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Prenant la parole, comme les Pharisiens se trouvaient réunis, Jésus disait en enseignant dans le Temple, Jésus leur posa cette question : « Quelle est votre opinion au sujet du Christ ? De qui est-il le fils ? » Ils lui dirent : « De David. » « Comment donc, dit-il, David parlant sous l’inspiration l’appelle-t-il Seigneur ? ... « Comment peut-on dire, comment les scribes peuvent-ils dire que le Christ est fils de David ? C’est David lui-même en effet qui a dit par l’Esprit Saint, au livre des Psaumes, dans ce texte : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite jusqu’à ce que j’aie mis tes ennemis dessous tes pieds ; jusqu’à ce que de tes ennemis je t’aie fait un marchepied. « Si David en personne l’appelle Seigneur, comment dès lors peut-il être son fils ? » Nul ne fut capable de lui répondre un mot. Et à partir de ce jour personne n’osa plus l’interroger. Et la masse du peuple l’écoutait avec plaisir. |
On retrouve en parallèle nos trois évangiles synoptiques. « Et nul n’osait plus l’interroger » a terminé Marc (12, 34) dans l’épisode précédent. Les voilà tout intimidés par leurs échecs répétés. Jésus a fermé la bouche tour à tour aux hérodiens, aux sadducéens et aux Pharisiens. Leur dialectique, pourtant bien affûtée, a tourné court. Ils sont restés muets, pour ne pas dire interloqués.
A Jésus de reprendre la parole. Ses arguments ne sont pas épuisés. Il lui reste beaucoup de munitions dans sa musette. De plus, il a la santé insolente de la jeunesse, face à ses adversaires, des demi-vieillards rabougris. Il a le souffle. Ils n’ont que l’ahanement.
Tiens ! Si l’on ciblait plutôt les scribes ? « Comment les scribes peuvent-ils dire que le Christ est fils de David ? » (Mc 12, 35). Matthieu grec prétend que Jésus interpelle les Pharisiens réunis : « Quelle est votre opinion au sujet du Christ ? De qui est-il le fils ?’ – Ils lui disent : ‘De David’. » (Mt 22, 42). Tandis que Luc soutient que Jésus s’adresse aux scribes eux-mêmes : « Comment peut-on dire que le Christ est fils de David ? » (Lc 20, 41). Mais cela revient à peu près au même. Chaque hagiographe a sa manière différente de présenter les choses. La plupart des scribes étaient d’obédience pharisienne.
Il était admis de tout le monde, esséniens comme Pharisiens, scribes comme gens du peuple, que le futur Messie, ou Christ, serait fils de David. Il relèverait ainsi la maison de David, et rétablirait du même coup la royauté légitime. Les docteurs juifs avaient dans leurs cours de faculté tout un chapitre intitulé : le Christ, fils de David. Les rabbins d’aujourd’hui maintiennent encore cette fiction, même si la filiation davidique s’est diluée dans le peuple par la force des choses, depuis maintenant plus de trois mille ans.
Mais la pointe de Jésus vient là. Si le Christ est fils de David, comment David lui-même dans le psaume 110 peut-il l’appeler son Seigneur ? « C’est David lui-même qui a dit par l’Esprit Saint : ‘Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite, jusqu’à ce que j’aie mis tes ennemis dessous tes pieds.’ » (Mc 12, 36 d’après Ps 110, 1). Matthieu grec précise la formule : « David parlant sous l’inspiration. » (Mt 22, 43). S’il est son Seigneur, il n’est pas son fils, ou inversement.
On tient là l’un des lieux théologiques précis qui nous affirme que la Bible toute entière est écrite sous l’inspiration de l’Esprit de Dieu. Cela suppose connue, d’abord, l’existence de ce même Esprit. Mais en réalité tout le texte biblique en parle, ou le désigne, depuis que nous le voyons planer sur les eaux dans les premiers versets de la Genèse (cf. Gn 1, 2).
La juste réponse à l’aporie de Jésus eût été de convenir que tout en descendant de David par ses origines humaines, le Messie avait aussi un caractère divin, qui le rendait supérieur à David et que ce dernier avait prophétisé dans le psaume. De même, il serait à la fois le fils et le Seigneur de Marie.
Mais les Pharisiens restent muets, car ils ne peuvent même soupçonner l’origine divine du Messie. Marc nous indique toutefois que « la masse du peuple l’écoutait avec plaisir. » (Mc 12, 37). De la catéchèse en forme de dialogue, ou de discussion permanente, qui était propre aux docteurs juifs, mais qui pouvait conduire à la contestation, voire à l’exaspération, on passe insensiblement à la didascalie proprement chrétienne, qui est enseignement autorisé, avec écoute attentive de la parole de Dieu. Elle sera pratiquée sous cette forme dans l’Eglise chrétienne à partir du jour de la Pentecôte : « Ils se montraient assidus à l’enseignement des apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. » (Ac 2, 42). La foule qui, dans les parvis du Temple, s’attache aux paroles de Jésus devient par anticipation une assemblée chrétienne. On ne doit pas prétendre en remontrer à l’envoyé de Dieu, ni à l’Esprit qui s’exprime par lui.
Et Matthieu grec se permet d’ajouter : « A partir de ce jour personne n’osa plus l’interroger. » (Mt 22, 46). Ce que Marc et Luc avaient exprimé, pour leur compte, à la fin de l’épisode précédent (cf. Mc 12, 34 et Lc 20, 40). On ne peut déterminer avec certitude quel fut ce ‘jour’ mémorable signalé par les trois synoptiques. Mais il est certain que c’était pendant l’avant-dernière semaine de Jésus, alors qu’il enseignait dans le Temple, quelque deux ou trois jours avant le dimanche de l’Onction à Béthanie. Probablement le jeudi 26 ou le vendredi 27 mars de l’an 33.