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109. Le grand commandement.

Luc 10, 25-28.

Et voici qu’un légiste se leva, et lui dit pour l’embarrasser : « Maître, que dois-je faire pour avoir en partage la Vie éternelle ? » Il lui dit : « Dans la Loi, qui y a-t-il d’écrit ? qu’y lis-tu ? » Celui-ci répondit : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit ; et ton prochain comme toi-même. » -- « Tu as répondu juste, dit Jésus ; fais cela et tu vivras. »

Episode 109. Commentaire.

 Cet épisode ressemble beaucoup à celui que nous rencontrerons dans Marc (12, 28-34) et dans Matthieu grec (22, 34-40), peu avant la Passion du Christ, à Jérusalem, quelques jours après l’entrée messianique. Ce sera notre épisode 194. Il y sera question des deux plus grands commandements. Mais dans la synopse nous n’avons pas cru devoir mettre ces textes en parallèle. Les circonstances historiques paraissent différentes. Dans Luc, c’est un légiste qui demande : « Que dois-je faire pour avoir en partage la vie éternelle ? » (Lc 10, 25). Et sur l’invitation de Jésus, c’est lui-même qui répond à sa propre question. Après quoi Jésus le félicite. Dans Marc c’est un scribe, et dans Matthieu grec, c’est l’un des Pharisiens qui demande à Jésus : « Quel est le premier de tous les commandements ? » (Mc 12, 28) ou, ce qui revient au même : « Quel est le plus grand commandement de la Loi ? » (Mt 22, 36). Et c’est Jésus, en personne, qui développe sa réponse. Chez Luc, dans la source Q, c’est Jésus qui approuve le légiste, tandis que dans Marc c’est le scribe qui félicité Jésus. Il est vrai que ce scribe recevra un éloge à son tour.

Chez Marc et chez Matthieu grec, il s’agira d’une question de casuistique typiquement juive, sur la hiérarchie des différents commandements de la Torah. Elle était amplement débattue parmi les Docteurs de la Loi. Et l’on demandera à Jésus, pour l’embarrasser, de prendre parti dans la controverse.

Chez Luc, dans la source Q, le légiste obéit à une préoccupation de conscience : il veut savoir quelles sont les conditions, d’après Jésus, pour accéder au salut éternel.

C’est pourquoi, dans la synopse, nous avons maintenu la séparation des deux scènes : nous avons laissé l’une, chez Luc, dans la grande insertion, au moment de la montée à Jérusalem (notre épisode actuel), et l’autre chez Marc et Matthieu grec, à Jérusalem, quelques jours avant la Passion (notre futur épisode 194). L’événement, en effet, celui de la discussion sur les deux plus grands commandements, a bien pu se répéter sous diverses formes dans la vie publique de Jésus.

En fait, du point de vue de la Théorie des deux sources, la situation documentaire est claire. La discussion avec des spécialistes de la Loi, à propos des deux premiers commandements, se trouvait sous deux formes différentes, à la fois dans la source Q, l’évangile araméen, et dans Marc. Luc, lui, a choisi de la conserver à sa place, dans la source, au sein de sa grande insertion (notre épisode actuel) et il omettra la discussion dans le parallèle avec Marc. Matthieu grec, au contraire, a choisi de conserver la version de Marc et il l’a placée dans son évangile en parallèle avec Marc (notre épisode 194). Mais dans sa transcription de Marc, il sera quand même influencé par la rédaction incluse dans la source Q, sur laquelle il pouvait jeter un coup d’œil oblique, puisqu’il était en possession, précisément, des deux sources.

Cela explique que l’on retrouve dans Matthieu grec des expressions communes avec Luc, et qui ne sont pas dans Marc. C’est ainsi que dans Matthieu grec et dans Luc les intervenants agissent « pour l’embarrasser » (Mt 22, 35 ; Lc 10, 25), tandis que chez Marc le scribe semble poser sa question avec courtoisie, sans intention malveillante. Il paraît évident que Matthieu grec, tout en rapportant le même récit que Marc, l’a complété, ou corrigé, en s’inspirant du texte qu’il lisait dans la source Q.

Bien mieux, nombre de manuscrits de Matthieu grec donnent une leçon que n’a pas retenue la Bible de Jérusalem. « Et l’un d’eux [un légiste] » (Mt 22, 35). Ces mots « un légiste » seraient directement empruntés à Lc 10, 25.

On constate donc ici des rencontres mineures entre Matthieu grec et Luc, contre Marc, ou indépendamment de Marc, qui s’expliquent fort bien dans le cadre de la Théorie des deux sources. Cela peut sembler paradoxal, mais c’est ainsi.

Chez Luc, ce légiste, bien qu’il agisse pour embarrasser le Maître, semble avoir bien assimilé l’enseignement de Jésus. Il ne retient de toute la Torah que les deux principaux commandements, qui deviendront les piliers de la morale évangélique : l’amour de Dieu, et l’amour du prochain. L’un est tiré du Deutéronome (6, 5) et l’autre du Lévitique (19, 18). Saint Paul ne cessera pas d’enseigner qu’en eux se résument tous les commandements : « Car celui qui aime autrui a de ce fait accompli la Loi. » (Rm 13, 8).  

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