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Alors paraît Jésus. En ce temps-là Jésus vint de Nazareth de Galilée. Il vint au Jourdain vers Jean pour être baptisé par lui. Et il fut baptisé par Jean dans le Jourdain. Celui-ci voulait l’en détourner : « C’est moi, disait-il, qui ai besoin d’être baptisé par toi, et toi, tu viens à moi ? » Mais Jésus lui répondit : « Laisse faire pour l’instant : c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice. » Alors il le laisse faire. Or quand tout le peuple eut été baptisé et au moment où Jésus, baptisé lui aussi, se trouvait en prière, le ciel s’ouvrit, et l’Esprit Saint descendit sur lui sous une forme corporelle, tel une colombe. Aussitôt baptisé, au moment où Jésus remontait de l’eau, voici que les cieux s’ouvrirent, il vit les cieux se déchirer et l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et voici qu’une voix venue des cieux disait : « Tu es mon Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur. » « Celui-ci est mon Fils bien-aimé qui a toute ma faveur. » |
La synthèse regroupe ici les synoptiques : Matthieu, Marc et Luc, car Jean ne rapporte pas directement le baptême du Christ. Mais sous sa plume (ou son stylet), Jean le Baptiste en témoignera un peu plus tard (épisode 19).
Il faut comprendre le sens de cette démarche de pénitence, dans la pensée de Jésus. Evidemment, il n’en avait pas besoin. Ce que lui fera remarquer Jean. Mais Jésus voudra accomplir toute justice. C’est-à-dire justifier au nom de Dieu, et aux yeux des hommes, l’authenticité du ministère de Jean le baptiseur. Et du même coup avaliser, approuver, certifier juste, la démarche de tous ceux qui, avant lui, s’étaient soumis humblement et sincèrement au rite, pécheurs comme moins pécheurs. Seuls les orgueilleux, ceux qui n’ont pas cru, seront finalement recalés. Mais du coup, Jésus se posait en disciple du Baptiste. Il s’humiliait devant lui. Il descendait dans l’eau sous ses yeux, et sous les yeux du peuple. Mais aussitôt l’Esprit Saint renversait la situation. Et d’une démarche humble de la part de Jésus, il faisait une démarche de gloire : une véritable intronisation céleste. La première manifestation publique, à vrai dire, de la Très Sainte Trinité.
La première manifestation sur terre de la Très Sainte Trinité s’opéra au profit de Marie, on l’a vu, le jour de l’Annonciation (notre épisode 3). Mais ce fut une manifestation d’ordre privé, et confidentielle, dont Marie témoignera plus tard. La seconde c’est ici, et elle fut publique. La première révélation, en somme, de la Sainte Trinité au profit de l’humanité. Jean en fut le premier témoin, mais pas le seul. Ses disciples étaient là, qui l’authentifieront, et qui deviendront les premiers apôtres de Jésus-Christ. Désormais l’Esprit Saint était présent visiblement sur terre, au moins sur la personne de Jésus, aux yeux de la foi. Il sera présent visiblement sur l’Eglise dès le jour de la Pentecôte, aux yeux de la foi.
Jésus vint au Jourdain avec un temps de retard, car il était plus jeune que Jean-Baptiste, de six mois exactement. En fait, il n’apparut qu’au début de la deuxième campagne du Baptiste dans la basse vallée du Jourdain, à l’automne/hiver de 29/30, au moment où il allait atteindre lui-même sa trentième année. « Une fois que tout le peuple eut été baptisé » nous dit Luc (3, 21). Il vint après le peuple.
Si Jésus descendit dans la vallée du Jourdain, ce fut à l’invitation de sa mère, Marie, ou en tout cas, avec son accord. Il savait qu’il allait inaugurer son ministère. Il laissait sa mère dans son village, et dans sa famille, en compagnie de ses ‘frères’ et ‘sœurs’, les fils et filles de Clopas, autrement dits ses cousins germains. En compagnie de Clopas lui-même, leur père, et de Marie, femme de Clopas, belle-sœur de Marie. Joseph, son père adoptif, semble mort, à ce moment-là, car on n’entendra plus jamais parler de lui, au présent, au cours de la vie publique.
On observe, dans la synthèse, une espèce de bégaiement du texte. Car chaque évangéliste raconte à sa manière l’épisode. La phrase entendue du ciel, en particulier, est rapportée sous deux formes un peu différentes. Marc (1, 11), imité par Luc (3, 22), écrit : « Tu es mon Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur. » Matthieu (3, 17) corrige la formule en disant : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur. » L’une semble s’adresser directement au Christ. Tandis que la seconde vise la foule des assistants. Dans la synthèse, nous avons laissé subsister les deux phrases, car effectivement, elles ont pu être prononcées à la suite, l’une pour Jésus, l’autre pour le peuple. Ou bien alors, elles ont été entendues diversement, ou comprises de manière distincte. Car les paroles de l’évangile ne sont jamais rapportées mécaniquement, comme si elles avaient été enregistrées dans un micro, qui n’existait pas. Elles donnent lieu à des variantes, ou à des interprétations. On l’observera toujours plus dans la suite.
Le Codex Bezae, quant à lui, nous transmet une variante de l’évangile de Luc, qui aurait encore plus fait bégayer le texte si nous l’avions incluse dans la synthèse. En effet, il cite carrément le psaume deuxième : « Tu es mon Fils ; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. » (Ps 2, 7). Mais cette version a contre elle le papyrus P 4, le Sinaiticus, le Vaticanus, le Washingtonus, … bref la plupart des grands manuscrits. C’est pourquoi nous l’avons omise dans la synthèse. Le Codex Bezae, représentant de la tradition occidentale, a tendance, parfois, à ‘améliorer’ le texte.
Le lieu où Jean baptisait est situé par le IVe évangile à Béthanie au-delà du Jourdain (cf. Jn 1, 28) selon la plupart des leçons. Mais plusieurs manuscrits grecs portent Béthabara, qui signifie la maison du passage. C’était un gué important, dans la vallée, à plus de 350 mètres au-dessous du niveau des mers. Origène lui-même, ayant fait des recherches en Palestine, n’a trouvé que Béthabara. Eusèbe de Césarée partage la même opinion. C’est là qu’on plaçait le passage du Jourdain par les Hébreux, au temps de Josué. C’était l’endroit aussi où le prophète Elie avait frappé les eaux avant d’être enlevé dans les airs par un char de feu. On comprend que Jean-Baptiste, attiré par ce double souvenir, se fût intéressé à ce site. Le pèlerin de Bordeaux, en 333, le trouvait cinq mille romains, soit 7, 4 km, au nord de la Mer Morte. La carte de Madaba, du VIe siècle, le place au contraire sur la rive occidentale du Jourdain. Elle indique un édifice surmonté d’une inscription : « Béthabara, lieu du baptême de Jean ». La configuration de ces lieux inondables, naturellement, a pu changer au cours des âges.