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169. Question sur le divorce.

Matthieu 19, 3-4a. 19, 7-8. (19, 4b-6). 19, 9. Marc 10, 2-12.

S’approchant, des Pharisiens lui demandèrent, pour le mettre à l’épreuve : « Est-il permis à un mari de répudier sa femme pour n’importe quel motif ? » C’était pour le mettre à l’épreuve. Il leur répondit : « Qu’est-ce que Moïse vous a prescrit ? » -- « Pourquoi donc, lui disent-ils, Moïse a-t-il prescrit de donner un acte de divorce quand on répudie ? Moïse, dirent-ils, a permis de rédiger un acte de divorce et de répudier. » Alors Jésus leur répliqua : « C’est, leur dit-il, en raison de votre caractère intraitable que Moïse a écrit pour vous cette prescription, qu’il vous a permis de répudier vos femmes ; mais à l’origine il n’en fut pas ainsi. 

« N’avez-vous pas lu que le Créateur, dès l’origine de la création, Dieu, les fit homme et femme et qu’il a dit : Ainsi donc l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair ? Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Eh bien ! ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer. »

Rentrés à la maison les disciples l’interrogèrent de nouveau sur ce point. Et il leur dit : « Or, je vous le dis, quiconque répudie sa femme -- je ne parle pas de la fornication -- et en épouse une autre commet un adultère à l’égard de la première, et si une femme répudie son mari et en épouse un autre, elle commet un adultère. »

Episode 169. Commentaire.

Jean nous quitte pour un moment : jusqu’à la résurrection de Lazare (épisode 175). Nous suivons Matthieu grec et Marc, redevenus parallèles.

Les Pharisiens se préoccupent non seulement de théologie mais aussi de morale. Ils posent à Jésus sous forme de colle casuistique : « pour le mettre à l’épreuve » nous disent aussi bien Matthieu grec (19, 3) que Marc (10, 2), une question qui, mine de rien, les turlupinait beaucoup. « Est-il permis à un mari de répudier sa femme ? » (Mc 10, 2). « Pour n’importe quel motif ? » précise Matthieu (19, 3). Nous ne sommes, nous-mêmes, pas d’accord là-dessus. Voyons voir ce que le Maître en pense. Il va peut-être nous éclairer. Car malgré leur scepticisme en son endroit, ils reconnaissaient la droiture de sa pensée et de son jugement. Qui sait, peut-être ferait-il un bon Pharisien ? Ils se divisaient eux-mêmes en plusieurs écoles. Il y avait les rigoristes et les laxistes. « Les rigoristes, avec Rabbi Shammaï, exigeaient des raisons très graves, en premier lieu desquelles l’infidélité ; les laxistes, avec Rabbi Hillel, permettaient au mari d’apprécier seul ces motifs. » (Daniel-Rops, Jésus en son temps, page 368). Une simple question de convenance.  Et pourtant, il était bel et bien écrit dans le prophète Malachie : « Yahvé est témoin entre toi et la femme de ta jeunesse envers qui tu te montras perfide, bien qu’elle fût ta compagne et la femme de ton alliance. N’a-t-il pas fait un seul être, qui a chair et souffle de vie ? Et cet être unique que cherche-t-il ? Une postérité donnée par Dieu ! Respect donc à votre vie, et envers la femme de ta jeunesse ne sois point perfide ! Car je hais la répudiation, dit Yahvé le Dieu d’Israël, et qu’on étale la justice sur son vêtement, déclare Yahvé Sabaot. Respect donc à votre vie, et ne commettez pas cette perfidie ! » Ml 2, 14-16). Je hais la répudiation, dit Dieu. Jésus va pleinement restaurer cette doctrine des prophètes, et revenir ainsi à l’intention originelle du Créateur, telle qu’elle se manifeste dans la Genèse.

Jésus, dans la nouvelle Loi, la loi d’amour, abolit nettement la tolérance mosaïque de la répudiation légale. Les docteurs juifs s’autorisaient du Deutéronome pour permettre le divorce. « Moïse, dirent-ils, a permis de rédiger un acte de divorce et de répudiation. » (Mc 10, 4). En réalité, ce n’était pas tout à fait cela quand on se rapporte au texte original. Le Deutéronome (24, 1-4) décrivait seulement, comme un fait de société,  la situation de la femme renvoyée par son mari avec un acte de répudiation, et qui avait épousé un autre homme. Si elle devenait veuve de ce second mari, ou était répudiée par lui, le premier mari perdait tout droit de la reprendre : « après qu’elle s’est ainsi souillée. Car il y a là une abomination aux yeux de Yahvé. » (Dt 24, 4).

Le Deutéronome, pris à la lettre, considérait donc bien le remariage d’une femme, du vivant de son premier mari, comme une souillure.

