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Et Jésus, lors de ses débuts, avait environ trente ans, et il était fils de, croyait-on, Joseph, d’Héli, de Matthat, de Lévi, de Melchi, de Jannaï, de Joseph, de Mattathias, d’Amos, de Naoum, d’Esli, de Naggaï, de Maath, de Mattathias, de Séméin, de Joseph, de Joda, de Joanam, de Résa, de Zorobabel, de Salathiel, de Néri, de Melchi, d’Addi, de Kosam, d’Elmadam, d’Er, de Jésus, d’Eliézer, de Jorim, de Maththat, de Lévi, de Siméon, de Juda, de Joseph, de Jonam, d’Eliakim, de Méléa, de Menna, de Mattatha, de Nathan, de David, de Jessé, de Jobed, de Booz, de Sala, de Naasson, d’Aminadab, d’Admin, d’Arni, de Hesron, de Pharès, de Juda, de Jacob, d’Isaac, d’Abraham, de Thara, de Nachor, de Sérouch, de Ragau, de Phalec, d’Eber, de Sala, de Kaïnam, d’Arphaxad, de Sem, de Noé, de Lamech, de Mathousala, de Hénoch, de Iaret, de Maleléel, de Kaïnam, d’Enos, de Seth, d’Adam, de Dieu. |
Faisons un sort, tout d’abord, à l’âge de Jésus.
Selon la chronologie de Gérard Gertoux, Jésus est né à Bethléem le 29 septembre – 2, le 1er Tishri, soit le premier jour de l’année civile, autrement dit Rosh hashana, ou nouvel an juif. Nous avons indiqué sommairement, dans le commentaire de l’épisode 2, les principes de calcul de Gertoux. Il se base sur l’ordre des 24 classes, servant à tour de rôle, une semaine chacune, après l’achèvement des festivités de Pâque, dans le Temple de Jérusalem. La classe d’Abiyya, celle de Zacharie, père de Jean-Baptiste, était la huitième. On pose que Jésus est né exactement six mois après le Baptiste. Gertoux se base aussi sur la mort d’Hérode, fixée par lui, et il le démontre, au 26 janvier – 1, un 2 Shebat, selon une tradition juive. Jésus donc n’a pu naître que quelques mois avant, en fin – 2.
Si Jésus est né le 29 septembre – 2, il aura 30 ans le 29 septembre 29 (il n’y a pas d’année zéro). Or, c’est précisément à cette époque-là, à l’automne de l’an 29, qu’il faut fixer le baptême de Jésus, et les débuts de son ministère public, au début de la deuxième campagne de baptêmes de Jean dans la basse vallée du Jourdain. La 15e année de César Tibère était passée de quelques mois. Jésus, avons-nous dit, a pris un temps de retard sur le Baptiste. Plus jeune que lui de six mois, il l’a laissé tranquillement commencer sa prédication, et n’est venu le rejoindre que lorsque tout le peuple eut été baptisé par lui.
« Et Jésus – nous dit Luc – lors de ses débuts, avait environ trente ans. » (Lc 3, 23). Environ 30 ans, ou comme 30 ans. Toutes ces dates, en effet, doivent s’entendre à quelques jours près. On ne disposait pas alors d’un état-civil aussi précis que de nos jours.
Venons-en maintenant à la généalogie de Jésus, exposée par Luc. C’est là tout un poème ! Cette généalogie a été largement dévalorisée, ou sous-estimée, par la critique moderne. Elle est pourtant essentielle à l’intelligence de l’évangile de Luc.
Même dans les temps anciens, il faut le reconnaître, elle a rarement été appréciée à sa juste valeur, ou comprise comme elle aurait due l’être. Seul un Père de l’Eglise, comme saint Irénée, ou plus tard un saint Bernardin de Sienne, proposé comme docteur de l’Eglise, semblent l’avoir prise en compte dans leur théologie ou leur enseignement catéchétique, en avoir perçu la signification et l’importance pour l’histoire du salut.
Remarquons d’abord sa place dans l’évangile de Luc. Elle vient juste après le récit du baptême du Christ dans le Jourdain. On a déjà signalé la symétrie qui existe entre les évangiles de Luc et de Matthieu grec. La Théorie des deux sources – et bien plus encore l’hypothèse dite du diacre Philippe – en rendent compte exactement. Les deux évangiles ont chacun une généalogie du Christ, quoique distincte et placée différemment. Leurs évangiles de l’enfance sont symétriques, quoique leur contenu soit divers. Matthieu grec et Luc utilisent les mêmes documents, les mêmes sources comme on dit : d’une part l’évangile de Marc, dont ils font chacun la charpente de leur propre ouvrage ; et d’autre part l’évangile araméen de Matthieu, autrement dit la source Q des exégètes allemands, dans laquelle ils puisent dans un ordre absolument dispersé. Ils complètent chacun de son côté leur propre ouvrage par les résultats de leur enquête personnelle, en Palestine et auprès des témoins authentiques de Jésus. Ainsi donc, même les généalogies participent de la symétrie générale, qui fut certainement concertée.
