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On célébra alors à Jérusalem la fête de la Dédicace. C’était l’hiver. Jésus allait et venait dans le Temple, sous le portique de Salomon. Les Juifs firent cercle autour de lui et lui dirent : « Jusqu’à quand vas-tu nous faire languir ? Si tu es le Christ, dis-le nous clairement. » Jésus leur répondit : « Je vous l’ai dit, mais vous ne croyez pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père me rendent témoignage ; mais vous ne croyez pas, parce que vous n’êtes pas de mes brebis. Mes brebis écoutent ma voix ; je les connais et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle ; elles ne périront jamais et nul ne les arrachera de ma main. Le Père qui me les a données est plus grand que tous et nul ne peut rien arracher de la main du Père. Le Père et moi, nous sommes un. » Les Juifs apportèrent des pierres pour le lapider. Jésus leur dit alors : « Je vous ai fait voir quantité de bonnes œuvres, venant du Père ; pour laquelle me lapidez-vous ? » Les Juifs lui répliquèrent : « Ce n’est pas pour une bonne œuvre que nous te lapidons ; c’est pour un blasphème : parce que toi, qui n’es qu’un homme, tu te fais Dieu. » Jésus leur répondit : « N’est-il pas écrit dans votre Loi : J’ai dit : vous êtes des dieux ? La Loi appelle donc des dieux ceux à qui s’adressait la parole de Dieu - et on ne peut abolir l’Ecriture ; or à celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde, vous dites : ‘Tu blasphèmes’, pour avoir dit : ‘Je suis Fils de Dieu !’ Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas ; mais si je les fais, quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez en ces œuvres et sachez une bonne fois que le Père est en moi et moi dans le Père. » Ils voulurent l’arrêter mais il leur échappa. |
Et nous retrouvons, dans la synopse, l’évangile de Jean. Et dans l’épisode suivant, Matthieu et Marc. A partir de l’étape en Pérée (épisode 168), le parallélisme entre Matthieu, Marc et bientôt Luc, et quelquefois Jean, reprend, après une longue interruption, et s’affirme. Et ce sera de nouveau l’évangile de Marc qui nous servira de guide puisque, selon la Théorie des deux sources, il est le document maître qui a inspiré Matthieu grec et Luc, et même Jean, surtout pour le récit de la Passion du Christ.
La grande insertion de Luc étant censée se placer, comme on l’a dit dans le commentaire de l’épisode 101 – au début de cette grande insertion - entre la fête des Tentes d’octobre 32 et la fête de la Dédicace de décembre 32, nous parvenons ainsi à cette fête de la Dédicace uniquement racontée par Jean.
Après quoi viendra l’étape en Pérée, également signalée par les évangélistes Matthieu, Marc et Jean, et même supposée par Luc, quelques épisodes plus loin (à partir de l’épisode 171), quand il reprend lui aussi, avec un peu de retard, le parallélisme avec Marc. Puis viendra la résurrection de Lazare à Béthanie, propre à Jean, suivie de l’ultime montée à Jérusalem pour laquelle nos quatre canoniques sont concordants.
La fête des Encénies, avec octave, ou de la Dédicace, ou Hanoukka en hébreu, se célébrait du 25 Kisleu au 2 Tébèt, soit en l’an 32 du 17 au 24 décembre, en calendrier julien. Le 17 décembre 32, c’était juste deux mois après la fin de la fête de Souccot, ou des Tentes, le 17 octobre 32.
Il n’est pas dit d’ailleurs, même si c’est probable, que Jésus est resté toute la fête. Peut-être est-il seulement venu aux alentours du 20 décembre (comme le suppose Petitfils, page 265) et est-il reparti rapidement devant les menaces dont il était l’objet.
La fête de Hanoukka, dite aussi des lumières, commémorait joyeusement pendant huit jours la purification du Temple en 164 avant notre ère, donc 195 ans auparavant (on ne compte pas d’année zéro), par Judas Maccabée et ses frères, après leur victoire sur les hellénistes, trois ans jour pour jour après la profanation de ce même Temple par Antiochus Epiphane le persécuteur.
Le soir, dans chaque famille, on éclaire un chandelier spécial à huit branches : une lumière le premier jour, deux le second, jusqu’à huit le huitième jour. On place volontiers ce chandelier devant les fenêtres, ce qui donne à la ville un aspect saisissant.
