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Avant la fête de la Pâque [juive] (1) Jésus sachant que son heure était venue de passer de ce monde au Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin. Vint le premier jour des Azymes où l’on devait immoler la Pâque. Les disciples vinrent dire à Jésus : « Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque ? » Il envoya alors deux de ses disciples, Pierre et Jean, en leur disant : « Allez, dit-il, nous préparer la Pâque que nous la mangions. » Ils lui demandèrent : « Où veux-tu que nous fassions les préparatifs ? » -- « Voici, leur répondit-il. Allez à la ville chez un tel. A votre entrée dans la ville, vous rencontrerez un homme portant une cruche d’eau. Suivez-le dans la maison où il pénétrera et vous direz au propriétaire de la maison, dites-lui : ‘Le Maître te fait dire : Mon temps est proche, c’est chez toi que je vais faire la Pâque. Où est ma salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ?’ Et celui-ci vous montrera, à l’étage, une grande pièce garnie de coussins, toute prête. Faites-y pour nous les préparatifs. » Les disciples firent comme Jésus leur avait ordonné. Ils partirent donc et vinrent à la ville. Ils trouvèrent tout comme il leur avait dit et préparèrent la Pâque. _________________________________ (1) Le mot [juive] a été rajouté pour distinguer la Pâque juive, de Jean, de la Pâque des synoptiques. |
Le Mardi Saint, 31 mars 33, onzième jour de Nisan pour les juifs de Jérusalem. Mais pour les galiléens, et pour Jésus lui-même, c’était déjà le 14 Nisan, la préparation de la Pâque, la parascève, la veille de Pâque, ou encore le premier jour des Azymes. C’était le jour où, entre les deux soirs, c’est-à-dire entre le soir de la veille et le soir d’aujourd’hui (et non pas comme disent certains entre le coucher du soleil et la tombée de la nuit), on immolait l’agneau pascal, que l’on consommerait en toute hâte dès la tombée de la nuit.
Il est probable, cependant, que pour ce repas pascal anticipé de trois jours par rapport aux juifs de Jérusalem, on n’ait pas réellement mangé l’agneau pascal. Il n’en est pas fait mention expressément dans le texte des synoptiques. De plus, la coutume était depuis longtemps passée où chaque chef de famille égorgeait l’agneau pascal dans son jardin. Il était obligatoire de le faire immoler dans le Temple, de la main des prêtres, même si l’on devait le consommer en ville. Or les prêtres du Temple n’ont dû accepter d’égorger les agneaux que le jour de leur Parascève à eux, c’est-à-dire cette année-là le vendredi.
Jean d’ailleurs, dans son évangile, ne parle pas de la dernière Cène comme d’un repas pascal. Il suit le calendrier officiel du Temple. Il affirme seulement que Jésus prit un « repas » (deipnon : un repas du soir) « avant la fête de la Pâque. » (Jn 13, 1-2). Jean veut évidemment parler de la Pâque juive, la Pâque officielle, le 15 Nisan des juifs, qui n’écherra cette année-là que le samedi 4 avril. Jésus, ce jour-là, gîra déjà dans le tombeau.
Dans la synthèse, nous nous permettons d’ajouter le mot [juive], entre crochets, pour distinguer la Pâque de Jean de celle des synoptiques. Dans la synthèse, c’est le seul mot que nous nous soyons permis d’ajouter au texte canonique. Il subsiste, rappelons-le, une différence objective de trois jours entre la Pâque de Jean et celle des synoptiques. Il importe donc de les distinguer soigneusement. Nous insistons sur le mot ‘objective’. Il ne s’agit pas d’une différence subjective, due à une appréciation personnelle. Mais d’une différence imposée par les faits littéraires. Cette divergence entre la tradition johannique et la tradition synoptique ne porte pas d’ailleurs sur les faits historiques eux-mêmes. Il s’agit d’une simple différence de vocabulaire. Jean et les synoptiques sont bien d’accord pour dire que Jésus est mort un vendredi – le 14 Nisan juif de cette année-là -, et qu’il est ressuscité le dimanche suivant, le premier jour de la semaine. Ils sont bien d’accord pour soutenir que Jésus a présidé un repas trois jours avant ce 14 Nisan des juifs. La seule opposition, c’est que les synoptiques – et Jésus lui-même – appellent ce repas un repas pascal, tandis que saint Jean le désigne comme un simple repas du soir, pris quatre jours avant le 15 Nisan des juifs, soit le mardi soir.
