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Après cela, le Seigneur en désigna encore soixante-dix autres et les envoya deux par deux en avant de lui dans toutes les villes et localités où lui-même devait se rendre. Alors il dit à ses disciples : « La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux ; priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson. Allez ! Voici que je vous envoie comme des brebis, comme des agneaux au milieu des loups. N’emportez pas de bourse, pas de besace, pas de chaussures, et ne saluez personne en chemin. En quelque maison que vous entriez, dites d’abord : ‘Paix à cette maison !’ Et s’il s’y trouve un enfant de paix, votre paix ira se reposer sur lui ; sinon elle vous reviendra. Demeurez dans cette maison-là, mangeant et buvant ce qu’il y aura chez eux ; car l’ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison. Dans toute ville où vous entrerez et où l’on vous accueillera, mangez ce qui vous sera servi ; guérissez ses malades et dites aux gens : ‘Le Royaume de Dieu est tout proche de vous’. Mais dans toute ville où vous serez entrés et où l’on ne vous accueillera pas, sortez sur les places publiques et dites : ’Même la poussière de votre ville qui s’est collée à nos pieds, nous l’essuyions pour vous la laisser. Pourtant, sachez-le bien, le Royaume de Dieu est tout proche’. Je vous dis qu’en ce Jour-là, Sodome aura un sort moins rigoureux que cette ville. » |
Extraordinaire envoi en mission de ces soixante-dix disciples ! Difficile à placer dans le temps et dans l’espace, dans le cadre de cette montée ultime de Jésus, entre octobre et décembre 32, entre Souccot et Hanoucca. Mais nous avons vu que la préoccupation première de Luc, dans cette grande insertion, n’était pas de préserver la vérité chronologique ou géographique. Il trouvait ce récit dans ses sources, ou peut-être l’a-t-il recueilli au cours de son enquête personnelle, et ne voulait pas le laisser perdre. Il l’a inséré à l’endroit qui lui semblait le plus opportun. Ainsi donc Jésus avait-t-il envoyé en mission, en plus de ses douze apôtres (dont le nom, on s’en souvient, signifie ‘envoyés) 70 ou 72 autres disciples, selon les manuscrits. 72 selon le papyrus P 75, le Vaticanus, le Codex Bezae, divers manuscrits latins, syriaques ou coptes, le Père de l’Eglise Adamantius (300/350), etc.… , qui semblent bien donner le texte authentique, accepté du reste par les éditions critiques.
De même que les douze apôtres faisaient référence aux douze patriarches, fils de Jacob, éponymes des douze tribus d’Israël, de même les 70 (ou 72) rappellent les 70 vieillards d’Israël que Moïse avait choisis pour l’aider dans sa tâche, sur le conseil de son beau-père Jéthro (cf. Ex 18). De même qu’il y avait des degrés dans la hiérarchie du Temple, avec grand prêtre, prêtres et lévites, de même dans l’Eglise de Dieu, il y aura une hiérarchie composée d’évêques (à la suite des Douze), de prêtres (à la suite des Soixante-douze) et même de diacres. Les Eglises de tradition apostolique ont toujours maintenu cet ordre hiérarchique, voulu par Jésus, mais institué à sa suite par les apôtres.
On suppose que ces 35 (ou 36) équipes de deux sont allées, plutôt pour évangéliser la Galilée que la terre inhospitalière de Samarie, puisque on entendra Jésus dans l’épisode suivant (104) fulminer contre Chorazeïn, Bethsaïde, Capharnaüm … bourgades sises en Galilée, ou limitrophes de la Galilée.
Leur mission, d’ailleurs, dut être de courte durée, puisqu’on les voit revenir peu après, contents de leur travail. Ce sera notre épisode 106.
La Bible de Jérusalem, encore elle, rend compte assez bien de la composition littéraire de ce paragraphe dans Luc comme dans Matthieu grec. Le Recueil de logia, c’est-à-dire l’évangile araméen de Matthieu, contenait un discours de mission parallèle à celui de Marc 6, 8-11. Luc a utilisé séparément ces deux versions, en laissant la première face à Marc (cf. Lc 9, 3-5, notre épisode 73) dans un discours adressé aux Douze, chiffre d’Israël, et l’autre ici, dans la grande insertion (cf. Lc 10, 4-11, notre épisode 103) dans un discours adressé aux 72 (ou 70), chiffre traditionnel des nations païennes. Matthieu grec, au contraire, a combiné les deux sources dans son seul discours apostolique (cf. Mt 10, 7-16, toujours notre épisode 73).
Ce qui précède explique qu’on trouve dans Luc, à peu de distance, deux passages similaires. (Lc 9, 3-5 parallèle de Lc 10, 4-11).
La Bible de Jérusalem voit dans le choix des 72 une allusion au nombre traditionnellement admis des nations païennes, selon le chapitre 10 de la Genèse qui donne la table des peuples issus de Noé. Mais comme la mission, du vivant de Jésus, visait d’abord les brebis perdues de la Maison d’Israël, je pense qu’il vaut mieux en tenir au symbolisme des soixante-dix juges, que Moïse s’était donnés comme adjoints. C’est plus parlant.
En entrant dans une maison, dites : « Paix à cette maison ! » (Lc 10, 5). S’il y là un enfant de paix, votre souhait sera bien accueilli. Dans le cas contraire il vous reviendra dans la figure sous la forme d’injures, ou d’imprécations.
« Ne passez pas de maison en maison. » (Lc 10, 7). Car c’est la future Eglise de Dieu qui s’annonce. Elle est destinée à s’installer à demeure dans la première maison accueillante qui se présentera.
Dans ce sermon aux 72, Jésus rappelle avec insistance la première parole prononcée au début de son ministère galiléen, selon Marc : « Le Royaume de Dieu est tout proche. » (Lc 10, 9.11 = Marc 1, 15). Le Royaume de Dieu, c’est la future Eglise. La mission s’adresse aux juifs qui ne sont pas encore baptisés. Comme Jean-Baptiste, ils sont proches du Royaume sans y entrer vraiment. Mais le Royaume de Dieu est aux portes, sa venue est imminente. Ne serait-ce que par la perspective de la mort corporelle.