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181. Les deux aveugles (ou l’aveugle) de Jéricho.

Matthieu 20, 29-34. Marc 10, 46-52. Luc 18, 35-43.

Or, comme il approchait de Jéricho, un aveugle était assis au bord du chemin et mendiait.

Ils arrivent à Jéricho. Et comme il sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule nombreuse, le fils de Timée (Bartimée), un mendiant aveugle, était assis au bord du chemin.

Comme ils sortaient de Jéricho, une foule nombreuse le suivit. Or voici que deux aveugles étaient assis au bord du chemin.

Entendant marcher la foule il demanda ce que cela signifiait. On lui annonça que c’était Jésus le Nazaréen qui passait par là. Quand il apprit que c’était Jésus le Nazarénien, il se mit à crier, alors il s’écria : « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi ! »

Quand ils apprirent que Jésus passait, ils s’écrièrent : « Seigneur, aie pitié de nous, fils de David ! »

Et beaucoup de ceux qui marchaient en tête le rabrouaient pour lui imposer silence.

La foule les rabroua pour leur imposer silence.

Mais lui criait de plus belle : « Fils de David, aie pitié de moi ! »

Mais ils redoublèrent leur cris : « Seigneur, aie pitié de nous, Fils de David ! »

Jésus s’arrêta donc et ordonna de le lui conduire. Il dit : « Appelez-le. » On appelle l’aveugle en lui disant : « Courage ! Lève-toi, il t’appelle. » Et lui, rejetant son manteau, bondit et vint à Jésus. Alors Jésus lui adressa la parole ; quand il fut près il lui demanda : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? »

Jésus s’arrêtant, les appela et leur dit : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? »

L’aveugle lui répondit : « Rabbouni, Seigneur, que je voie ! »

« Seigneur, répondent-ils, que nos yeux s’ouvrent ! »

Jésus lui dit : « Va, ta foi t’a sauvé. Vois ; ta foi t’a sauvé. »

Et aussitôt, à l’instant même, il recouvra la vue et il cheminait à sa suite en glorifiant Dieu.

Pris de pitié, Jésus leur toucha les yeux et aussitôt ils recouvrirent la vue et ils se mirent à sa suite.

Et tout le peuple, à ce spectacle, célébra les louanges de Dieu.

Episode 181. Commentaire.

Matthieu grec diverge gravement de Marc et Luc : il voit deux aveugles à Jéricho, alors que les deux autres synoptiques n’en voient qu’un. Il est assez coutumier du fait. Déjà, dans l’épisode 66, Matthieu grec mentionnait deux démoniaques Gadaréniens, alors que Marc et Luc ne parlaient qu’un d’un seul démoniaque Gérasénien. De même, lors de l’entrée messianique de Jésus à Jérusalem, notre futur épisode 184, deux ânes seront mobilisés selon Matthieu grec pour véhiculer Jésus, une ânesse et son ânon, tandis que Marc et Luc n’en signaleront qu’un.

En fait, cette configuration est tout à fait conforme à la Théorie des deux sources, et même s’explique par elle. C’est bien Marc le document maître qui a inspiré le récit des trois synoptiques. Et Luc est l’organe témoin qui nous atteste que la narration originale est celle de Marc. Et c’est Matthieu seul qui l’a modifiée.

Ce qui précède ne signifie aucunement que la vérité historique ne soit pas du côté de Matthieu grec, le diacre Philippe. Il a pu corriger, ou améliorer, sciemment la version simplifiée de Marc, imitée par Luc, selon des sources historiques particulières. Il était lui-même très proche des événements. Il a fréquenté des témoins fiables de la vie et du ministère de Jésus. Dans la synthèse, nous ne décidons pas qui détient la vérité. Nous juxtaposons, nous condensons, comme d’habitude les trois narrations (parfois quatre) et le résultat obtenu, le texte composite, bien qu’un peu bizarre ici, se lit très bien. On dirait un conte à deux voix, ou plus, qui se superposent. Elles ne détonnent pas entre elles.

Autre divergence, autre difficulté, mais cette fois c’est Luc qui fait bande à part. Matthieu grec et Marc placent l’aveugle (ou les deux aveugles) à la sortie de Jéricho, tandis que, dans Luc, Jésus le rencontre à l’entrée (sic !).

Mais cette autre configuration confirme encore, et remarquablement, la Théorie des deux sources. C’est toujours Marc qui est la source commune. Matthieu grec devient ici l’organe témoin pour nous attester que le récit original figure bien dans Marc. 

Cette double disposition, croisée : deux aveugles dans Matthieu grec, et un seul dans Marc et Luc, le ou les aveugles à la sortie dans Matthieu grec et Marc, l’aveugle à l’entrée chez Luc seul, atteste que c’est la narration de Marc qui occupe la situation centrale. C’est elle qui livre la version originale de l’anecdote, dont les autres hagiographes se sont inspirés.