L’une, celle donnée par Matthieu grec (notre épisode 6), est la généalogie royale de Jésus, par Joseph, pour démontrer, sur un plan légal, qu’il est le roi authentique d’Israël et l’héritier de toute son histoire. Elle a été empruntée par le diacre Philippe, soit auprès de l’apôtre Matthieu, dont il a édité l’évangile en grec, soit beaucoup plus vraisemblablement auprès des ‘frères du Seigneur’, autrement dits les membres de la famille de Jésus. Ils gouvernaient pour l’heure l’Eglise de Jérusalem dont lui, Philippe, était le diacre fidèle, et même le premier des diacres depuis le martyre de saint Etienne. C’était les apôtres : Jacques le mineur, Simon ou Siméon, et Jude. La généalogie de Joseph, et de Jésus, était aussi la leur, plus qu’ils étaient les fils de Clopas, lui-même frère de Joseph.
L’autre, proposée ici par Luc, était la généalogie charnelle, ou réelle de Jésus, par Marie sa mère, elle-même descendante de David, mais par Nathan, fils obscur de David, et non par Salomon le roi. Il paraît évident que Luc l’avait obtenue de Marie elle-même, qui devait la conserver comme un bien de famille. Cela se faisait beaucoup dans les familles juives, qui étaient férues de généalogies, qui avaient le culte des ancêtres. Surtout depuis qu’Hérode avait entrepris de détruire les archives officielles, au détriment surtout des familles nobles, ou royales, qui pouvaient lui créer de l’ombrage, à lui qui n’était même pas de sang juif, mais iduméen.
J’ai une idée pourquoi Luc a placé cette généalogie à cet endroit-là, juste après le récit du baptême de Jésus, mais je ne pourrai en rendre compte que plus tard. Oh, et puis non. Je l’expose tout de suite. Si Luc a placé cette généalogie en ce point précis de la structure de son évangile, c’est sur l’ordre même de l’apôtre Paul, dont il était le disciple. A Césarée maritime, quand il élaborait son histoire du Christ, et son histoire de la primitive Eglise, il visitait saint Paul dans sa prison, et le tenait informé de ses projets et de l’avancement de ses travaux. Paul lui a conseillé de la placer là, pour que soit démontré aux yeux de la postérité ce qu’il avait lui-même écrit tout récemment, dans l’en-tête de son épître aux Romains. Cette épître était encore toute fraîche. Elle datait seulement de l’hiver précédent, puisqu’il l’avait rédigée à Corinthe, au tournant des années 56/57. Elle commençait ainsi : « Paul, serviteur du Christ Jésus, apôtre par vocation, mis à part pour annoncer l’Evangile de Dieu, que d’avance il avait promis par ses prophètes dans les saintes Ecritures, concernant son Fils, issu de la lignée de David selon la chair, établi Fils de Dieu avec puissance selon l’Esprit de sainteté, par sa résurrection des morts, Jésus-Christ notre Seigneur. » (Rm 1, 1-4). On nous parle d’évangile, celui, justement, que Luc était en train d’écrire, par mandat de Paul. On nous parle du Fils, issu de la race de David selon la chair, et non pas seulement selon la Loi, comme dans la généalogie de Joseph. Cette généalogie lucanienne aurait pour but de prouver que Jésus était bien le descendant réel de David, charnellement, par Marie sa mère, elle-même descendante de David, par Nathan et non par Salomon. Pourquoi la placer en cet endroit-là de l’évangile? Parce que c’est au moment de son baptême dans le Jourdain que Jésus-Christ notre Seigneur a été établi avec puissance, par l’Esprit de sainteté, comme Fils de Dieu, aux yeux des hommes, ce qui sera plus tard confirmé par sa résurrection glorieuse d’entre les morts.
Considérons maintenant la disposition typographique, selon laquelle est présentée la généalogie dans la synthèse. Elle se veut strictement fidèle à l’original grec. En effet, dans l’original, le mot ‘fils’, au sens de descendant, n’est prononcé qu’une seule fois. Nous lisons :
« Et Jésus […] était fils de, croyait-on, Joseph,
d’Héli, …
de Nathan,
de David,
de Jessé, …
d’Abraham, …
de Noé, …
d’Adam,
de Dieu. »
L’incise « croyait-on Joseph » implique une négation.
