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158. Pardon des offenses. Parabole du débiteur impitoyable.

(Matthieu 18, 21-35).

Alors Pierre, s’avançant, lui dit : « Seigneur, combien de fois devrai-je pardonner les offenses que me fera mon frère ? irai-je jusqu’à sept fois ? Jésus lui répond : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois. 

« A ce propos, il en va du Royaume des Cieux comme d’un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs. L’opération commencée, on lui en amena un qui devait dix mille talents. Cet homme n’ayant pas de quoi rendre, le maître donna l’ordre de le vendre, avec sa femme, ses enfants, et tous ses biens, et d’éteindre ainsi la dette. Le serviteur alors se jeta à ses pieds et il s’y tenait prosterné en disant : ‘Consens-moi un délai, et je te rembourserai tout’. Apitoyé, le maître de ce serviteur le relâcha et lui fit remise de sa dette. En sortant, ce serviteur rencontra un de ses compagnons, qui lui devait cent deniers ; il le prit à la gorge et le serrait à l’étrangler, en lui disant : ‘Rends tout ce que tu dois.’ Son compagnon alors se jeta à ses pieds et il le suppliait en disant : ‘Consens-moi un délai, et je te rendrai.’ Mais l’autre n’y consentit pas ; au contraire, il s’en alla le faire jeter en prison, en attendant qu’il eût remboursé son dû. Ses compagnons, témoins de cette scène, en furent bien navrés, et ils allèrent raconter toute l’affaire à leur maître. Alors celui-ci le fit venir et lui dit : ‘Serviteur méchant, toute cette somme que tu me devais, je t’en ai fait remise, parce que tu m’as supplié ; ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon comme moi j’ai eu pitié de toi ?’ Et dans son courroux son maître le livra aux tortionnaires, en attendant qu’il eût remboursé tout son dû. C’est ainsi que vous traitera mon Père céleste, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur. »

Episode 158. Commentaire.

Ne cherchons plus ! Ne cherchons plus d’où venait à Matthieu grec, le diacre Philippe d’heureuse mémoire, ce complément d’informations qu’il lui fallait pour compléter son discours ecclésiastique (Mt 18). Il lui venait de l’apôtre Pierre, ici nommément cité. C’est Pierre qui s’avance, on ne sait où, on ne sait quand. Peut-être lui-même ne s’en souvenait-il plus. En tout cas, c’est lui qui a causé au diacre Philippe de ce pardon plus que septénaire, imposé par Jésus à ses disciples. Pardonnerai-je jusqu’à sept fois ? Non, jusqu’à soixante-dix fois sept fois. Le Christ était excessif en tout. Mais là, il semblait dépasser les bornes. Soixante-dix fois sept fois ? Et pourquoi pas toujours quand il y est ? Oui, toujours. Il faut toujours pardonner, car le pardon de Dieu lui-même est sans limites. Telle est la révolution de l’ère messianique.

Il est vrai que Dieu nous a déjà pardonné à nous-mêmes, sans limites.

Et c’est de Pierre, sans doute, et non pas de la source Q, nous en avons maintenant la quasi-certitude, que Matthieu grec tenait la parabole suivante, celle du débiteur impitoyable, pour illustrer justement ce thème du pardon infini et indéfini.

Ici encore, les contrastes sont saisissants, et les renversements de situation symétriques à souhait, et spectaculaires. C’est bien l’art de la parabole porté à son apogée, par le maître en la matière, le Fils de l’homme en personne.

C’est un roi qui est mis en scène. Ce ne peut être qu’un roi qui a des débiteurs aussi prodigieusement endettés. Quelque ministre sans doute. Quelque financier responsable du trésor public, qui a fait des emprunts inconsidérés, qui a spéculé sur des placements à hauts risques. Quelque trader comme on dirait dans notre jargon moderne.

Enfin, il était à découvert de dix mille talents, pas moins. Dix mille talents ! Dix mille fois vingt-six kilos d’argent. Soit 260 tonnes d’argent. Soit encore la valeur de : 6.000 X 10.000 = 60.000.000, soixante millions de drachmes. Un talent étant considéré comme l’équivalent de six mille drachmes. Somme colossale ! A titre de comparaison, selon l’historien Flavius Josèphe, le revenu annuel du roi Hérode ne dépassait pas 900 talents.

