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196. Apostrophes aux scribes et aux Pharisiens.

Matthieu 23, 1-3. 23, 5. 23, 7. (23, 6). 23, 8-11).

Marc 12, 38-40.

Luc 20, 45-47.

Comme tout le peuple l’écoutait, Jésus déclara aux foules et à ses disciples, il disait dans son enseignement : « Les scribes et les Pharisiens occupent la chaire de Moïse : faites donc et observez tout ce qu’ils pourront vous dire ; mais ne vous réglez pas sur leurs actes : car ils disent et ne font pas.

« Méfiez-vous des scribes. En tout ils agissent pour se faire remarquer des hommes. C’est ainsi qu’ils font bien larges leurs phylactères et bien longues leurs franges.

« Gardez-vous des scribes qui se plaisent à circuler en longues robes, qui aiment à recevoir les salutations sur les places publiques et à s’entendre appeler 'Rabbi’ par les gens ; qui aiment à occuper les premiers sièges dans les synagogues et les premiers divans dans les festins, et qui dévorent les biens des veuves tout en affectant de faire de longues prières. Ils subiront ceux-là une condamnation plus sévère !

« Pour vous, ne vous faites pas appeler : ‘Rabbi’ ; car vous n’avez qu’un Maître et tous vous êtes des frères. N’appelez personne votre ‘Père ‘ sur la terre : car vous n’en avez qu’un, le Père céleste. Ne vous faites pas non plus appeler ‘Docteur’ : car vous n’avez qu’un Docteur, le Christ. Le plus grand parmi vous se fera votre serviteur. »

Episode 196. Commentaire.

 C’est la conclusion de la polémique qui s’est engagée depuis plusieurs jours sur l’esplanade du Temple depuis, en fait, l’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem. Les intellectuels, les élites, ont été réduits au silence. Mais la multitude continue de l’acclamer, et d’accueillir avec gratitude son enseignement.

Jésus en profite pour mettre en garde son auditoire contre l’attitude des scribes, contre leur religiosité ostentatoire, mais fausse. Ils se sont tus parce qu’ils étaient à court d’arguments, non pas parce qu’ils sont convaincus.

En quelques lignes bien senties Jésus, dans Marc, met en scène leur vanité, leur piété toute extérieure, et dans le même temps leur âpreté au gain. Ils se plaisent à circuler en longues robes. Ils occupent le premier rang dans les synagogues, tout en dévorant le bien des veuves ; ils affectent de faire de longues prières. « Ils subiront, ceux-là, une condamnation plus sévère. » (Mc 12, 40). Ainsi les scribes ne trouvent pas grâce aux yeux de celui qui sera un jour leur juge.

Disons-le d’emblée. Matthieu grec a considérablement amplifié le discours de Marc, alors que Luc, lui, l’a presque intégralement recopié, sans ajout notable. Matthieu grec a profité des quelques lignes de Marc pour introduire tout un chapitre de diatribes contre les scribes et les Pharisiens : le chapitre 23 dans la division actuelle de son évangile. Il a emprunté divers éléments, à Marc d’abord, à plusieurs endroits de la source Q ensuite, puisque nous retrouvons dans ce chapitre maints parallèles avec la grande insertion de Luc. Enfin il a enchâssé le tout dans une composition personnelle de grand style. Il procèdera de même à l’occasion du discours eschatologique que nous rencontrerons bientôt (notre épisode 198).

La Théorie des deux sources rend compte à l’évidence de ce travail d’élaboration littéraire. Matthieu grec, comme Luc, ont le texte de Marc sous les yeux qu’ils ont paraphrasé ou enrichi chacun de son côté, de manière très différente. On ne voit pas comment on pourrait expliquer autrement, ici comme ailleurs, les relations subtiles qui s’instaurent entre nos trois synoptiques.

Dans la synopse et dans la synthèse, conformément à leur principe constitutif : en l’absence de parallèle avec Marc, priorité absolue à l’ordre de Luc, nous avons transportés les versets Mt 23, 4 et Mt 23, 13-36 dans la grande insertion de Luc, dans l’épisode 120 : Contre les Pharisiens et les légistes, car ils semblent en provenir.

Nous avons transférés le logion isolé Mt 23, 12 : « Quiconque s’élèvera sera abaissé, et quiconque s’abaissera sera élevé » toujours dans la grande insertion, dans l’épisode 141 : Le choix des places, car il a son parallèle dans Luc.

Nous avons enfin transférés les versets 23, 37-39, toujours dans la grande insertion, dans l’épisode 139 : Apostrophe à Jérusalem, car ils semblent en provenir.

Nous n’avons laissé en parallèle, puis en synthèse, avec Marc que les versets Mt 23, 1-3 et Mt 23, 5-11, parce qu’ils semblent en provenir, ou encore parce qu’ils n’ont pas de parallèle ailleurs dans l’évangile de Luc. Toutefois nous avons placé le verset Mt 23, 6 après le verset Mt 23, 7 afin de respecter le parallélisme avec Marc. 

