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203. Trahison de Judas.

Matthieu 26, 14-16. Marc 14, 10-11. Luc 22, 3-6.

Alors Satan entra dans Judas, surnommé Iscarioth, qui était du nombre des Douze.

Il s’en alla conférer avec les grands prêtres et les chefs des gardes sur le moyen de le leur livrer. Il leur dit : « Que voulez-vous me donner, et moi je vous le livrerai ? »

A cette nouvelle ils se réjouirent et convinrent de lui donner de l’argent. Il acquiesça.

Ceux-ci lui versèrent trente pièces d’argent. Et de ce moment il cherchait une occasion favorable pour le leur livrer à l’insu de la foule.

Episode 203. Commentaire.

 

L’algarade subie par Judas, de la part de Jésus, pendant le repas à Béthanie, fut sans doute le mécanisme psychologique qui déclencha sa décision de trahir son Maître. Chose remarquable, cette remontrance de Jésus, adressée au seul Judas, n’est racontée que par Jean. Et la démarche de Judas auprès des autorités du Temple, aussitôt après le repas, ne nous est connue que par les synoptiques. Les deux versions, de Jean et des synoptiques, s’ajustent parfaitement l’une à l’autre, et se complètent. Elles se confortent l’une par l’autre.

Cette journée de lundi, Lundi Saint 30 mars 33, fut donc tout à fait propice pour Judas pour perpétrer sa trahison. Il a dû s’éclipser discrètement pendant la longue manifestation de la procession messianique, sous un prétexte quelconque, et son absence passa tout à fait inaperçue. Il n’a dû rejoindre le groupe des disciples que le soir, au moment de rentrer sur Béthanie, ou plutôt sur le domaine de Gethsémani.

Judas savait parfaitement que les grands prêtres cherchaient une occasion favorable pour arrêter Jésus, et si possible le faire condamner à mort. Il était au courant des délibérations de la veille, dimanche (notre épisode 200) dans le palais de Caïphe. Un grand nombre de sanhédrites y avait participé, et sans doute des partisans secrets de Jésus, comme Nicodème ou Joseph d’Arimathie.

Les sanhédrites avaient quitté les lieux dès la veille au soir. Judas demanda une audience aux seuls grands prêtres. Il fut reçu avec empressement. « A cette nouvelle, ils se réjouirent et ils promirent de lui donner de l’argent. » (Mc 14, 11). Luc précise qu’il se concerta aussi avec les chefs des gardes, sur le moyen de le livrer. Ce qui laisse supposer que Judas est demeuré plusieurs heures dans le palais des grands prêtres. Peut-être y est-il revenu à plusieurs reprises. Par Matthieu seul, toujours bien renseigné sur les questions d’argent, nous apprenons que Judas reçut trente pièces d’argent. La nature des pièces n’est pas précisée. Le dicton populaire parle des trente deniers de Judas, prix de sa trahison. Mais la plupart des commentateurs veulent que ce fussent des sicles, la monnaie du Temple. La tétradrachme de Tyr, ou sicle phénicien, valait trois drachmes, ou deniers. Trente sicles équivaudraient à environ (30 X 3 =) 90 deniers. Trois mois de salaire en pouvoir d’achat. Trente sicles représentaient aussi le prix d’un esclave, d’après la Bible (cf. Ex 21, 32).

Au moment de la mort de Judas (notre futur épisode 216), Matthieu grec citera le prophète Zacharie : « Et ils prirent les trente pièces d’argent, le prix du Précieux, qu’ont apprécié les fils d’Israël. » (Mt 27, 9). Ce qui est une traduction approximative de : « Et ils pesèrent mon salaire : trente sicles d’argent. » (Za 11, 12). C’est Zacharie, en l’occurrence, qui parle de peser l’argent, et non pas Matthieu grec. Du temps de Jésus, on comptait les pièces de monnaie, on ne les pesait plus : sauf bien entendu le changeur, quand il vérifiait le bon aloi.

Dès ce moment, Judas cherchait une occasion favorable pour alerter les chiourmes du Temple. Elle se présentera dès le lendemain soir, après la tombée de la nuit (cf. Jn 13, 30), soit le quatrième jour de la semaine pour les juifs.

Les historiens, les exégètes, le grand public, se sont beaucoup interrogés sur les mobiles de la trahison de Judas. Les textes eux-mêmes, on l’a vu, aussi bien les synoptiques que Jean, sont d’accord pour dire que le mobile fut la passion du lucre. « C’était un voleur et […], tenant la bourse, il dérobait ce qu’on y mettait » nous a dit Jean (12, 6) au moment de l’Onction à Béthanie. Et par Matthieu nous apprenons, ici, qu’il trahit pour trente sicles d’argent. On peut cependant discerner dans la psychologie de cette âme sombre d’autres motivations que la simple cupidité : l’incrédulité foncière, la susceptibilité, l’orgueil. Il semble bien que Judas se soit vexé des remontrances de Jésus, à lui adressées publiquement lors de l’Onction à Béthanie : c’est dans la nuit même qu’il a décidé de vendre son Maître. D’autres algarades de ce genre les avaient sans doute précédées. Mais celles-ci ont dû faire déborder le vase. On peut soupçonner aussi une perte de la foi au sujet du mystère eucharistique, tel que le laissait entrevoir Jésus. Peu après le discours sur le pain de vie, dans la synagogue de Capharnaüm (notre épisode 79), on entend Jésus faire cette réflexion désabusée : « Il en est parmi vous qui ne croient pas. » (Jn 6, 64). « Ce langage est trop fort ! Qui peut l’écouter ? » (Jn 6, 60) s’étaient exclamés bien des gens. Judas devait être du nombre. Jésus, peu après, déclarera à ses apôtres : « Ne vous ai-je pas choisis, vous les Douze ? Pourtant l’un de vous est un démon. » (Jn 6, 70). Ici, nul doute qu’il ne s’agisse de Judas (notre épisode 88).

Il ne faudra donc pas d’étonner que Judas sorte du Cénacle, la nuit de la dernière Cène, juste avant l’institution de cette même eucharistie, selon nous et la vraisemblance. (Toutefois, certains commentateurs pensent différemment).

« Satan entra dans Judas » nous dit ici Luc (22, 3). Chez Jean, ce sera seulement pendant la Sainte Cène : « A ce moment-là, après la bouchée, Satan entra en lui. » (Jn 13, 27). Contacte littéraire, entre le troisième et le quatrième évangiles. On en observera plusieurs pendant tout le déroulement de la Passion. Sans doute Luc a-t-il eu connaissance de la tradition johannique, avant même qu’elle ne fût couchée sur le papyrus. Il faut tenir compte aussi du fait que Jean, en rédigeant son évangile, avait celui de Luc sous les yeux.

Les synoptiques, Matthieu grec et Luc, ont ainsi enrichi chacun de leur côté le récit de Marc, en apportant des informations précieuses. Encore une fois la Théorie des deux sources s’applique.

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