Dans la parabole des ouvriers envoyés à la vigne, les vignerons seront embauchés pour un denier par jour (cf. Mt 20, 2). Le denier, monnaie romaine, équivalait à peu près à la drachme, monnaie attique.

Le krach boursier a révélé sa faillite et son insolvabilité. Le spéculateur inconsidéré est convoqué au bureau du roi. Il se présente en pleurs, et à demi effondré. Verdict impitoyable : il est sur le champ dépossédé de tous ses biens, de ses châteaux, de ses biens-fonds, de sa femme, de ses enfants, de toute sa nombreuse domesticité. Mais il supplie, écroulé devant le trône royal. Souviens-toi des immenses services que je t’ai rendus. Cette opération malheureuse pourra être réparée, et au-delà. Consens-moi un délai, et je te rembourserai tout.

Le roi bonasse, et un peu crédule, se laisse fléchir. C’était un vieux serviteur. Un courtisan empressé et entreprenant. Le roi veut bien croire que le temps de la prospérité pourrait revenir.

Le serviteur se relève d’un bond. En un clin d’œil ses larmes sont sèches. Il sort, plus décidé que jamais à réussir. La première personne qu’il rencontre dans les abords du palais, c’est un de ses débiteurs qui lui doit bien cent deniers. Il lui saute à la gorge pour l’étrangler. Rends-moi immédiatement mon argent. Consens-moi un délai, supplie l’autre, agenouillé à ses pieds. Pas question. Tout droit à la prison, avant qu’on ne liquide toutes tes propriétés.

Mais les familiers du roi ont surpris la scène. Ils sont atterrés de cette dureté de cœur, et ils vont tout raconter à leur maître.

Le ministre est sur le champ reconvoqué par le roi. Mais là, la situation se renverse. Les yeux du roi sont dessillés. « Serviteur méchant, toute cette somme que tu me devais, je t’en ai fait remise, parce que tu m’as supplié ; ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon  comme moi  j’ai eu pitié de toi ? » (Mt 18, 32-33). Et cette fois, la justice du roi s’exerce inexorablement. Ce sont les tribunaux, les tortionnaires et la prison, avant la saisie de tous biens.

Dans l’au-delà, mon Père céleste vous traitera de la même manière « si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur. » (Mt 18, 35).

Ainsi s’achève le discours ecclésiastique de Matthieu grec (Mt 18, rappelons-le). Bien qu’il fût élaboré de bric et de broc, avec des éléments empruntés, tantôt à Marc, tantôt à la source Q, et tantôt au témoignage direct de l’apôtre Pierre, le diacre Philippe ne l’a pas moins construit selon un schéma très littéraire, en sept sections, comme les quatre autres discours sont aussi construits en sept sections, et comme tout son évangile obéit à un plan septénaire.

1). Mt 18, 1-4. Qui est le plus grand ? Parallèle avec Marc (9, 33-37) et Luc (9, 46-48). C’était notre épisode 96.

2). Mt 18, 5-11. Le scandale. Parallèle avec Marc (9, 42-50). C’était notre épisode 99.

3). Mt 18, 12-14. La brebis égarée. Parallèle avec Luc (15, 4-7) et la source Q. C’était notre épisode 146.

4). Mt 18, 15-18. La correction fraternelle. Partiellement parallèle avec Luc (17, 3b) et la source Q. C’était notre épisode 156.

5). Mt 18, 19-20. La prière en commun. Source inconnue, mais cette section est peut-être bien due au témoignage direct de l’apôtre Pierre, de même que les deux sections suivantes. Notre épisode 157.

6). Mt 18, 21-22. Le pardon des offenses. Très certainement emprunté au témoignage direct de l’apôtre Pierre, qui est nommément cité. Notre épisode actuel 158.

7). Mt 18, 23-35. La parabole du débiteur impitoyable. Vraisemblablement confiée au diacre Philippe en personne, par l’apôtre Pierre. Regroupée avec le même épisode 158, dont elle est la suite.

Evidemment, à ce compte-là, les trois dernières sections ne devraient probablement pas se retrouver dans la grande insertion de Luc, et la source Q, quoique il y ait une ressemblance entre le pardon des offenses (Mt 18, 21-22) et Luc 17, 4. Mais les mettre où ?

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