On demandera peut-être d’où provient cette différence de calendrier. Pourquoi les galiléens ne célébraient-ils pas la Pâque en même temps que les juifs de Jérusalem ? Nous avouons notre ignorance complète à ce sujet. Nous laissons le soin d’expliquer cette divergence aux historiens, aux astronomes, aux spécialistes du calendrier. Nous nous contentons, disions-nous, d’enregistrer les faits littéraires.
La chronologie de la Semaine Sainte, que nous proposons, nous est imposée par deux sortes de faits, indépendants l’un de l’autre :
1). Les déclarations formelles des évangélistes. Les synoptiques unanimes nous certifient que le complot contre Jésus et le repas à Béthanie eurent lieu deux jours avant la Pâque (cf. Mt 26, 2.17 ; Mc 14, 1.12 ; Lc 22, 1.7.8.15-16). Tandis que Jean nous apprend que la même Onction à Béthanie survint six jours avant la Pâque (cf. Jn 12, 1). Quatre jours d’écart donc, mais qui peuvent être ramenés à trois si l’on prend garde que les synoptiques et Jean entendaient différemment le jour de Pâque. Pour les uns c’était la Parascève, le premier jour des Azymes, la veille de Pâque, et pour l’autre le jour de Pâque proprement dit.
2°) La concordance des évangiles pour la Semaine Sainte exige que les événements de la Passion s’étalent au moins sur trois journées : Mercredi Saint, Jeudi Saint et Vendredi Saint. On ne peut compresser tous les événements en moins de trois jours.
Ainsi donc la lettre des évangiles et la vraisemblance historique coïncident, et nous imposent impérativement ce schéma, qui sera suivi par la synopse, et repris par la synthèse. Cette convergence aboutit à une quasi-certitude.
« Le premier jour des Azymes [commence Marc], où l’on immolait la Pâque, ses disciples lui disent : Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque ? » (Mc 14, 12). Aucun doute n’est permis dans la pensée de Marc – et des apôtres. Ce n’est pas Jésus qui déclare anticiper sa Pâque. Ce sont les disciples qui prennent l’initiative, et lui rappelle l’échéance prochaine de la Pâque, celle qu’il mangeait d’ordinaire avec ses proches.
Il envoie alors deux de ses disciples en avant. Il leur dit : « Allez à la ville. » (Mc 14, 13). C’est que Jésus et les Douze sont restés à Béthanie, ou plutôt peut-être à Gethsémani, après la procession messianique rapportée par le seul Jean (notre épisode 202), et dont Judas avait profité pour vendre son Maître (notre épisode 203).
Ce jour du Mardi Saint, dernier jour avant son arrestation, Jésus ne se déplacera pas à Jérusalem pour enseigner. Il ne rentrera en ville que tard le soir, au moment de consommer la Pâque préparée par ses disciples. Il a passé la journée avec ses amis de Béthanie, on encore en prière dans le jardin de Gethsémani.
« Vous rencontrerez un homme portant une cruche d’eau. Suivez-le, et là où il entrera, dites au propriétaire. » (Mc 14, 13-14). Habituellement, c’étaient les femmes qui se chargeaient de la corvée d’eau. Un homme portant une cruche d’eau, c’était une curiosité. Cependant la Loi ne l’interdisait pas. Il est fort possible qu’un jeune homme se fût chargé exceptionnellement d’aller puiser de l’eau.
Vraisemblablement, Jésus et les disciples, venant de Béthanie, étaient entrés dans les quartiers sud de Jérusalem, du côté de l’Ophel ou de Sion, par la porte dite de la Fontaine. Ils ont alors rencontré un jeune homme qui montait chez lui de la piscine de Siloé, en portant une cruche d’eau. Peut-être par l’antique voie à degrés qu’on voit encore, et qui conduit au Cénacle, l’endroit où, traditionnellement, on place le lieu de la Sainte Cène, tout près d’ailleurs du palais d’Anne et de Caïphe où Judas, la veille, avait trahi son Maître.
