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210. Comparution devant Caïphe, de nuit. Pierre est là dehors.

Matthieu 26, 57-66. Marc 14, 53-64. Luc 22, 54-55. Jean 18, 24-25a.

Anne l’envoya alors toujours lié, au grand prêtre Caïphe.

Ceux qui avaient arrêté Jésus, l’ayant donc saisi, l’emmenèrent et le firent entrer dans la maison du grand prêtre, chez Caïphe, et là se réunissent tous les grands prêtres, les anciens et les scribes. Pierre l’avait suivi de loin, jusqu’à l’intérieur du palais du grand prêtre. Il pénétra à l’intérieur et s’assit avec les valets. Comme ils avaient allumé du feu au milieu de la cour et s’étaient assis autour, Pierre s’assit au milieu d’eux et se chauffait à la flambée. Simon-Pierre était là à se chauffer, voulant voir le dénouement.

Or les grands prêtres et le Sanhédrin tout entier cherchaient un faux témoignage contre Jésus en vue de le faire mourir ; et ils n’en trouvaient pas, bien que des faux témoins se fussent présentés en grand nombre. Plusieurs, il est vrai, déposaient faussement contre lui mais leurs témoignages ne concordaient pas. Finalement il s’en présenta deux qui déclarèrent, quelques-uns se levèrent pour porter contre lui ce faux témoignage : « Cet homme a dit, nous l’avons entendu qui disait : Je puis détruire le Temple de Dieu et le rebâtir en trois jours. Je détruirai ce Temple fait de main d’homme et en trois jours j’en rebâtirai un autre qui ne sera pas fait de main d’homme. » Mais sur cela même leurs dépositions n’étaient pas d’accord.

Alors le grand prêtre, se levant devant l’assemblée, interrogea Jésus : « Tu ne réponds rien ? Qu’est-ce que ces gens attestent contre toi ? » Mais Jésus, lui, se taisait et ne répondait rien. De nouveau le grand prêtre l’interrogea et lui dit : « Je t’adjure par le Dieu vivant de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu. Es-tu le Christ, le Fils du Béni ? » Jésus lui répond : « Tu l’as dit, Je le Suis. D’ailleurs, je vous le déclare : désormais vous verrez le Fils de l’homme siéger à la droite de la Puissance et venir avec les nuées du ciel. » Alors le grand prêtre déchira ses vêtements, ses tuniques, en disant : « Il a blasphémé !!! Qu’avons-nous encore besoin de témoins ? Là, vous venez d’entendre le blasphème ! Qu’en pensez-vous ? Que vous en semble ? » Ils répondirent : « Il mérite la mort. » Tous prononcèrent qu’il méritait la mort.

Episode 210. Commentaire.

Les quatre évangiles canoniques se retrouvent pour indiquer la séance de nuit chez Caïphe, le grand prêtre en fonction. C’est celui qui, comme le rappelait saint Jean tout à l’heure, « avait donné aux Juifs cet avis : ‘Il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple.’ » (Jn 18, 14). Il avait dit cela lors du conseil des chefs juifs, qui avait suivi la résurrection de Lazare (notre épisode 176 : cf. Jn 11, 50).

Caïphe fut grand prêtre de 18 à 36. Il sera déposé à Pâque 36 par le gouverneur de Syrie, Vitellius, en même temps que Pilate sera renvoyé à Rome, auprès de Tibère, pour s’y justifier.

D’urgence, les membres du Sanhédrin sont convoqués de nuit pour participer au procès de Jésus. Ils se réunissent dans le palais de Caïphe. Mais ils ne sont pas encore constitués en tribunal. Ils ne le seront qu’à l’aube, conformément à la règle, et dans le local prévu à cet effet. Pour l’instant, on n’en est qu’à l’instruction du procès.

Voici comment se combinent dans notre synthèse, pour cette première comparution de Jésus devant Caïphe, les récits des quatre évangiles.

On a d’abord la phrase de Jean, qui seul a rapporté la séance devant Anne : « Anne l’envoya alors, toujours lié, au grand-prêtre Caïphe. » (Jn 18, 24). Il suffisait de traverser la cour, comme nous l’avons expliqué précédemment. Ayant échoué dans sa mission exploratoire, Anne le renvoie au juge compétent, non sans avoir laissé commettre les premiers sévices contre l’accusé, supposé innocent, mais plutôt dans son esprit supposé coupable.

D’après les trois synoptiques, qui ne connaissent pas la comparution chez Anne, on part de Gethsémani, et l’on emmène le prévenu chez le grand prêtre Caïphe où se réunissent tous les grands prêtres, les anciens et les scribes. Pierre avait suivi de loin le cortège. Mais plus chanceux que le jeune Marc, on ne tenta pas de l’appréhender. Il pénétra même dans le palais du grand prêtre, et se chauffait à la flambée dans la cour. Jean confirme incidemment : « Simon-Pierre était là à se chauffer. » (Jn 18, 25a).  « Voulant voir le dénouement » précise Matthieu grec (26, 58).  

Ni Luc ni Jean ne racontent le déroulement de cette session devant Caïphe. Jean en a déjà terminé avec le procès devant le Sanhédrin, sauf qu’il parlera des reniements de Pierre (cf. Jn 18, 25b-27), tandis que Luc ne décrira que la session légale du Sanhédrin, le matin à l’aube (cf. Lc 22, 66-71 : notre épisode 214). Session que les deux autres synoptiques, Matthieu (27, 1) et Marc (15, 1a), ne feront que mentionner.