C’est donc une diatribe virulente contre les scribes et les Pharisiens, alors que Marc et Luc dans leur passage parallèle ne parlaient que des scribes, que Matthieu grec a voulu insérer dans notre premier évangile. Cela correspond tout à fait à l’atmosphère de crise qui régnait dans la première Eglise de Jérusalem telle que nous la décrivent les Actes des apôtres. Le diacre Philippe a dû y prendre une grande part. L’hostilité était grande, en effet, entre la jeune communauté et la synagogue. Le diacre Etienne eut à subir le martyre. Et son long discours que nous a rapporté Luc (cf. Ac 7, 2-53), mais qui avait certainement été noté par le diacre Philippe, son compagnon, contenait les mêmes accents de réprobation que les sept malédictions aux scribes et aux Pharisiens que nous trouvons dans l’évangile : « Nuques raides, oreilles et cœurs incirconcis, toujours vous résistez à l’Esprit Saint ! » (Ac 7, 51).

De façon générale, on constate une grande similitude de dialectique entre ce discours d’Etienne et l’évangile de Matthieu grec tout entier, qui est de prouver la divinité du Christ à l’aide du témoignage des Saintes Ecritures.

Ce n’est guère étonnant s’ils ont quasiment le même auteur : d’une part le diacre Philippe dictant à Luc le discours d’Etienne, et d’autre part le même diacre Philippe rédigeant notre premier évangile.

« Les scribes et les Pharisiens occupent la chaire de Moïse : faites donc et observez tout ce qu’ils pourront vous dire. » (Mt 23, 2-3). La parole authentique de Dieu se transmet même à travers des ministres indignes. Du temps du Christ, la religion d’Israël restait la seule religion officielle et instituée par Dieu. Ceux qui enseignaient en son nom détenaient donc un charisme véritable. Les prêtres de l’ancien culte ne faisaient pas profession d’instruire le peuple. Ils se contentaient d’offrir les sacrifices et d’officier à tour de rôle dans le Temple. On pouvait certes les consulter sur la Loi, ou leur poser des cas de conscience. Mais leurs avis restaient de nature juridique. Ils disaient la norme ou le droit. La chaire de Moïse était donc occupée, à défaut des prêtres, par les scribes ou autres docteurs de la Loi. Ils élaboraient ce qu’on appelle la Mishna, ou commentaire autorisé de la Loi. Ils se groupaient en écoles, parfois rivales.

Dans toute religion installée, les fidèles doivent suivre, au moins à titre provisoire, les consignes, ou les instructions, qui leur sont données. Elles sont censées venir de la part du ciel. Ces religions font office de religion naturelle. Elles exercent un rôle de suppléance. Ce qui ne dispense pas de s’instruire de la religion véritable et, le cas échéant, d’y adhérer.

« Ils font bien larges leurs phylactères et bien longues leurs franges. » (Mt 23, 5). Le phylactère (littéralement : qui préserve) traduit l’hébreu téfiline. Petite boîte renfermant des versets essentiels de la Bible, qu’on s’attache au bras ou au front, en exécution littérale de la Torah : « Tu les attacheras à ta main comme un signe, sur ton front comme un bandeau. » (Dt 6, 8). Les pharisiens affectaient souvent de les porter tout au long de la journée, alors que le simple juif ne les mettait que pour prier.

Les franges étaient des houppes, ou des glands, fixés aux coins du manteau : « Tu feras des glands aux quatre bords de l’habit dont tu te couvriras. » (Dt 22, 12). Le Christ lui-même se conformait à l’usage. La femme hémorroïsse avait touché la frange de son manteau (cf. Mt 9, 20).

« Pour vous, ne vous faites pas appeler ‘Rabbi’, car vous n’avez qu’un Maître, et tous vous êtes des frères. » (Mt 23, 8). ‘Rabbi’, mot araméen signifiant ‘mon Maître’ ; titre habituel des docteurs juifs, d’où notre mot ‘rabbin’. Jésus lui-même était ainsi nommé par ses disciples (cf. Mt 26, 25.49).

Les discours de Jésus rassemblés dans ce chapitre 23 s’adressaient aux foules, aussi bien qu’aux disciples (cf. Mt 23, 1). Mais il semble que les versets Mt 23, 8-12 visent plus particulièrement les disciples, sous forme d’aparté. Jésus envisage un idéal quasi démocratique pour la future société chrétienne. Tous ses membres doivent se sentir égaux, car ils sont frères. Nous n’avons en effet qu’un seul Père, qui est Dieu, un seul Maître et Docteur, qui est le Christ.

« Le plus grand parmi vous se fera votre serviteur. » (Mt 23, 11). Nous avions déjà rencontré cette maxime, clef d’or de la République chrétienne, dans l’épisode 180 : La demande des fils de Zébédée, cf. Mt 20, 26. Elle était d’ailleurs reprise de Marc, à cet endroit-là (cf. Mc 10, 43).

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