En effet, nous savons, par les deux premiers chapitres de l’évangile de Luc, que Jésus n’était pas vraiment le fils de Joseph. Mais cette négation ne peut porter que sur le premier terme de la liste, sous peine de déboucher aussitôt sur des absurdités. Jésus, en effet, ne serait pas le fils de Joseph, ni d’Héli, ni de Nathan, ni de David, ni de Jessé, ni d’Abraham, ni de Noé, ni d’Adam, ni de Dieu. Ce qui serait un comble !
En réalité Jésus n’était pas le fils de Joseph, époux virginal de Marie, mais bel et bien le fils d’Héli, père de Marie, de Nathan, fils obscur de David, de David, de Jessé, d’Abraham, de Noé, d’Adam et de Dieu. Sa filiation divine était ainsi affirmée, à un double titre : en tant que Dieu et en tant qu’homme.
Héli est le diminutif d’Eliacin, qui signifie : Dieu élève. Eliacin est le synonyme de Joachim : Yahvé élève. On sait que la tradition attribue le nom de Joachim au père de Marie.
Dans le Talmud, Marie, mère de Jésus, est formellement identifiée comme étant la "fille d'Héli". (Chagig. 77,4. Cf. Frédéric Godet, Commentaire sur l'Evangile de Luc, Tome I).
Saint Irénée, Père de l'Église, a défendu vigoureusement ce point de vue, affirmant à plusieurs reprises que Marie était elle-même descendante de David (cf. Adv. Hae. III, 9, 2; 16, 3; 21, 5) et que : "C'est de Marie encore Vierge qu'à juste titre il [Jésus] a reçu cette génération qui est la récapitulation d'Adam." (Adv. Hae. III, 21, 10). La génération, qui est la récapitulation d’Adam, n’est autre que cette généalogie lucanienne dans laquelle Jésus-Christ devient en quelque sorte l’ancêtre d’Adam, et le sauve. (Cf. Adv. Hae. III, 22, 3-4).
Saint Irénée devait répéter sur tous les tons, dans son Adversus Haereses, que Marie était bien ce "sein de David" que le psaume avait prédit pour porter le Fils de Dieu (cf. Ps 132,11).
D'ailleurs, objectivement, dans le récit de l'Annonciation, quand l'ange dit à Marie: "Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père" (Lc 1,32), ce ne serait que par Marie qu'il pourrait être dit le véritable "fils de David" puisque quelques instants plus tard nous apprenions qu'il serait conçu du Saint Esprit, et donc sans père humain.
J’ai cité largement, ci-dessus, l’article de Wikipédia (dans sa forme présente, car je ne garantis pas l’avenir !) sur l’évangile selon Luc. Mais comme c’est moi qui en suis l’auteur, ce n’est pas un vol !
Les autres explications, plus ou moins alambiquées, qu’on a données de cette généalogie ne tiennent pas la route. La loi du lévirat, en particulier, qu’on a invoquée, ne s’applique pas ici. En effet, elle avait pour but de susciter une postérité à un homme mort prématurément sans enfant. Mais dans ce cas la postérité nominale et putative du défunt se substituait définitivement à la postérité réelle et charnelle du frère, qui épousait la veuve, sous peine d’absurdité. On ne gardait pas deux généalogies du même individu, mais une seule. Cela tombe sous le sens.
Il est vrai qu’Eusèbe de Césarée (H. E. I, 7) cite longuement une lettre de Jules l’Africain qui soutient une telle opinion. Joseph eût été le fils de Jacob selon la nature, et le fils d’Héli selon la Loi. Mais cette solution ressemble fort à une volonté de concilier après coup les évangiles, et de réduire la contradiction qui scandalisait les chrétiens. Jules l’Africain, auteur du IIIe siècle, n’avait pu consulter les desposynes, les membres de la famille de Jésus. Il était obligé de se lancer dans une explication laborieuse pour montrer que ce Jacob et cet Héli, bien que d’ascendance différente, puisqu’ils avaient une généalogie séparée, n’en étaient pas moins frères utérins !
On doit admirer, par contre, les copistes qui nous ont transmis fidèlement, au long des âges, la teneur de nos évangiles canoniques, malgré leurs divergences apparentes. Le Codex Bezae, lui seul, a tenté d’harmoniser les généalogies. En effet, dans Luc, il reproduit la généalogie donnée par saint Matthieu, mais disposée dans un ordre inverse, un ordre ascendant, de Joseph à David !