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Parut un homme envoyé de Dieu. Il se nommait Jean. Il vint comme témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui. Il n’était pas la lumière, mais le témoin de la lumière. Le Verbe était la lumière véritable, qui éclaire tout homme ; il venait dans le monde et le monde fut par lui et le monde ne l’a pas connu. Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom, lui que ni sang, ni vouloir de chair, ni vouloir d’homme, mais Dieu a engendré. Et le Verbe s’est fait chair et il a demeuré parmi nous, et nous avons vu sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. Jean lui rend témoignage. Il proclame : « Voici celui dont j’ai dit : lui qui vient après moi est passé devant moi, parce qu’avant moi, il était. » Oui, de sa plénitude nous avons tous reçu et grâce pour grâce. Car la Loi fut donnée par l’intermédiaire de Moïse ; la grâce et la vérité nous sont venues par Jésus Christ. Nul n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, lui, l’a fait connaître. Ainsi qu’il écrit au livre des oracles du prophète Isaïe ; c’est bien lui qu’a désigné cet oracle du prophète Isaïe : « Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, pour préparer ta route. Une voix crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez ses sentiers ; tout ravin sera comblé, toute montagne ou colline sera abaissée ; les passages tortueux deviendront droits et les chemins raboteux seront nivelés. Et toute chair verra le salut de Dieu. » L’an quinze du principat de Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneur de Judée, Hérode tétrarque de Galilée, Philippe son frère tétrarque du pays d’Iturée et de Trachonitide, Lysanias tétrarque d’Abilène, sous le pontificat d’Anne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée à Jean, fils de Zacharie. En ces jours-là, paraît Jean le Baptiste qui prêche dans le désert de Judée. Il parcourut alors toute la région du Jourdain, proclamant un baptême de repentir pour la rémission des péchés, en disant : « Repentez-vous car le Royaume des Cieux est tout proche. » Et alors s’en allaient vers lui tout le pays de Judée, toute la région du Jourdain et tous les habitants de Jérusalem, et ils se faisaient baptiser par lui dans les eaux du Jourdain, en confessant leurs péchés. Ce Jean était vêtu d’une peau de chameau ; il avait un manteau de poils de chameau et un pagne de peau autour des reins ; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. Comme il voyait beaucoup de Pharisiens et de Sadducéens venir au baptême, il disait donc aux foules qui venaient se faire baptiser par lui : « Engeances de vipères ! Qui vous a suggéré de vous soustraire à la Colère prochaine ? Produisez donc des fruits qui soient dignes du repentir et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes : ‘Nous avons pour père Abraham’. Car je vous le dis, Dieu peut des pierres que voici, faire surgir des enfants à Abraham. Déjà même la cognée se trouve à la racine des arbres : tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu. » Et les foules lui demandaient : « Que nous faut-il donc faire ? » Il leur répondait : « Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même. » Des publicains aussi vinrent se faire baptiser et ils lui dirent : « Maître, que nous faut-il faire ? » Il leur répondit : « N’exigez rien au-delà de ce qui vous est fixé. » A leur tour des soldats lui demandèrent : « Et nous, que nous faut-il faire ? » Il leur répondit : « Ne molestez personne ; ne dénoncez pas faussement et contentez vous de votre solde. » Comme le peuple était dans l’attente et que tous se demandaient en leur cœur si Jean n’était pas le Christ, Jean prit la parole et leur dit à tous, il annonçait dans sa prédication : « Voici que vient derrière moi celui qui est plus puissant que moi ; et je ne suis pas digne de me courber à ses pieds pour délier la courroie de ses chaussures. Pour moi je vous ai baptisés avec de l’eau en vue du repentir ; mais lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le Feu. Il tient en sa main la pelle à vanner et va nettoyer son aire ; il recueillera son blé dans son grenier ; quant aux bales il les consumera au feu qui ne s’éteint pas. » Et par bien d’autres exhortations encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle. |
Et voici le grand melting-pot des évangiles ! Les quatre canoniques sont ici synoptiques. Nous faisons confluer leurs récits.
Le prologue de saint Jean se trouve coupé dès le verset 6, pour entrer dans la synthèse. Car dès ce verset 6, il parle de la vocation du Baptiste. C’est lui qui ouvre l’épisode. Matthieu, Marc et Luc, en se mélangeant, prennent la suite. On remarque que certains versets de Matthieu, comme de Luc, sont annoncés entre parenthèses, dans l’en-tête. C’est qu’ils sont déplacés, toujours selon le principe de la synopse, que la synthèse suit : priorité totale à l’ordre de Marc, puis de Luc, si Marc fait défaut. Il faut bien mettre ces versets en parallèle, avant de les fondre ensemble, si l’on veut maintenir la cohérence du texte.
