kenna.

Khirbet Qana est placée sur une colline escarpée, aujourd’hui sauvage, où l’on trouve encore des ruines assez importantes. La bourgade, à l’époque du Christ, se situait sur le sommet de la colline. Ce n’est que plus tard qu’elle s’était déplacée sur les versants. A l’époque byzantine, on montrait encore les urnes qui avaient servi pour le miracle. Puis elles ont été dispersées dans toute la chrétienté. 

Si la mère de Jésus était invitée à ces noces, ainsi que Jésus lui-même, c’est que l’un des époux, au moins, devait faire parti de leur parenté. Le marié n’était pas Nathanaël, de Cana, puisque Jésus le ramenait dans ses bagages. Naturellement, lui aussi participerait à la fête. Quelques-uns s’étonnent que Marie se soit aperçue la première que les époux n’avaient plus de vin. Mais les femmes ont de ces intuitions ! Elle devait circuler dans les coulisses, pour prêter un coup de main. Et elle a dû entendre des chuchotements : on va manquer de vin ! Pour sortir les parents des jeunes mariés de l’embarras, elle prévient son fils.

Etonnant réflexe de confiance ! C’est ce qu’il faut souligner. Son fils était-il à ses yeux un prestidigitateur, capable d’accomplir l’impossible ? Plus encore : un Dieu tout-puissant. La foi de Marie était au moins aussi grande que celle des disciples, qui, nous l’avons vu dans l’épisode précédent, était déjà totale, même si encore un peu théorique et née de l’enthousiasme. C’est pour l’édification des disciples, essentiellement, que Jésus accomplira le miracle. Leur foi avait besoin d’être confortée. Celle de Marie, non.

Le miracle de Cana est d’abord celui de la foi intrépide de Marie. Mais c’est au tour de Jésus de rechigner. Cela n’entre pas dans mes plans. Ce n’est pas le moment, ce n’est pas l’heure. En quoi sommes-nous concernés, toi et moi ? Ils n’avaient qu’à prendre leurs précautions !

Faites ce qu’il vous dira, dit-elle aux servants !

Jésus ne pouvait se dérober à la charité, même si, apparemment, cela dérangeait ses projets. Lui-même venait de se l’avouer : il ne saurait rester indifférent à la détresse de ses hôtes. C’eût été indigne d’un Dieu !

Et c’est le miracle. Mais pas tellement spectaculaire, puisque réalisé dans une salle annexe, et non devant tous les convives. Seuls les servants, et ses disciples qui s’étaient levés avec lui, seront les témoins directs. Prodigieux, par contre, par la quantité de l’eau changée en vin !  Six urnes de deux ou trois mesures. Une mesure, c’est 45 litres. 6 X 2 X 45 = 540 litres au minimum.

Les urnes servaient aux ablutions des juifs. Six urnes avaient été prévues par les organisateurs ; preuve que les invités de ces noces de village devaient être nombreux. Les juifs de ce temps-là, tous les témoignages, et pas seulement l’évangile de Marc, concordent, pratiquaient d’innombrables rites de purification. Dans les fouilles on trouve de nombreux mikvaot, ou  bains rituels, dans lesquels l’on s’immergeait en entier. Les esséniens donnaient l’exemple de ces lavages à répétition, soit des corps, soit des ustensiles de la vie quotidienne.

Tout indique, dans le récit, que Jésus dut arriver en retard à la noce. Mais ces noces de village pouvaient se prolonger pendant des jours, voire une semaine. Les jarres de pierre étaient vides, car elles avaient déjà été épuisées par les nombreux lavages. Le vin manquait, car sans doute les invités, dont Jésus et ses disciples, étaient survenus à l’improviste, plus nombreux que prévus. Mais l’on ne refusait personne.

Le symbole de ces jarres est parlant : les instruments de la religion des pratiques extérieures deviennent ceux de la religion en Esprit.

D’ailleurs, cet épisode est rempli de symboles. Mais le symbolisme surgit naturellement de la réalité des faits. Il n’est pas inventé, ou surajouté après coup, sinon il sonnerait faux. C’est la réalité même, dans sa pesanteur matérielle, ou charnelle, qui devient symbolique. Pour saint Jean tout est signe des réalités spirituelles. Mais le signe suppose un support concret, sinon il s’évanouit.

Ici, la noce très réelle et ordinaire, dirions-nous, devient le symbole des noces éternelles de Jésus-Christ avec l’humanité. L’abondance de l’eau concrètement changée en vin (puisqu’on va le boire : ce n’est pas un rêve !) devient naturellement le symbole de la grâce surabondante du Royaume de Dieu, qui vient. Dans saint Jean, le récit tout entier des noces de Cana préfigure à chaque ligne le drame du Calvaire. On y retrouve les mêmes personnages. L’heure, devancée par Marie à Cana, sera l’heure de la croix. De même, le vin de Cana annonce le vin miraculeux et surabondant de l’eucharistie, capable de nourrir l’humanité entière. Le mot de Marie : « Faites tout ce qu’il vous dira » (Jn 2, 5) deviendra la consigne de toute vie chrétienne, qui consiste à obéir à Jésus, et le motif de la piété mariale, car Marie elle-même est celle qui a le mieux obéi à son fils.

