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110. Histoire du Bon Samaritain.

Luc 10, 29-37.

Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain ? » Jésus reprit : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba au milieu de brigands qui, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent et le laissèrent à demi mort. Un prêtre, par hasard, descendait par ce chemin ; il le vit, prit l’autre côté de la route et passa. Pareillement un lévite, survenant en ce lieu, le vit, prit l’autre côté de la route et passa. Mais un Samaritain, qui était en voyage, arriva près de lui, le vit et fut touché de compassion. Il s’approcha, banda ses plaies, y versant de l’huile et du vin, puis le chargea sur sa propre monture, le conduisit à l’hôtellerie et prit soin de lui. Le lendemain, il tira deux deniers, les donna à l’hôtelier, en disant : ‘Aie soin de lui, et ce que tu auras dépensé en plus, c’est moi qui le paierai lors de mon retour.’ Lequel de ces trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme tombé aux mains des brigands ? » Il répondit : « Celui-là qui a pratiqué la miséricorde à son égard. » Et Jésus lui dit : « Va, et toi aussi, fais de même. »

Episode 110. Commentaire.

La parabole, ou l’apologue, du Bon samaritain. Dans la synthèse nous l’avons baptisée ‘histoire’. Car ce pourrait fort bien être un fait divers qui se serait passé sur la route descendante et dangereuse de Jérusalem à Jéricho. Un fait divers raconté, non peut-être dans les journaux qui n’existaient pas encore, mais dans ce qui en tenait lieu : les annales qui pouvaient être affichées dans certains lieux publics, ou les lettres privées, ou tout simplement colporté par la rumeur publique.

Ce remarquable et célèbre apologue, qui porte tous les signes de l’authenticité, où Luc l’a-t-il puisé ? Dans la source Q, l’évangile araméen de Matthieu ? C’est probable car il paraît lié, par l’enchaînement qu’on a dit (commentaire de l’épisode 106), avec les épisodes immédiatement antérieurs qui, eux, appartiennent certainement à la source Q.

Les 72 sont revenus de mission. Jésus les accueille, et tressaille de joie sous l’action de l’Esprit Saint. Il se tourne vers ses disciples et leur dit en particulier, c’est-à-dire à voix faible : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! ». (Lc 10, 23). Et voici que, dans l’assistance, un légiste se lève pour poser une question apparemment bénigne : « Que dois-je faire pour avoir en partage la Vie éternelle ? » (Lc 10, 26).  Jésus lui fait réciter la Torah, que le légiste connaît sur le bout des doigts : aimer Dieu, aimer son prochain comme soi-même. Jésus le félicite. Mais l’autre veut se justifier d’avoir posé sa question. Je connais par cœur la Torah, mais qu’entend-elle dire exactement par le prochain ? Sans doute est-ce un bon juif : qui est mon frère ?

C’est ainsi que Jésus est amené à dérouler son apologue merveilleux. Tragique et merveilleux, à la fois.

Sans doute, on n’a pas la preuve apodictique que ces liens ne sont pas purement rédactionnels. Cet apologue n’a pas de parallèle dans aucun autre évangile. Peut-être Luc l’a-t-il appris par une autre voie, et l’a-t-il inséré de son propre chef dans sa grande insertion ? A la limite, peu importe. Tenons-le, par provision, comme faisant partie de la source Q. C’est le plus sûr et, pour nous, le plus économique, en matière d’explication.

La route de Jérusalem à Jéricho n’était pas très longue, quelque 35 km, mais c’était un véritable coupe-gorge, infecté de chacals et de brigands. Jusqu’à 1934 environ, nous dit Daniel-Rops, on ne s’y engageait pas sans crainte. Une forte déclivité : plus de 1000 m de dénivellation. Des gorges sauvages. Jéricho est la ville la plus basse du monde, à plus de 250 m au-dessous du niveau de la mer. Depuis l’époque du second Temple, Jéricho était une ville de prêtres. Une forte colonie de prêtres y résidait. Ce qui explique les péripéties de la parabole. L’attentat décrit par Jésus a dû se produire un dimanche, car le service des prêtres prenait fin le jour du sabbat. Leur temps de présence achevé, ils regagnaient le lendemain leur domicile familial.

Donc un voyageur, entièrement dévalisé, est estourbi dans ces lieux peu fréquentés. Il gît à demi-mort, nous dit le texte. Un prêtre descend par le même chemin, mais il passe de l’autre côté. Peu de temps après, un lévite fait de même. Seul un Samaritain, sans doute un riche commerçant en route vers Jérusalem, prend pitié, soigne le blessé du mieux qu’il peut, le conduit à l’hôtellerie voisine, et débourse deux deniers d’avance pour couvrir les frais. Quand il redescendra, il paiera même le supplément. Lequel des trois s’est montré le prochain ? La réponse est évidente et le légiste ne peut qu’y souscrire.

Tous les commentateurs ont noté le renversement de la question opéré par Jésus. De ‘Qui est mon prochain ?’ on passe à ‘Qui s’est montré le prochain de l’autre ?’. Cette anecdote renferme en soi une petite révolution. Pour avoir en partage la Vie éternelle, ce qui était  la question initiale du légiste, il faut se montrer le prochain de tout homme, fût-il un étranger, fût-il un ennemi, fût-il un parfait inconnu, car c’est bien ce qu’a pratiqué ce Samaritain duquel on n’attendait rien de bon. Le Samaritain a donné l’exemple aux juifs, aux prêtres et aux lévites.

Le Bon Samaritain, c’est évidemment Jésus lui-même.

Il faut nous dédouaner de certains commentateurs qui prétendent, pour excuser le prêtre, ou le lévite, qu’ils n’avaient pas le droit de toucher un cadavre, ni de toucher le sang.

D’abord, le blessé n’était pas mort. Il respirait encore. Le prêtre ou le lévite aurait dû l’assister, au moins en tant que juif présumé, et donc frère de race. Un corps humain ne devenait un objet impur que lorsqu’il était mort, et commençait à se décomposer.

De même la prescription sur le sang interdisait seulement de consommer le sang de tout animal, car il représentait la vie, réservée à Dieu. On devait le répandre à terre.

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