L’autorisation du divorce, par les rabbins juifs, surtout pour un prétexte futile, tenait donc d’une violation pure et simple de la Torah. Le prophète Malachie, comme Jésus, étaient bien fondés à protester contre cette tolérance. En tout cas, Jésus la révoquait formellement pour l’avenir et pour la gouvernance de sa propre Eglise. « Ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer. » (Mc 10, 9). C’est on ne peut plus clair. Il est vrai que l’indissolubilité affirmée ici est une indissolubilité de droit, ou morale : on ne peut dissoudre sans faute grave. Mais pas forcément une indissolubilité de fait. Des autorités religieuses, ou civiles, ont pu, ou pourront dans l’avenir, passer outre. Dans ce cas-là, quelle est la situation des époux, qui demeurent par ailleurs soumis à l’autorité, sujets passifs, et pas forcément pleinement adultes ? Jésus ne juge pas ce cas. Il se contente de poser le principe de droit, lequel oblige en conscience au moins les autorités, civiles ou religieuses.

Les disciples revenus à la maison restent préoccupés par cette question qui n’est pas parfaitement claire dans leur esprit. Jésus réitère son propos de la manière la plus ferme. « Quiconque répudie sa femme et en épouse une autre, commet un adultère à l’égard de la première. » (Mc 10, 11). On a vu, dans l’épisode 154, que cette sentence se trouvait déjà dans la source Q (cf. Lc 16, 18a). Elle est donc de double tradition. Marc prévoit même le cas de la femme qui répudie son mari, ce qui n’était pas prévu dans le droit juif. « Et si une femme répudie son mari et en épouse un autre, elle commet un adultère. » (Mc 10, 12). Nous avons dit ailleurs que c’était là un bon indice que l’évangile de Marc fut rédigé dans un milieu païen, probablement à Rome. La catéchèse de l’apôtre Pierre, fidèlement retranscrite par Marc, s’adaptait à son auditoire.

Il est vrai que, dans Matthieu grec, on lit une version un peu différente de la réponse de Jésus. Ou tout au moins avec une incise spéciale. Dans le commentaire de l’épisode 154, qui traitait aussi de l’indissolubilité du mariage, nous avions promis d’en rendre compte.

Matthieu grec met dans la bouche de Jésus : « Or, je vous le dis, quiconque répudie sa femme – je ne parle pas de la fornication – et en épouse une autre, commet un adultère. » (Mt 19, 9). L’Eglise catholique romaine a toujours compris cette phrase et son incise, avec saint Augustin, comme autorisant la répudiation, après impudicité, mais non pas le remariage. Le lien reste indissoluble. Même l’adultère ne le rompt pas. Saint Paul lui-même, dans sa première aux Corinthiens, avait déjà pris fermement position sur la question : « Quant aux personnes mariées, voici ce que j’ordonne, non pas moi, mais le Seigneur : que la femme ne se sépare pas de son mari, - en cas de séparation, qu’elle ne se remarie pas ou qu’elle se réconcilie avec son mari, - et que le mari ne répudie pas sa femme. » (1 Co 7, 10-11). Il se prévalait bien du Christ lui-même, le Seigneur.

De sorte que les Eglises chrétiennes qui invoquent cette incise de Matthieu pour autoriser plus ou moins le divorce, reviennent de fait à la tolérance mosaïque, ou interprétée comme telle par les rabbins, mais se mettent en contradiction flagrante aussi bien avec l’enseignement de Jésus qu’avec celui de saint Paul.

L’herméneutique qu’a donnée saint Paul des propos de Jésus reste évidemment normative pour tous les chrétiens, comme pour toutes les Eglises.

Cependant, nous ne prétendons pas juger ici des cas des fidèles de ces Eglises, qui ne sont pas forcément responsables de ces interprétations lénifiantes, ou abusives, et qui se retrouvent souvent plus victimes que coupables.

Du côté catholique, le Concile de Trente, dans sa session 24 canon 7, a fixé sans retour la position de l’Eglise sur la question : « Si quelqu’un dit que l’Eglise se trompe, quand elle a enseigné ou enseigne, selon la doctrine de l’Evangile et de l’Apôtre : que le lien du mariage ne peut être rompu par l’adultère de l’un des époux et que ni l’un ni l’autre, pas même l’innocent qui n’a donné aucun motif d’adultère, ne peut, tant que vit l’autre conjoint, contracter un autre mariage ; que sont adultères l’homme qui épouse une autre femme après avoir renvoyé l’adultère, et la femme qui épouse un autre homme après avoir renvoyé l’adultère, qu’il soit anathème. »

A part l’incise, qu’il a ajoutée, Matthieu grec, le diacre Philippe, avait assez fidèlement conservé le texte original de Marc transcrit par lui. Il avait seulement interverti légèrement les versets 10, 6-9 de Marc (correspondant chez lui à Mt 19, 4b-6), en les plaçant tout de suite après les versets Mc 10, 2-3a (correspondant chez lui à Mt 19, 3-4a). Il a omis pourtant la mention de la femme qui renvoie son mari. En Palestine, où il écrivait, le droit juif prévalait pour les judéo-chrétiens.

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