Et d’abord une mention de date à propos de la prédication de Jean-Baptiste. Luc, en historien consciencieux, est très précis. Il nous livre des repères chronologiques d’une extrême importance, au sujet desquels les exégètes ont trouvé le moyen de disputer à perte de vue. Ces repères sont pourtant limpides.
L’an 15 de Tibère Auguste ne peut signifier que 28 /29 de notre ère. Auguste étant mort le 19 août 14, l’an 15 de Tibère court du 19 août 28 au 18 août 29.
On a prétendu, à tort, que Luc aurait calculé à la mode syrienne et qu’il aurait anticipé d’une année ; ou encore qu’il faudrait tenir compte de l’association au pouvoir impérial de Tibère, du vivant d’Auguste. Mais Arthur Loth a démontré brillamment que ces deux hypothèses ne pouvaient être tenues. Dans tout l’empire, et même en Syrie, dans les inscriptions comme dans les monnaies, on a toujours compté le règne de Tibère à partir de la mort d’Auguste. D’ailleurs Tibère lui-même ne se considérait pas comme le successeur légalement désigné d’Auguste puisque, après la mort de ce dernier, il se fit investir officiellement par le Sénat.
Toute la nomenclature compliquée de Luc est entièrement confirmée par l’histoire. Tibère a régné de 14 à 37, et sa 15e année fut, on l’a vu, 28/29. Pilate fut procurateur et préfet de Judée-Samarie de 26 à 36. Hérode Antipas fut tétrarque de Galilée et Pérée de – 3 (nominal) à 39 de notre ère, Philippe de – 3 (nominal) à sa mort en 34. Lysanias fut tétrarque d’Abylène de l’an 28 à l’an 37. Anne, grand prêtre déposé en 15, faisait figure de chef religieux de la nation. Caïphe fut grand prêtre en titre de 18 à 36. Extraordinaire ensemble de synchronismes. C’est presque un miracle qu’ils se vérifient tous. On voit le sérieux, et la science, de l’historien qui les rapporte. C’est d’ailleurs bien l’impression que veut donner Luc.
Comme le souligne Daniel-Rops, le climat torride de la vallée du Jourdain, aux environs de Jéricho, empêche de penser que le Baptiste put y prêcher, et y baptiser, pendant l’été. C’est donc pendant l’hiver de 28/29 (la 15e année de Tibère) qu’il a dû commencer sa prédication. Et Jésus lui-même ne viendra au Jourdain qu’avec un temps de retard comme le laissent entendre les évangiles. Donc au moment de la seconde campagne de Jean, dans l’automne puis dans l’hiver de 29/30. C’est à ce moment-là, automne 29, qu’il atteindra ses 30 ans et commencera son ministère public. Mais nous verrons cela dans la suite.
De la synopse et de la synthèse de cet épisode 14 (la prédication de Jean au Jourdain), quelle déduction tirons-nous pour expliquer la composition des évangiles ? La Théorie des deux sources s’en trouve-t-elle confirmée ?
Il est évident que le Prologue de Jean doit être considéré à part. Il a été rédigé bien après coup. Il résume, certes, la tradition synoptique, que Jean avait en main. Mais il est surtout tiré des souvenirs personnels de l’apôtre, le fils de Zébédée, qui fut d’abord disciple de Jean le Baptiste, bien qu’il ne se nomme pas dans son évangile. Le prologue, fruit d’une longue réflexion, est une méditation de nature théologique, on l’a dit, sur le mystère de l’incarnation qui fut révélé à l’humanité par le truchement de Jean-Baptiste. Ce Jean-Baptiste n’était certes pas lui-même la lumière, mais le premier témoin de la lumière.
Quant aux deux synoptiques, Matthieu grec et Luc, ils dérivent manifestement de Marc dont ils suivent la séquence, comme ils le feront dans le reste de leurs évangiles. Mais ils enrichissent considérablement la narration de Marc, à la fois par l’utilisation d’un document commun et par leurs ajouts personnels. Ce document commun, différent de Marc, et commun à Matthieu grec et à Luc, peut se définir ainsi, pour l’épisode en cours : Luc 3, 7-9.17, avec comme équivalent dans Matthieu : 3, 7-10. 12. Avec le détail des tentations du Christ, qui viendra plus tard (épisode 18), on peut penser, soit que ce fut un document distinct, différent de la source Q, soit qu’il appartient positivement à cette source. On n’a pas les moyens d’en décider avec certitude. Donc on le confond, par provision dirais-je, avec la source Q, considérée elle-même comme l’évangile araméen de Matthieu.
