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Il se mit alors à leur parler en paraboles, à dire au peuple la parabole que voici : « Ecoutez une autre parabole. Un homme était propriétaire et il planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et y bâtit une tour ; puis il la loua à des vignerons et partit à l’étranger pour longtemps. Le moment venu, quand arriva le moment des fruits, il envoya vers ces vignerons un serviteur pour percevoir d’eux, pour se faire remettre sa part des fruits de la vigne. Mais les vignerons se saisirent de lui, le battirent et le renvoyèrent les mains vides, après l’avoir battu. De nouveau il leur envoya un autre serviteur, et celui-là aussi ils le battirent, le frappèrent à la tête, le couvrirent d’outrages et le renvoyèrent les mains vides. Et il en envoya encore un troisième et, lui aussi, ils le blessèrent et le jetèrent dehors. Et il envoya un autre : celui-là ils le tuèrent ; puis beaucoup d’autres. « Il envoya ses serviteurs aux vignerons pour en percevoir les fruits. Mais les vignerons se saisirent de ses serviteurs, battirent l’un, tuèrent l’autre, en lapidèrent un troisième, battirent les uns, tuèrent les autres. De nouveau, il envoya d’autres serviteurs, plus nombreux que les premiers, et ils les traitèrent de même. « Le maître de la vigne se dit alors : ‘Que faire ?’ Il lui restait encore quelqu’un, son fils bien-aimé : ‘Je vais envoyer mon fils bien-aimé ; peut-être auront-ils pour lui des égards ?’ Finalement il leur envoya son fils, le dernier, en se disant : ‘Ils auront des égards pour mon fils.’ Mais ces vignerons, en voyant le fils, se dirent par devers eux, se faisaient entre eux ce raisonnement : ‘Voici l’héritier, allons-y ! tuons-le, pour que l’héritage soit à nous.’ Et le saisissant, ils le tuèrent et le jetèrent hors de la vigne ; le jetant hors de la vigne, ils le tuèrent. Lors donc que reviendra le maître de la vigne, que fera-t-il à ces vignerons ? Que leur fera donc le maître de la vigne ? » Ils lui répondent : « Il viendra, fera périr misérablement les vignerons, ces misérables, et donnera la vigne à d’autres, louera la vigne à d’autres vignerons qui lui en livreront les fruits en temps voulu. » A ces mots ils dirent : « A Dieu ne plaise ! » Mais fixant sur eux son regard, Jésus leur dit : « Que signifie donc ce qui est écrit ? N’avez-vous jamais lu ce passage des Ecritures : La pierre qu’avaient rejetée les bâtisseurs, c’est elle qui est devenue pierre de faîte ; c’est là l’œuvre du Seigneur et elle est admirable à nos yeux ? « Quiconque tombera sur cette pierre s’y fracassera et celui sur qui elle tombera, elle l’écrasera. Aussi je vous le dis : le Royaume de Dieu vous sera retiré pour être confié à un peuple qui lui fera produire ses fruits. » Sur l’heure, les grands prêtres, les scribes et les Pharisiens, en entendant ces paraboles, cherchèrent à mettre la main sur lui, à l’arrêter, mais ils eurent peur du peuple, de la foule. Car ils avaient bien compris que c’était pour eux qu’il avait dit cette parabole. Ils comprirent bien qu’il les visait. Tout en cherchant à l’arrêter, ils eurent peur des foules car elles le tenaient pour un prophète. Et le laissant, ils s’en allèrent. |
Cette fois la parabole est dans Marc. Et les deux autres synoptiques, Matthieu grec et Luc, la transposent fidèlement. Elle paraît tout à fait authentique. Dans ce lieu et dans ce temps, elle se trouve bien en situation, fidèlement rapportée par Marc, l’interprète de Pierre. Alors que les paraboles environnantes, de la synthèse, ont pu être rajoutées par Matthieu grec, le diacre Philippe, dans ce contexte. Ce qui ne veut pas dire qu’elles ne proviennent pas, elles aussi, de la catéchèse christique.
Les responsables juifs sont spécialement visés. La Bible de Jérusalem, à propos de cette parabole, use du terme d’allégorie « car chaque trait du récit a sa signification : le propriétaire est Dieu ; la vigne, le peuple élu, Israël ; les serviteurs, les prophètes ; le fils, Jésus, tué hors des murs de Jérusalem ; les vignerons homicides, les juifs infidèles ; l’autre peuple à qui sera confiée la vigne, les païens. » (Note à Mt 21, 33).
La narration de Marc, comme à son habitude, est particulièrement vivante, contrastée, dramatique.
Luc rajoute un dicton qui semble tiré de la source Q, l’évangile araméen : « Quiconque tombera sur cette pierre s’y fracassera et celui sur qui elle tombera, elle l’écrasera. » (Lc 20, 18). Il en a la frappe, ou l’allure. Une sorte de logion errant, assez artificiellement rattaché à la « pierre de faîte » du psaume 118, cité par les trois synoptiques.
Chez Marc « ils cherchaient à l’arrêter. » (Mc 12, 12). Matthieu grec précise que ce sont « les grands prêtres et les Pharisiens. » (Mt 21, 45). Et Luc parle des « scribes et des grands prêtres » (Lc 20, 19) les mêmes qui questionnaient Jésus sur son autorité (cf. Lc 20, 1).
L’historien Daniel-Rops, résumant le sentiment commun, déclare qu’ils étaient sur le point de se ruer sur lui, tant son verbe incisif les exaspérait.
Mais la présence de la foule, et aussi l’illégalité d’un tel geste, qui eût frisé le lynchage, les retenaient. Il est vrai que la tension est extrême. Jésus de son côté, refusant toute prudence humaine, ne fait rien pour la faire retomber.
A la lecture de cette parabole on pourrait s’étonner de la naïveté obstinée du Bon Dieu, de sa générosité à fonds perdus, inépuisable, paradoxale. On frappe son premier serviteur que l’on renvoie les mains vides ; le second serviteur est frappé à la tête et couvert d’outrages ; le troisième y laisse sa peau ; enfin beaucoup d’autres sont traités pareillement ; en dernier il envoie son propre Fils, son bien-aimé : « Ils auront des égards pour mon Fils » (Mc 12, 6), dit-il dans sa candeur.
Cette pensée profonde a été détaillée par saint Thomas d’Aquin. Dieu n’est pas l’auteur du mal et, en un sens, il ne peut même pas l’imaginer. Le péché ne vient certes pas de lui. Il en est chaque fois comme étonné, affligé, sinon meurtri. Il est vrai qu’à chacun de nous, et à l’humanité entière, Dieu a consenti un crédit qui semble fou. Bien que nous sachant pécheurs, il nous a quand même livré son Fils.