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Et aussitôt, le matin étant arrivé, tous les grands prêtres préparèrent un conseil avec les anciens du peuple, les scribes, en un mot tout le Sanhédrin ; ils tinrent conseil contre Jésus, en sorte de le faire mourir. Lorsqu’il fit jour, le conseil des anciens du peuple se réunit, grands prêtres et scribes. Ils l’amenèrent devant leur tribunal et lui dirent : « Si tu es le Christ, dis-le nous. » Il leur répondit : « Si je vous le dis, vous ne croirez pas, et si je vous interroge, vous ne répondrez pas. Mais à l’avenir le Fils de l’homme aura son siège à la droite de la Puissance de Dieu. » Tous dirent alors : « Tu es donc le Fils de Dieu ! » Il leur déclara : « Vous dites bien, Je le Suis. » -- « Qu’avons-nous encore besoin de témoignage ? reprirent-ils. Nous-mêmes l’avons entendu de sa bouche ! » |
Le matin étant arrivé, on prépare un grand conseil contre Jésus, dans le but de le faire mourir. Ce conseil n’est pas une invention de Luc, puisqu’aussi bien il est confirmé par le témoignage de Marc et de Matthieu grec (le diacre Philippe). Il est confirmé aussi par la vraisemblance historique, et par le droit juif, puisqu’un procès de nuit, encore plus une sentence rendue de nuit, n’avaient aucune valeur légale.
Ce conseil se tint-il dans le local prévu à cet effet ? C’est-à-dire la salle dite du Gazith, ou encore Liscat Haggazith, littéralement la ‘chambre aux pierres polies’ ? Cette salle, qui datait du roi Jannée, était sise sur le côté ouest de l’esplanade du Temple, face à la grande place du Xyste, par delà le Tyropéon. C’était le lieu de séance du Sanhédrin. Mais le Talmud nous apprend que depuis que le droit de condamner à mort avait été enlevé aux Juifs, le Sanhédrin ne se réunissait que très exceptionnellement dans la chambre aux pierres polies. De plus, en ce concerne le procès de Jésus, il semble qu’on n’aurait pas eu le temps matériel de préparer cette session dans la local officiel. On voulait livrer Jésus à Pilate dès le matin même. Or les Romains, pour juger des affaires criminels, étaient eux-mêmes très matinaux.
Le Sanhédrin a dû être convoqué en toute hâte dans le palais même de Caïphe. C’est d’ailleurs là qu’on l’avait vu se réunir trois jours avant, le dimanche de l’Onction à Béthanie, pour décider de l’arrestation de Jésus. (Notre épisode 200 : cf. Mt 26, 3).
Le Sanhédrin comptait normalement 71 membres, en souvenir des 70 vieillards réunis par Moïse (cf. Nb 11, 16). Il était présidé par le grand prêtre en fonction. Il réunissait les membres des familles sacerdotales, en général du parti sadducéen, les scribes, en général du parti pharisien, et les Anciens. Les membres étaient choisis par cooptation. Les nouveaux candidats recevaient une imposition des mains du grand prêtre.
Mais le Sanhédrin ne se réunissait que rarement au complet. Pour juger d’une affaire criminel, quand le Sanhédrin se constituait en tribunal, il suffisait de la présence de 23 membres pour qu’il pût délibérer valablement.
Pour déclarer qu’il fît jour, il fallait qu’on pût ‘distinguer le bleu du blanc’, avant même le premier rayon du soleil. C’est à cette heure matinale qu’on entre en séance, en ce mercredi 1er avril 33, car on est pressé par le temps. Dès demain soir commencera la Parascève, de Pâque aussi bien que du sabbat. Le récit évangélique donne d’ailleurs l’impression d’une réunion hâtive, et même bâclée. Presque une formalité. La procédure dut être sommaire. On estimait, en l’espèce, que l’affaire était suffisamment instruite. Il suffisait d’un procès-verbal.
Le Sanhédrin avait-il le droit de condamner à mort ? La réponse est fournie par l’historien Flavius Josèphe (cité par Daniel-Rops page 502) : « Il est de tradition que le droit de condamner à mort nous fut enlevé quarante ans avant la ruine du Temple. » C’est-à-dire en 30 de notre ère, l’année de la première Pâque de la vie publique du Christ. Le Sanhédrin pouvait certes condamner à mort (et c’est bien de cela qu’il s’agit pour Jésus-Christ en cette matinée de printemps), mais il n’avait pas le droit de faire exécuter la sentence. Il devait s’en remettre à l’arbitraire du procurateur, lequel restait parfaitement libre d’accéder ou non à la requête. Encore fallait-il lui présenter des motifs valables. C’est pourquoi on se gardera bien de parler de blasphème. Mais on invoquera des raisons politiques : il soulève le peuple, il défend de payer l’impôt, il se dit roi. Autrement dit l’affaire devait être rejugée par les instances du pouvoir d’occupation.
Matthieu grec et Marc présentent ce conseil d’une phrase. Mais Marc emploie expressément le terme technique de Sanhédrin : « Et aussitôt, le matin, les grands prêtres préparèrent un conseil avec les anciens, les scribes, en un mot tout le Sanhédrin. » (Mc 15, 1).
Luc ne raconte pas les séances de la nuit. Mais plus soucieux de vraisemblance historique, ou de légalisme, bénéficiant de renseignements propres, il place au petit matin le jugement de Jésus par le pouvoir religieux. Il spécifie formellement que le conseil juif se constitue en tribunal : « Ils l’amenèrent devant leur tribunal. » (Lc 22, 66). Le grand prêtre en exercice, président de droit, n’est même pas mentionné. C’est toute l’assemblée, en corps, qui mène l’instruction. Selon Luc, on ne s’embarrasse pas de la recherche de témoignages, qui dans la nuit, d’après Matthieu et Marc, avaient amené tant de confusion. On va tout droit à l’essentiel. Autrement dit, on reprend la procédure là où elle avait abouti.
« Si tu es le Christ, dis-le nous. » (Lc 22, 67). Question-piège, car le Christ ne pouvait que dire ‘oui’, et se condamner lui-même. Il se contente cependant de citer le psaume 110, ce qui est un aveu : « A l’avenir le Fils de l’homme aura son siège à la droite de la Puissance de Dieu. » (Lc 22, 69). La conclusion s’impose : « Tu es donc le Fils de Dieu ! » (Lc 22, 70). Et la réponse obligée de Jésus, aussi claire que celle de la nuit : « Vous dites bien, Je le Suis. » (Lc 22, 70). Ce qui n’est autre que le nom divin de Yahvé, repris sous une autre forme.
Et toute l’assemblée, unanime, de se récrier : « Qu’avons-nous encore besoin de témoignage ? reprirent-ils. Nous-mêmes l’avons entendu de sa bouche ! » (Lc 22, 71).
L’affaire a été menée en un tournemain. On a dû dresser un procès-verbal en bonne et due forme. La séance est levée.