Ils arrivent à Jéricho. La ville est située à 250 mètres au-dessous du niveau des mers, sur les flancs de la vallée du Jourdain. Une des plus vieilles cités antiques, puisque ses premiers remparts dateraient du IXe millénaire avant J.-C., elle fut détruite puis reconstruite à de nombreuses reprises. La prise de Jéricho par Josué, et sa destruction totale, serait à placer en 1493 avant notre ère, selon la Chronologie israélite synchronisée de Gérard Gertoux, 480 ans avant la construction du Temple par Salomon, en 1013 avant notre ère (cf. 1 R 6, 1).

La ville maudite par Josué occupe le site déserté de Tell es-Sultan, objet de fouilles archéologiques.

La ville qu’a connue Jésus-Christ s’étendait plus bas, vers la plaine. A cause de son climat tropical, avec ses sources abondantes, elle était un lieu de villégiature très apprécié, surtout en hiver. Hérode y avait construit un magnifique palais, sur la voie romaine montant vers Jérusalem. C’est là qu’il devait mourir. Son fils Archélaüs en fit sa résidence. La région de Jéricho était renommée pour sa végétation luxuriante. Ses palmiers dattiers, et ses roses, étaient célèbres.   

Cette deuxième ville a également été ruinée, au début de la guerre juive, en juin 68 de notre ère. Et la ville moderne s’étend encore plus à l’est. Elle compte quelque 18.000 âmes. C’est d’ailleurs la ville la plus basse du monde.

Au temps de Jésus-Christ déjà elle devait comporter plusieurs faubourgs. Pas étonnant si les évangélistes se mélangent un peu les pinceaux sur les entrées et les sorties.  

Le mendiant aveugle s’appelle Bartimée. Marc seul nous donne ce nom et il estime nécessaire de préciser, pour ses lecteurs non juifs, que cela signifie ‘fils de Timée’. On annonce à l’aveugle, d’après Luc, que « c’était le Nazaréen, il se mit à crier. » (Lc 18, 37). Mais d’après Marc « quand il apprit que c’était Jésus le Nazarénien, il se mit à crier. » (Mc 10, 47). Les évangélistes utilisent indifféremment les deux orthographes, Nazaréen et Nazarénien, pour désigner l’habitant de Nazareth, ou l’homme originaire de Nazareth. Preuve que la forme Nazaréen (Nazôraios en grec) n’a pas de signification particulière, et ne saurait faire allusion à quelque tribu, ou à quelque secte. C’est plus tard que l’appellation prendra un caractère péjoratif, pour désigner, dans les langues sémitiques, les partisans de Jésus.

Nazaréen est la forme adoptée par Matthieu grec, Jean et les Actes. Nazarénien est la forme usitée chez Marc, tandis que Luc a les deux formes.

Mais les trois évangélistes sont bien d’accord pour dire que l’aveugle, ou les aveugles, criaient avec insistance : Fils de David, aie pitié de moi, ou de nous ! Le cri de l’aveugle (ou des aveugles) est répété dans les trois évangiles. La fonction thaumaturgique de Jésus, dans l’esprit du peuple, n’était pas dissociée de sa filiation davidique. ‘Fils de David’ voulait équivalemment dire ‘Messie’. Et le Messie, c’était le Fils de Dieu.

Jésus confirme avec éclat cette interprétation en concédant le miracle.

Les prédicateurs soulignent volontiers la conversion qui s’opère dans la foule à la demande de Jésus. Un peu comme chez les disciples, par rapport aux petits enfants. La foule d’abord rabroue avec vivacité les cris intempestifs de ce Bartimée, ou de ces aveugles associés. Mais Jésus, tout au moins d’après Marc et Luc, invite discrètement le spectateur à collaborer à la bonne action qu’il va poser. Il demande qu’on appelle l’aveugle.

Remarquons la vivacité du récit original de Marc. Il a des détails concrets, des formules pittoresques, que n’ont pas reproduits exactement ses imitateurs. La foule encourage l’aveugle. Il rejette son manteau. Il bondit. Il demande à Jésus : « Rabbouni, que je voie ! » (Mc 10, 51). Marc est seul des trois synoptiques à reproduire ce terme araméen, certainement authentique ici. On le retrouve également dans saint Jean (cf. Jn 20, 16), et qui veut dire ‘mon maître’ ou ‘cher maître’, diminutif de ‘rabbi’. Tous ses traits saisis sur le vif, à travers le témoignage de l’apôtre Pierre, signent la narration originale, le discours primitif.

Les trois évangélistes marquent que l’aveugle, ou les aveugles, se mirent à la suite de Jésus, après leur guérison. Mais Luc ajoute une notation qui lui est particulière : « en glorifiant Dieu. Et tout le peuple, à ce spectacle, célébra les louanges de Dieu. » (Lc 18, 43). La louange de Dieu, mise dans la bouche des gens du peuple, est l’une des caractéristiques de l’évangile lucanien.

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