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Alors la mère de Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s’approcha de lui avec ses fils et se prosterna pour lui demander quelque chose. Ils s’approchent de lui et lui disent : « Maître, nous voulons que tu fasses pour nous ce que nous allons te demander. » « Que veux-tu ? », lui dit-il. Il leur répondit : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » Elle lui dit : « Voici mes deux fils, ordonne qu’ils siègent l’un à ta droite et l’autre à ta gauche dans ton Royaume. » « Accorde-nous, lui dirent-ils, de siéger l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire. » « Vous ne savez pas ce que vous demandez, répliqua Jésus ; pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, que je dois boire, et être baptisés du baptême dont je dois être baptisé ? » Ils lui répondirent : « Nous le pouvons. » « Soit, reprend Jésus, vous boirez ma coupe. La coupe que je dois boire, vous la boirez, et le baptême dont je dois être baptisé, vous en serez baptisés : Quant à siéger à ma droite et à ma gauche, il ne m’appartient pas d’accorder cela, mais c’est pour ceux à qui mon Père l’a destiné. » Les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s’indigner contre les deux frères, contre Jacques et Jean. Les ayant appelés près de lui, Jésus leur dit : « Vous savez que ceux qu’on regarde comme les chefs des nations leur commandent en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous : au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous, se fera votre serviteur, et celui qui voudra être le premier d’entre vous, le premier parmi vous, se fera votre esclave, se fera l’esclave de tous. Aussi bien c’est ainsi que le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude. » |
Luc ici nous fait faux bond. Matthieu grec et Marc seuls font entendre la demande des fils de Zébédée, ou plutôt de leur mère. Nous ne savons pas pourquoi Luc omet cet épisode.
Tandis que dans l’original de Marc, seuls Jacques et Jean présentent leur requête à Jésus : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » (Mc 10, 36), dans Matthieu grec, c’est la mère des fils de Zébédée qui s’approche de lui avec ses fils et se prosterne à ses pieds pour lui demander quelque chose : « ‘Que veux-tu ?’ lui dit-il. » (Mt 20, 21). Mais dans les deux cas Jésus répond à la sollicitation en s’adressant directement aux deux fils : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. » (Mt 20, 22 ; Mc 10, 38).
C’est sans doute selon de bonnes sources que le diacre Philippe a cru devoir modifier la présentation de Marc. Il savait pertinemment, par l’apôtre Pierre et par Jean lui-même, et pourquoi pas par Jacques le majeur, personnalités qu’il avait longuement côtoyées en Palestine, que la mère de Jacques et Jean, avait elle-même présenté la demande de ses deux fils. C’est seulement par Marc, d’ailleurs, que nous apprenons que cette noble dame s’appelait Salomé (cf. Mc 15, 41).
Jean lui-même, dans son évangile, n’a pas raconté l’incident. Peut-être a-t-il estimé, comme Luc, que ce n’était pas très flatteur pour lui-même, pour son frère, pour sa mère et même, par ricochet, pour son propre père, Zébédée, dont le nom est cité avec insistance par les évangélistes (y compris lui-même dans son chapitre 21 : cf. Jn 21, 2) et donc pour toute la famille !
Beaucoup de commentateurs (ne parlons pas des prédicateurs !) se sont offusqués, à l’exemple des dix autres apôtres, de cette pétition des deux fils : on a psychanalysé beaucoup d’ambition plus ou moins consciente. Et Jésus lui-même en finale ne manque pas de rappeler le devoir des chefs de servir, surtout dans le Royaume !
On remarque cependant qu’il ne rebute pas la requête de ses deux disciples, on peut le dire, préférés. Il ne refuse pas de la satisfaire ; et la suite des événements nous démontre qu’elle fut en quelque sorte ratifiée par la Providence. Jacques le majeur n’est-il pas devenu le premier des apôtres martyrs ? Noble couronne, et palme qui ne lui sera pas contestée. Quant à Jean il deviendra l’un des principaux témoins de la pensée comme de la vie du Christ.
Quant à Salomé, la mère, que l’on serait tenté de critiquer, elle fait partie à tout jamais des saintes femmes qui ont suivi le Christ jusqu’au bout. Elle sera au pied de la croix (cf. Mc 15, 41). Elle sera l’un des premiers témoins du Christ ressuscité (cf. Mc 16, 1), avant même les apôtres.
« Quant à siéger à ma droite et à ma gauche, il ne m’appartient pas d’accorder cela, mais c’est pour ceux à qui mon Père l’a destiné. » (Mt 20, 23). Marc écrit : « Ceux à qui cela a été destiné. » (Mc 10, 40). L’octroi des places dans le Royaume n’appartient pas à l’humanité du Fils de l’homme en tant que telle, mais bien à la divinité proprement dite, en vertu du mystère de la prédestination. Cette divinité qui est celle du Père, comme du Fils, et comme de l’Esprit.
Les dix autres s’indignent contre les deux frères. Ils ne s’en prennent pas à la vertueuse Salomé. Surtout Pierre, sans doute, qui risquait de se voir dessaisi de la primauté. Mais non, Pierre, les dons de Dieu sont sans repentance. De toute façon, la primauté elle-même n’est qu’un service, plus grand que les autres.
« Vous savez que ceux qu’on regarde comme les chefs des nations leur commandent en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous. » (Mc 10, 42-43). La leçon de choses donnée ici par le Christ retentira tout au long des siècles dans les rangs des responsables ecclésiastiques, ou même laïcs. Subrepticement, comme à son habitude, Jésus vient d’accomplir une nouvelle révolution silencieuse, une révolution des mœurs qui se répercutera jusque dans le domaine politique. Désormais le gouvernement des peuples deviendra moins une prérogative qu’une charge, un service de la communauté et du bien commun. Cette révolution-là n’aura jamais fini d’être mise en application : on peut soutenir sincèrement que nos régimes démocratiques, ou sociaux, modernes sont un essai (ô encore bien imparfait !) de mettre en pratique la maxime évangélique.
« Le Fils de l’homme lui-même n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mt 20, 28 ; Mc 10, 45) conclut Jésus. Il va en administrer la preuve dans les jours qui viennent. C’est ainsi que l’incident provoqué par la discrète mère des fils de Zébédée, ou plutôt par les impétueux fils de Zébédée eux-mêmes, revient à son point de départ : une nouvelle annonce de la Passion.