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Il dit encore, à l’adresse de certains qui se flattaient d’être des justes et n’avaient que mépris pour les autres, la parabole que voici : « Deux hommes montèrent au Temple pour prier ; l’un était Pharisien, l’autre publicain. Le Pharisien, la tête haute, priait ainsi en lui-même : ‘Mon Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou bien encore comme ce publicain ; je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tous mes revenus.’ Le publicain, se tenant à distance, n’osait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine en disant : ‘Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis !’ Je vous le dis, ce dernier descendit chez lui justifié, l’autre non. Car tout homme qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé. » |
Et voici que se termine la grande insertion de Luc (9, 51-18, 14) ! Elle se termine en beauté, avec la célébrissime parabole du Pharisien et du publicain.
Cette grande insertion nous aura pris pas moins de 66 épisodes de la synopse-synthèse : de 101 à 166. Encore nous en avons sauté quatre (Lc 11, 14-22 : Jésus et Béelzéboul. Lc 13, 18-19 : Parabole du grain de sénevé. Lc 14, 34-35 : Ne pas s’affadir et Lc 17, 1-3a : Le scandale) que nous avons placés en synopse puis en synthèse avec Marc et Matthieu grec. Mais nous avons rajouté deux épisodes : 157, Prière en commun, et 158, Pardon des offenses et Parabole du débiteur impitoyable, que nous ne lisions que dans Matthieu grec, pour ne pas les laisser orphelins par rapport à l’épisode précédent : 156 : Correction fraternelle, commun à Matthieu grec et à Luc. Il faudrait donc compter, en réalité, 68 épisodes.
Cette anecdote, comme celle du Bon Samaritain, paraît une histoire vécue plus qu’une parabole. C’est comme un fait divers, dont le Temple pouvait être chaque jour le témoin, mais qui sert ici d’enseignement, et donc de parabole. Elle est menée typiquement comme une parabole : avec ses contrastes marqués, avec un renversement de situation. Il existe en même temps une symétrie, presque comique, entre les comportements des deux citoyens en cause, ce qui fait ressortir encore plus la disparité de leur sort devant Dieu.
Tous deux, par un mouvement commun, montent au Temple pour prier, et tout à l’heure ils en redescendront presque côte à côte, ou simultanément, en s’épiant du coin de l’œil.
Mais les attitudes des acteurs sont tout opposées, dans ce travelling qui les saisit ensemble.
L’un est un juste officieux, qui marche la tête haute, pleinement conscient de sa valeur.
L’autre est un pécheur tout aussi officieux, tout rabougri sur lui-même, honteux, rasant les murs.
L’un se place au premier rang et prie ostensiblement. La prise de son pourrait presque enregistrer son monologue intérieur.
L’autre se tient au bas de l’église, au dernier rang, se frappant la poitrine.
Leurs prières sont parfaitement symétriques : l’une est celle d’un juste, rendant grâce à Dieu de sa justice, et l’autre est celle d’un pécheur confessant son péché.
Mais le dénouement, devant Dieu, renverse la situation : le juste devient pécheur, ou le reste, en dépit de sa suffisance. Le pécheur, quant à lui, devient un juste en raison de son humilité.
Dans l’ancienne Loi, la justification, nous dirions l’état de grâce, s’obtenait, non pas par le sacrement de pénitence qui n’existait pas, mais par la conversion du cœur, la contrition parfaite accompagnée de charité. La prière vaniteuse, et même les bonnes œuvres, n’y suffisaient pas.
Alors intervient ce proverbe final que nous avions déjà lu dans la grande insertion de Luc (14, 11), au cours de l’épisode sur le choix des places (notre épisode 141) et que Matthieu grec (23, 12) a placé juste avant ses Sept malédictions aux scribes et aux Pharisiens, le jour même du discours eschatologique, peu avant la Passion : « Car tout homme qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé. » (Lc 18, 14).
La parabole du Pharisien et du publicain au Temple sert d’illustration à ce proverbe.
Une ultime question se pose, à propos de cette parabole, et d’autres semblables, par exemple la précédente, celle du juge inique, ou encore celle du Bon Samaritain (notre épisode 110). Elles n’ont pas de parallèles, sauf citations éparses de phrases isolées (comme pour le proverbe final étudié ci-dessus), dans Matthieu grec ni ailleurs. Appartenaient-elles réellement à la source Q, l’évangile araméen de Matthieu, ou ont-elles été ajoutées librement par Luc, dans sa grande insertion, d’après des sources particulières, suite à l’enquête diligente qu’il a menée auprès des témoins directs de la vie du Christ (cf. Lc 1, 2) ? On ne saurait le dire avec certitude. Ici, dans cette synopse-synthèse, on suppose par provision dirait-on, faute de preuves du contraire, que tout provient de l’évangile araméen. On supplée même des passages qui auraient été omis par Luc, et cités par le seul Matthieu grec.
C’est un principe a priori que nous avons posé. Il n’a pas d’inconvénient majeur du moment qu’il est reconnu comme tel, et qu’il reste une simple hypothèse de travail.