Quel était donc de jeune homme ? Ou cet homme ? Peut-être ne le saura-t-on jamais. Pourtant si l’on formule l’hypothèse que ce jeune homme (présumé) n’était autre que Marc, le futur évangéliste, et si le propriétaire, connaissance et ami de Jésus, n’était autre que le père de Marc, beaucoup de choses s’éclairent dans la suite de l’histoire, même au-delà de la Résurrection du Christ. Nous tiendrons donc ce pari, à partir de maintenant, tout en reconnaissant que l’hypothèse n’atteint pas à la certitude, mais seulement à une haute vraisemblance. Ce serait ce même jeune homme qui se serait enfui tout nu dans la nuit de Gethsémani (cf. Mc 14, 51-52), et c’est chez sa mère, devenue veuve, que nous verrions la première communauté chrétienne se réunir après la Pentecôte (cf. Ac 12, 12).
« Où est ma salle, où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ? » (Mc 14, 14). Kataluma, une salle de séjour, une salle de repos. Notons bien que Marc, et Jésus lui-même, s’expriment comme s’il s’agissait d’un vrai repas pascal, avec manducation de l’agneau. Il est vrai aussi que, dans la pensée de Jésus, le nouvel agneau pascal remplacera avantageusement l’ancien. « Il vous montrera, à l’étage, une grande pièce garnie de coussins, toute prête. » (Mc 14, 15). La maison devait être grande, et les propriétaires devaient être aisés. Eux-mêmes, étant juifs de Jérusalem, ne consommeraient la Pâque que le jour prévu par le calendrier juif, soit, cette année-là, dans la nuit du vendredi au samedi. La salle se trouvait donc libre, et déjà toute prête pour un repas pascal anticipé, pour ces galiléens originaux qui ne célébraient pas la Pâque à la même date que les autres. Il ne restait plus qu’à faire les préparatifs immédiats, en particulier acheter les provisions, dont se chargeraient les disciples. La cuisine de la maison fut certainement utilisée, et probablement investie par quelques-unes des saintes femmes. Une grande salle garnie de coussins. Certains pensent au triclinium des romains : trois divans disposés en forme de U, entourant la table, avec un espace ouvert pour le service, et sur lesquels on mangeait couché, appuyé sur le coude gauche. Mais plus probablement, la salle présentait des tapis épais, sur lesquels on s’étendait, avec des coussins pour se soutenir. On voit cela dans les maisons d’Orient. Cela donne une ambiance très conviviale. On ne mangeait pas forcément couché, ce qui est très incommode, mais plutôt assis à sa fantaisie, avec les plats au milieu sur une table basse. Et tout le monde, à tour de rôle, se servait dans le plat.
Les disciples ont trouvé comme le Maître avait dit et firent les préparatifs.
Luc, bien renseigné, nous apprend que les deux disciples n’étaient autres que Pierre et Jean, les deux mêmes disciples, sans doute, qui sont allés réquisitionner l’âne de Bethphagé, le jour de la grande entrée, quoique, à cette occasion, aucun des synoptiques ne mentionne leur nom (notre épisode 184). Il faut bien dire qu’ils étaient les hommes de confiance.
Matthieu grec résume les propos, fort pittoresques, de Marc. Mais il fait dire à Jésus : « Mon temps est proche. » (Mt 26, 18). C’est dire : le temps de ma mort est proche. Ce qui est une prophétie. Arthur Loth entend (page 527) : « C’est mon jour à moi de célébrer la Pâque. » Autrement dit : ma façon à moi de célébrer la Pâque. Mais cette lecture est quelque peu tendancieuse. Le temps de Jésus (kairos), c’est plutôt ici celui de sa destinée, le temps de sa Passion. Pour Jésus, ce n’était pas sa date de Pâque personnelle, mais plutôt la date traditionnelle dans son milieu.