Tout dans cette histoire est concret, véridique, familier même, et tout y est prophétique.

Les exégètes modernes qui ne croient pas  en la réalité de cet épisode de Cana ont, pour ainsi dire, perdu la foi !  

« Tel fut le premier des signes de Jésus. » (Jn 2, 11). Jean emploie de préférence le mot ‘signe’ pour parler des miracles de Jésus. D’ailleurs le mot ‘miracle’ n’existe pas, à proprement parler dans le Nouveau Testament. Il nous est familier surtout par les traductions. Les auteurs sacrés utilisent différentes tournures pour parler de la réalité de miracle. Ils disent : œuvres, puissances, prodiges, signes. Jean emploie plus volontiers ce dernier mot : ‘signes’. Le mot ‘signes’ dans Jean est à prendre selon la définition qu’il en donnera dans la première conclusion de son évangile : « Ceux-ci ont été écrits afin que vous croyiez. » (Jn 20, 31). Le miracle est une signature de Dieu pour authentifier l’œuvre de ses envoyés. Il entraîne normalement la foi.

Sept signes, ou miracles, principaux jalonneront le IVe évangile, illustrant chacun l’une des sept parties principales de son évangile : 2, 11 ; 4, 54 ; 5, 9 ;  6, 14 ; 9, 7 ; 11, 44 et le grand miracle de la Résurrection. Un huitième miracle, une pêche miraculeuse (21, 6), ornera la huitième partie, ajoutée après la première conclusion, l’appendice. Nous les signalerons au fur et à mesure. La marche de Jésus sur les eaux, au soir de la première multiplication des pains, n’est pas comptée dans cette série.

« Et il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. » (Jn 2, 11). Tout indique, en effet, que les disciples furent les témoins immédiats du miracle. Ils y ont en quelque sorte contribué par leur ferveur admirative. Ils n’ont pas douté. Leur foi personnelle en fut grandement confortée.

Les exégètes modernes, à l’instar de feu Raymond Brown ou d’Alain Marchadour, ont tendance a couper en deux l’évangile de Jean, sans parler d’autres rapiéçages : d’une part l’évangile des signes, puis à partir de la Passion, l’évangile de la gloire. Mais cette division est artificielle puisque nous voyons ici que, dès Cana, Jésus a manifesté avec éclat sa gloire. 

« Il descendit à Capharnaüm avec sa mère et les frères. » (Jn 2, 12). C’est la lecture de nombre de manuscrits, et de papyrus anciens. La première édition de la Bible de Jérusalem, sur laquelle est faite la synopse portait cette leçon. D’autres manuscrits ont une phrase plus complète : « Il descendit à Capharnaüm avec sa mère et ses frères et ses disciples. » Il paraît bien difficile de se prononcer sur la teneur exacte du texte original. C’est dommage, car chacun traduit ici un peu à sa fantaisie.

Il est certain qu’après Cana Jésus-Christ est descendu pour la première fois à Capharnaüm, avec sa mère et les disciples, sans doute à l’invitation de Pierre, d’André et de Jean, qui résidaient dans cette bourgade et qui étaient pêcheurs de leur état. Nous sommes en fin 29, début 30. Mais  Jésus n’y demeurera que peu de jours et n’entreprendra pour de bon son ministère galiléen, précisément à Capharnaüm, que l’année d’après, début 31.

Pour l’heure, il se dirige vers Jérusalem, car il veut s’y trouver pour la Pâque. Sans doute sa mère Marie est-elle retournée alors à Nazareth avec les ‘frères de Jésus’, si vraiment ils étaient descendus à Capharnaüm. Jésus part pour la Judée. Il ne semble pas qu’il emmène Simon-Pierre avec lui. Marc, l’interprète de Pierre, ne nous signalera aucun souvenir pour cette période. Jésus a dû le laisser à son métier de pêcheur, et ne le recrutera définitivement que l’année prochaine. Il semble bien, au contraire, que Jean fut du voyage, car c’est par lui seul que nous connaissons les épisodes qui vont suivre. Mais Jean n’était pas l’unique disciple, et fut accompagné d’autres, car il est plusieurs fois question d’eux à Jérusalem, en Judée, à Aenon près de Salim, et chez les Samaritains. Ils ont dus le suivre également à Cana de Galilée, où il vint une seconde fois, puis de nouveau à Jérusalem pour la deuxième fête de la vie publique, même si leur présence n’est plus expressément mentionnée. Mais il fallait bien que quelques-uns, Jean et ses condisciples, fussent témoins de ces événements pour nous les rapporter. 

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