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Puis se tournant vers ses disciples, il leur dit en particulier : « Quant à vous, heureux vos yeux parce qu’ils voient, heureuses vos oreilles parce qu’elles entendent. Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! En vérité je vous le dis, bien des prophètes et des justes et des rois ont souhaité, ont voulu voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l’ont point entendu ! » |
Dans Luc, depuis l’envoi en mission des soixante-douze, les épisodes inscrits dans la source Q (sa grande insertion) sont remarquablement liés.
Si une ville ne vous écoute pas, elle aura un sort plus rigoureux que Sodome, cf. Lc 10, 12. (Episode 103).
D’où les imprécations contre les villes de Galilée, les privilégiées pourtant de l’action christique. (Episode 104).
Si l’on ne vous écoute pas, l’on me rejette, cf. Lc 10, 16. (Episode 105).
Les soixante-douze reviennent tout joyeux, cf. 10, 17. (Episode 106).
A cette heure même Jésus tressaille, cf. Lc 10, 21. (Episode 107).
Puis il se tourne vers ses disciples et leur dit en particulier, cf. Lc 10, 23. (Episode 108, notre épisode en cours).
Et voici qu’un légiste lui dit pour l’embarrasser, cf. Lc 10, 25. (Episode 109).
Jésus lui répond par l’apologue du Bon Samaritain. (Episode 110).
Dans cet enchaînement, peut-être simplement rédactionnel, mais ce n’est pas certain, on touche du doigt l’unité (peut-être après tout rédactionnelle, mais ce serait déjà remarquable) de la source Q, l’évangile araméen de l’apôtre Matthieu. Matthieu grec, par contre, en dispersant les péricopes, qu’ils utilisent, aux quatre coins de son évangile, montre bien que ce n’est pas lui, mais bien Luc, qui nous offre l’évangile araméen dans sa configuration originelle. Tout au moins on peut le supputer avec de grandes chances d’approcher la vérité. Les exégètes ont donc raison, quand ils tentent de reconstituer la source Q, de préférer l’ordre de Luc à celui de Matthieu grec.
Et c’est la raison principale du second principe constitutif de notre synopse : en l’absence de Marc, priorité absolue à l’ordre de Luc.
Il faut reconnaître que c’est un choix, impératif puisqu’il faut bien choisir, mais qui inclut une part d’arbitraire.
Matthieu grec (Mt 13, 16-17) a placé la présente péricope du Privilège des disciples en plein dans son discours parabolique, après la parabole du semeur, au moment où les disciples demandent à Jésus pourquoi il parle en paraboles. Les disciples jouissent donc du privilège d’entendre, non seulement les paraboles, mais encore les explications des paraboles que donne le Maître. Chez Luc, Jésus félicite ses disciples d’avoir le privilège de participer à la mission, puis d’entendre la révélation des mystères du Royaume de Dieu, et de partager sa propre intimité avec le Père.
« Bien des prophètes et des rois [Matthieu grec écrit : des justes] ont voulu voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu ! » (Luc 10, 24).
Luc, et la source Q, et certainement Jésus lui-même, songent aux saints rois de l’Ancien Testament, comme David qui était prophète, ou aux patriarches comme Abraham, qui ont désiré de longtemps la venue du Messie, ou même l’ont entrevue, et qui pourtant n’y ont pas assisté.
Saint Paul dans ses épîtres insistera beaucoup sur le silence dont fut enveloppé, pendant de longs siècles, le mystère de Dieu. En fait, il avait été pressenti dans l’Ancien Testament, mais non pas révélé. « Un mystère enveloppé de silence aux siècles éternels. » (Rm 16, 25). Aujourd’hui, nous sommes mieux à même d’évaluer la profonde nuit du paganisme qui a enveloppé toute l’humanité depuis son émergence, il y a peut-être 150 ou 200 mille ans. Les révélations noachique, puis abrahamique, puis mosaïque, ont commencé de lever un coin du voile. Mais ce n’est qu’avec Jésus-Christ que fut accordé aux hommes le secret de la vie éternelle, et de la vie en Dieu.
Dieu s’est manifesté d’abord comme Un, et comme présent à l’histoire des hommes, en partageant leur destin. Puis comme Trinité.