Qui était Jean-Baptiste ? Il était comme le dira Jésus (cf. Mt 11, 14), le nouvel Elie, celui qu’avait annoncé Malachie, le dernier des prophètes : « Voici que je vais vous envoyer Elie le prophète, avant que n’arrive le Jour de Yahvé, grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils et le cœur des fils vers leurs pères, de peur que je ne vienne frapper le pays d’anathème. » (Ml 3, 23-24). Ces mots terminent l’Ancien Testament dans nos bibles.
Ben Sirac le sage, aussi, avait annoncé le retour d’Elie : « Toi qui fus désigné dans des menaces futures pour apaiser la colère avant qu’elle n’éclate, pour ramener le cœur des pères vers les fils et rétablir les tribus de Jacob. Bienheureux ceux qui te verront. » (Si 48, 10-11).
Jean était vêtu comme Elie, le Tishbite : « C’était un homme avec une toison et un pagne de peau autour des reins. » (2 R 1, 8). Elie avait été enlevé au ciel dans un char de feu. Mais il devait revenir sur la terre pour annoncer le Grand Jour de Yahvé, la fin des temps, le jugement de Dieu. En un mot il devait préparer la venue de Dieu sur la terre, peut-être sous forme humaine.
Pourtant lui-même ne se prévalait pas de cette succession d’Elie. Il se voulait seulement la voix qui crie dans le désert, comme avait annoncé le prophète Isaïe :
« Moi ? La voix de celui qui crie dans le désert : Rendez droit le chemin de Dieu. » (Jn 1, 23).
Le baptême de pénitence de Jean Baptiste, on l’a dit, était un rite tout à fait nouveau, qui n’avait rien à voir avec les ablutions des esséniens, elles-mêmes inspirées des prescriptions du Lévitique. On peut considérer ce baptême comme une pure invention de Jean le Baptiste, qui sera largement reprise par la suite, y compris par Jésus-Christ, qui le transformera en baptême trinitaire, et par différentes sectes, jusqu’à nos jours. Petitfils énumère ces sectes : baptistes du matin, hémérobaptistes, sabéens, masbothéens ; les baptistes issus de la Réforme protestante ; les mandéens qui subsistent de nos jours, en Irak et en Iran…
Que signifiait le baptême aux yeux du Baptiste ? Ce n’était autre qu’une grande lessive morale destinée à purifier par avance le peuple, en attendant comme il le disait la venue toute proche du Royaume de Dieu. Se laver, en somme, pour ne pas être brûlé quand viendrait le baptême de feu. Ce n’était pas un rite magique, mais seulement un signe concret de pénitence, une marque sincère qu’on faisant acte de conversion, tant qu’il n’était pas trop tard, avant que n’arrive le Jour grand et redoutable. Car si la parole de Jean était terrifiante, elle ne l’était réellement que pour ceux qui refusaient obstinément de se convertir. Pour ceux-là, il avait des mots très durs mais c’était pour percer la carapace de leurs cœurs, faux et insincères.
La morale du Baptiste n’était pas si sévère qu’on l’a dit. Elle était à la portée de tout le monde. Que demandait-il en effet ? « Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas. » « N’exigez rien au-delà de ce qui vous est prescrit. » « Ne molestez personne. » « Contentez-vous de votre solde. » Quoi de plus ordinaire, évident, si j’ose dire ? Encore fallait-il mettre un peu la main à la pâte. Ne pas se contenter de souhaits pieux. En somme il fallait prendre au sérieux la morale de Moïse et des prophètes. Ne pas remettre au lendemain matin. Mais se convertir dès aujourd’hui.
« Repentez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche. » (Mt 3, 2). Ce sera le premier mot de la prédication de Jésus-Christ, reprenant à l’évidence, et consciemment, celle du Baptiste. (Cf. 4, 17).
Car le Baptiste lui-même ne faisait qu’annoncer, et préparer, la venue imminente du Royaume de Dieu. Il n’était que le dernier des prophètes, avant l’irruption des temps messianiques. Non le Messie, mais le précurseur du Messie.
« Voici que vient derrière moi celui qui est plus puissant que moi ; et je ne suis pas digne de me courber pour délier la courroie de ses chaussures. Pour moi, je vous ai baptisés avec de l’eau, en vue du repentir. Mais lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu. » (Mc 1, 7 complété par Mt 3, 11-12).