D’après Matthieu et Marc, donc, les grands prêtres et le Sanhédrin tout entier cherchaient un témoignage contre Jésus, dans l’intention de le faire mourir. Mais ils n’en trouvaient pas. Car on tiendrait à respecter un semblant de légalité. Deux témoignages concordants étaient au moins nécessaires, selon la Torah, pour condamner un accusé. Un grand nombre de faux témoins se présentent, mais leurs témoignages divergent. Finalement il s’en présentent deux dont les dépositions semblent plus crédibles. Selon Matthieu, les deux olibrius bafouillent : « Cet homme a dit : ‘Je puis détruire le Temple de Dieu et le rebâtir en trois jours’. » (Mt 26, 61). Mais selon Marc, ils expectorent, plus méchamment encore : « Nous l’avons entendu qui disait : ‘Je détruirai ce Temple fait de main d’homme et en trois jours j’en rebâtirai un autre qui ne sera pas fait de main d’homme.’ » (Mc 14, 58). Même là-dessus, les témoignages n’étaient pas entièrement concordants. On le sent d’ailleurs dans les comptes rendus de Matthieu et Marc.

Les deux mouchards avaient cependant bonne mémoire. Ils se souvenaient d’une sentence de Jésus, vieille déjà de trois ans, quand il avait expulsé pour la première fois les vendeurs de l’esplanade du Temple, où ils n’avaient d’ailleurs rien à faire. C’était lors de la première Pâque de son ministère public, en avril 30. Notre épisode 22. Nous ne connaissons, d’ailleurs, l’épisode que par Jean lui-même. A cette occasion Jésus avait employé un simple argument ad hominem, comme le plus modeste rabbin s’en permettait souvent. Il n’avait pas dit : ‘Je détruirai le Temple’, mais ‘Si vous le détruisez’, ou ‘En supposant que vous le détruisiez’.

Le Sanhédrin se sent humilié. Ça ne tient pas la route. On va vers un match nul, donc vers l’acquittement.

D’après Matthieu grec et Marc, toujours, le président de séance, Caïphe en personne, décide de prendre en main la situation. Il se lève et interpelle l’accusé : « Tu ne réponds rien ? Qu’est-ce que ces gens attestent contre toi ? » (Mt 26, 62 ; Mc 14, 60). Mais comme Jésus garde le silence devant ces accusations, ou ces sommations, dérisoires, la déroute est imminente. Alors le grand prêtre se décide à tenter le tout pour le tout : faire avouer l’accusé ; qu’il se dénonce lui-même, et sur la question qui brûle toutes les lèvres : « Je t’adjure par le Dieu vivant de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu » d’après Matthieu grec (26, 63). Et d’après Marc (14, 61) : « Es-tu le Christ, le Fils du Béni ? »

Cette fois le Christ, sommé par l’autorité légitime, au nom même de sa nation, ne pouvait se dérober. Il était obligé de répondre et cela, le grand prêtre le savait. En un sens, les responsables religieux avaient le droit, et même le devoir, de lui poser cette question. N’attendaient-ils pas eux-mêmes, avec impatience, le Messie promis ?

Si Jésus disait ‘oui’, il se dénonçait lui-même. S’il disait ‘non’, il se déconsidérait à tout jamais, et d’autre part il n’était pas sauvé pour autant, car on pouvait toujours le poursuivre à cause de ses déclarations antérieures.

Aussi bien Jésus n’hésite pas une seconde. Mais puisqu’il se sent, en cette nuit, un Messie humilié, il annonce au Sanhédrin qu’il deviendra bientôt un Messie glorieux.

« Je le Suis, répondit Jésus, et vous verrez le Fils de l’homme siéger à la droite de la Puissance et venir avec les nuées du ciel » (Mc 14, 62), citant à la fois le psaume 110 et le prophète Daniel (7, 13). Et d’après Matthieu : « Tu l’as dit. D’ailleurs je vous le déclare : désormais vous verrez le Fils de l’homme siéger à la droite de la Puissance et venir sur les nuées du ciel. » (Mt 26, 64). La Puissance, dans le langage des rabbins, ce n’était autre que Dieu lui-même, et siéger à sa droite, c’était partager son trône, et donc sa divinité.  

Le grand prêtre tenait sa victoire. Dans un grand geste théâtral, il déchire ses vêtements, ses tuniques. Il prend à témoin l’assistance. Il ne prononce pas lui-même la sentence mais la fait prononcer par le Sanhédrin tout entier, comme une évidence : « Il a blasphémé !!! Qu’avons-nous encore besoin de témoins ? Là, vous venez d’entendre le blasphème ! Qu’en pensez-vous ? » d’après Matthieu grec (26, 65-66). Mais d’après Marc (14, 63-64) : « Qu’avons-nous encore besoin de témoins ? Vous avez entendu le blasphème ; que vous en semble ? »

Déchirer ses vêtements, c’était le rituel prévu en cas de blasphème. Les rabbins en avaient minutieusement codifié la procédure : on devait découdre ses tuniques, uniquement ses tuniques, sur la longueur d’une palme, environ 10 centimètres.

L’unanimité est faite dans l’assemblée : « Il mérite la mort » (Mt 26, 66). « Tous prononcèrent qu’il méritait la mort. » (Mc 14, 64).

Mais c’était une sentence extorquée. Il n’y avait aucun blasphème à se déclarer le Messie, que les Ecritures reconnaissaient unanimement comme le Fils de Dieu. Il fallait seulement pouvoir justifier cette prétention, comme il est normal.

D’autre part, il n’était pas admis par le droit que l’accusé se condamnât lui-même, par un aveu. Il devait seulement être confondu par des témoins fiables.

Cette séance de nuit, dans le palais personnel du grand prêtre, n’avait aucune valeur sur le plan légal. Cela, tous les juges le savaient. C’est pourquoi, le matin même à l’aube, une nouvelle session, plus formelle, sera convoquée dans le local prévu pour entériner la sentence. C’est celle que Luc va nous raconter.

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