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144. Renoncer à ses biens.

Luc 14, 25-33.

Comme de grandes foules faisaient route avec lui, il se retourna et leur dit : « Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple. Quiconque ne porte pas sa croix et ne marche pas à ma suite ne peut être mon disciple. 

« Qui de vous en effet, s’il veut bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? De peur que, s’il pose les fondations et se trouve ensuite incapable d’achever, tous ceux qui le verront ne se mettent à se moquer de lui, en disant : ‘Voilà un homme qui a commencé de bâtir et a été incapable d’achever !’ Ou encore quel est le roi qui, partant en guerre contre un autre roi, ne commencera par s’asseoir pour examiner s’il est capable, avec dix mille hommes, d’aller à la rencontre de celui qui marche contre lui avec vingt mille ? Sinon, alors que l’autre est encore loin, il lui envoie une ambassade pour demander la paix. Pareillement donc, quiconque parmi vous ne renonce pas à tous ses biens ne peut être mon disciple. »

Episode 144. Commentaire.

« Sans haïr son père, sa mère, sa femme… » (Lc 14, 26). Encore un aramaïsme du diacre Philippe ! Et pourtant, on ne le trouve que dans Luc. C’est que le diacre Philippe a traduit la source Q, l’évangile araméen de saint Matthieu, à l’intention de Luc. Une nouvelle fois il a traduit la formule araméenne sèchement, mot à mot, sans nuances. Un peu comme il a traduit le Pater dans ses deux versions, la longue et la courte (voir notre épisode 112). Il faisait alors demander à Dieu : « Ne nous soumets pas à la tentation » (Lc 11, 4) (comme si Dieu tentait !) au lieu de : « Ne permets pas que nous soyons soumis à la tentation ». Autre aramaïsme.

Bien sûr que Dieu ne tente pas. Pas plus qu’il ne demande de haïr son propre père ou sa propre mère. Ce serait contraire au quatrième commandement du Décalogue que Yahvé a lui-même promulgué : «Honore ton père et ta mère. » (Ex 20, 12). Mais de fait tout le monde comprend d’instinct ces aramaïsmes. Personne ne soupçonne Dieu de vouloir nous tenter, pas plus que nous le soupçonnons de commander la haine de nos propres parents. Il faut entendre les paroles fortes du Christ, qui exige un amour exclusif. La sequela Christi suppose qu’on accorde le choix préférentiel au Maître, par rapport à tout autre lien, même familial. Cela peut amener des ruptures, lesquelles ressemblent parfois à de la haine. ‘Haïr son père’ doit s’entendre comme : ‘haïr son propre attachement à son père, comme empêchement d’accéder au Royaume’. C’est une ellipse.

Hébraïsme, affirme de son côté la Bible de Jérusalem (note à Lc 14, 16). Jésus ne demande pas la haine, mais le détachement complet et immédiat. Cela revient au même.

Curieusement Matthieu grec, quand il transpose les formules de cet épisode de la source Q dans son discours apostolique (cf. Mt 10, 37), les adoucit considérablement dans l’expression, à moins qu’il ne les tienne d’une autre source : « Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. Qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi.»

La sentence de Luc : « Quiconque ne porte pas sa croix et ne marche pas à ma suite ne peut être mon disciple » (Lc 14, 27) a été transposée encore par Matthieu grec dans son discours apostolique : cf. Mt 10 ,38).

Il est vrai que cette sentence se retrouve à peu près équivalemment dans Marc (8, 34) - avec parallèle dans Matthieu grec (16, 24) et dans Luc (9, 23). C’était notre épisode 90 : Conditions pour suivre Jésus.

Reste à savoir quel rapport il y a dans cet épisode, entre renoncer à tous ses biens, et devenir disciple : d’une part, et d’autre part un homme qui bâtit une tour sans pouvoir l’achever, ou encore un roi qui part en guerre avec dix mille hommes contre un autre qui vient l’attaquer avec vingt mille ?

On pourrait dire que c’est un rapport de condition préalable.

Pour bâtir une tour, la condition préalable c’est d’avoir un budget suffisant afin de pouvoir l’achever. Il faut donc examiner sérieusement ce budget. Si le budget prévu est insuffisant, on doit renoncer au projet.

De même la condition préalable pour un roi qui part en guerre contre un autre roi, c’est de vérifier s’il aura des forces suffisantes pour l’attaquer avec des chances de succès. Sinon il négocie, et fait appel à la diplomatie.

De même encore pour devenir disciple du Christ, la condition préalable, c’est de renoncer, au moins dans le principe, à tous ses biens, et même à toutes ses affections. La renonciation à tous ses biens ne signifie pas forcément le vœu de pauvreté qui, dans les conditions concrètes de l’existence, n’est possible qu’à une élite. Mais elle suppose une résolution intérieure : être prêt, en cas de nécessité, à renoncer pour le Christ à tout ce qu’on possède et même à la vie. Ne rien préférer au Christ.

Les deux apologues, plaisants, et finement observés, ne se lisent que dans Luc, et la source Q.

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