On était en hiver, dit le texte, ou tout au moins pas loin du solstice d’hiver. Jésus déambulait sous le portique de Salomon, la double colonnade à l’est du Temple. Les juifs font cercle autour de lui, comme pour lui couper la route. Es-tu le Christ ? Dis-le nous clairement. Je vous l’ai déjà dit, mais vous ne croyez pas, car vous n’êtes pas de mes brebis. Jésus, à la fête précédente, deux mois auparavant, avait enseigné ouvertement qu’il était lui-même le Bon Pasteur (cf. Jn 10, 1-21), celui qui guide les brebis du Père.
Les brebis du Père écoutent la voix du Fils. Nul ne peut les arracher de sa main.
C’est alors que Jésus est amené à affirmer franchement sa divinité. Déjà, à la fête précédente, il n’hésitait pas à proclamer : « Avant qu’Abraham fût, Je suis. » (Jn 8, 58). Et pour cela on avait tenté de le lapider.
En décembre il réitère : « Le Père et moi, nous sommes un. » (Jn 10, 30). Et de nouveau, on saisit des pierres.
Affirmation transcendante et très explicite. D’ailleurs, les chefs juifs ne s’y trompent pas. On parlerait aujourd’hui de consubstantialité du Père et du Fils, selon la terminologie de notre Credo de Nicée-Constantinople. Mais le terme savant, d’une théologie élaborée, ne dit pas plus que la phrase très simple et hyper-audacieuse de Jésus dans l’évangile : Je ne fais qu’un avec le Père, c’est-à-dire avec Dieu. Je ne suis qu’un seul être avec lui. Moi et le Père nous sommes un seul Dieu.
Effectivement, la profession de divinité de Jésus plaçait les Juifs devant une alternative : soit tomber à ses pieds pour l’adorer, ou saisir des pierres pour le tuer sur le champ en tant que blasphémateur. Mais chez eux la volonté de lapider n’était encore que symbolique, ou mimétique. Il n’y avait pas beaucoup de pierres, ni de projectiles, sur l’esplanade bien nettoyée du Temple. Armés de pierres, ou faisant semblant, les juifs continuent de ratiociner. Jésus leur fait face. Pour laquelle de mes œuvres voulez-vous me lapider ? Ce n’est pas pour une œuvre que nous te lapidons. C’est pour un blasphème. Tu n’es qu’un homme et tu te fais Dieu.
C’est maintenant au tour de Jésus d’argumenter a minima. Le psaume 82 verset 6 appelle ‘des dieux’ les anges, les juges, et finalement tous les fidèles de Yahvé. Quel blasphème, donc, y a-t-il dans les mots si l’on dit : je suis dieu ? Or l’Ecriture ne peut se tromper. Si vous ne croyez pas dans les mots, croyez du moins dans les œuvres. Or mes œuvres sont incontestables. Elles sont une signature de Dieu.
« Croyez en ces œuvres et sachez une bonne fois que le Père est en moi et moi dans le Père. » (Jn 10, 38).
Le raisonnement est sans faille, et la dialectique est conduite de main de maître en termes rabbiniques. Elle met fin à la discussion.
On tente de se saisir de lui, cette fois pour de bon. Mais Jésus plus leste que ses adversaires, ces inquisiteurs quadragénaires et ventripotents, leur file entre les doigts.
Son heure n’est pas encore venue. Mais elle approche.
Saint Jean l’évangéliste a conçu manifestement cette fête de la Dédicace, et ce qui suit immédiatement, comme un chapitre complet de son évangile. En effet chez lui, après la brève mention d’un séjour en Pérée (cf. Jn 10, 40-42), la résurrection de Lazare intervient juste après. Littérairement parlant, elle fait partie de cette fête que, probablement, Jésus a dû abandonner prématurément. Elle forme avec elle la sixième partie, sur sept, de son plan septénaire, qui se fonde sur des fêtes juives : Jn 10, 22 – 11, 54. Elle fait entendre le sixième tonnerre, ou révélation, de l’Apocalypse (cf. Ap 10, 1-7). Autrement dit, elle sera le sixième chapitre de ce petit livre, manifesté mais non encore écrit, et réservé pour plus tard : cf. Ap 10, 8-11. Dans le prolongement de cette fête, le miracle de la résurrection de son ami Lazare illustre la divinité de Jésus, revendiquée quelques jours plus tôt dans les parvis du Temple. Elle fait partie de ces œuvres, éclatante celle-là, dont se prévalait Jésus (cf. Jn 10, 38). Elle se présente aux yeux des Pharisiens et autres scribes comme une preuve irréfutable de l’authenticité de sa mission. En même temps, elle annonce et préfigure, elle mime par avance en quelque sorte, sa propre Résurrection.