Il nous restait à traiter d’un problème assez épineux, et qui était celui de l’authenticité à reconnaître, ou non, à la péricope dite de « La femme adultère » (cf. Jn 7,53 --- 8,11).
Non seulement la tradition des grands manuscrits, mais encore le témoignage des papyri trouvés en Egypte, dont plusieurs antérieurs au IV e siècle, étaient peu favorable à l’appartenance de la péricope au texte original de l’évangile, à la place qu’elle occupe habituellement, ou même ailleurs.
Le Sinaïticus (IV e siècle) ne la donnait pas.
Le Vaticanus (IV e siècle) ne la donnait pas.
L’Alexandrinus (V e siècle) et le Codex Ephrem (V e siècle), vides en cet endroit (manquent Jn 6,50 --- 8,52 dans l’Alexandrinus, et Jn 7,3 --- 8,34 dans le Codex Ephrem), ne pouvaient dirimer le débat.
La péricope n’était pas présente dans le papyrus Bodmer II (P 66) daté des environs de l’an 200, ni dans le papyrus Bodmer XIV.XV (P 75) daté du III e siècle.
La péricope de « La femme adultère » nous était parvenue seulement par le canal de la tradition dite occidentale : le Codex Bezae (V e siècle) et divers manuscrits, grecs ou latins, dérivant d’elle.
On admet aujourd’hui que le Codex Bezae reproduisait une ancienne édition des évangiles faite à Smyrne, aux environs de l’an 120.
Il restait possible, malgré tout, que cette seule tradition occidentale nous eût transmis le texte original, et intégral, du IV e évangile.
Saint Augustin pour sa part pensait que l’épisode avait été supprimé de l’évangile par des gens d’Eglise de tendance encratique, craignant qu’il ne servît à justifier l’adultère.
On n’accordait pas beaucoup de crédit, d’ordinaire, au jugement exégétique d’un saint Augustin, car ce dernier n’avait aucune idée de ce que deviendraient les exigences de la critique moderne.
Pour une fois cependant il semblait bien que son hypothèse fût la bonne et dût être retenue.
La péricope aurait été détachée de très bonne heure du texte de l’évangile : dès l’envoi du premier exemplaire en Egypte. C’était la raison pour laquelle on ne le trouverait dans aucun papyrus, ni dans les grands codices provenant de cette province de l’empire. Toutefois elle nous serait parvenue par une autre voie, tout aussi ancienne, tout aussi fiable : la tradition dite occidentale, originaire sans doute de l’Asie proconsulaire, comme on l’avait dit.
Plus tard d’autres scribes, étonnés de ne pas trouver la péricope dans le texte d’origine alexandrine, l’auraient replacée à d’autres endroits de l’évangile de Jean, ou même dans l’évangile de Luc. Mais les témoins de cette tradition secondaire n’étaient pas plus anciens que le X e siècle (cf. f1 : 1582, Athos, Vatopediu, daté de 949).
La critique interne seule pouvait donc décider, avec quelque chance de succès, quelque vraisemblance, si la péricope appartenait bien, d’origine, à l’évangile de Jean, et si elle se trouvait à sa bonne place dans le texte habituellement reçu.
Dans notre analyse littéraire nous étudierons successivement :
1°) Le mot à mot de la péricope et les relations éventuelles des mots et des tournures avec l’environnement textuel : le reste de l’évangile. Le vocabulaire utilisé appartenait-il au vocabulaire usuel de Jean ?
2°) L’insertion de la péricope dans le plan de l’évangile. La péricope était-elle prévue dans la structure d’ensemble de l’ouvrage ?
3°) Enfin la structure interne de la péricope : était-elle de facture johannique ?
8,1 « Jésus, lui, s’en alla au mont des Oliviers. »
Cf. 18,1 « Jésus s’en alla avec ses disciples de l’autre côté du torrent du Cédron. »
Même mouvement, et lieux identiques.
8,2 Orthrou dé : « Dès l’aurore. »
8,3 en mésô : « au milieu. »
8,4 ép’autophôrô : « en flagrant délit. »
8,9 en mésô : « au milieu. »
Cf. 8,12 égô eimi to phôs tou kosmou : « Moi, je suis la lumière du monde. »
Même idée de lumière, ou de mise en lumière, dans l’environnement immédiat de la péricope.
8,2 palin : « de nouveau. »
Cf. 8,12 Palin : « De nouveau. »
Le « de nouveau » de 8,2 appelait le « De nouveau » de 8,12 : Jésus ayant repris son poste au Temple (8,2) y reprenait son enseignement (8,12).
8,2 « et tout le peuple venait à lui. »
Cf. 6,2 « Une grande foule le suivait. »
Cf. 6,5 « une grande foule vient à lui. »
Même mouvement des foules vers Jésus.
8,2 « et s’étant assis, il les enseignait. »
Cf. 6,3 « il monta sur la montagne, Jésus, et là il s’asseyait avec ses disciples. »
Cf. 6,59 « Il dit ces choses dans une synagogue, enseignant à Capharnaüm. »
Cf. 7,37 « Jésus se tenait debout et il s’écria disant.»
Association identique de la gestuelle de Jésus, assis ou debout, et du lieu, avec l’idée d’enseignement.
8,5 én dé tô nomô êmin Môusês énéteilato : « dans la Loi, à nous Moïse a commandé. »
Cf. 8,17 kai én tô nomô dé tô humétérô gégraptai hoti : « Et dans la loi, la vôtre, il est écrit que. »
Remarquable parallélisme, aussi bien de la pensée que de l’expression. En 8,5 les Juifs revendiquaient la Loi pour leur. En 8,17 Jésus leur répondait du tac au tac, en leur reconnaissant la propriété de cette Loi.
8,5 tas toiautas lithadzeiv : « lapider de telles femmes. »
8,7 ép’autên balétô lithon : « sur elle jette une pierre. »
Cf. 8,59 êran oun lithous hina balôsin ép’auton: « Ils prirent donc des pierres pour les jeter sur lui. »
Cf. 10,31 Ebastasan palin lithous hoi Ioudaioi hina lithasôsin auton : « Ils saisirent de nouveau des pierres, les Juifs, afin de le lapider. »
Cf. 10,32 dia poion autôn ergon émé lithadzété ; : « pour laquelle de ces œuvres me lapidez-vous ? »
Cf. 10,33 péri kalou érgou ou lithadzomén sé : « à cause d’une bonne œuvre nous ne te lapidons pas. »
Dans la péricope et autour d’elle, dans la même fête des Tentes, puis dans la fête suivante, il régnait un climat de violence identique, qui se traduisait par le même terme : lapider. A chaque fois, et dans les mêmes conditions, le bras était armé mais le coup était suspendu.
8,5 su oun ti légeis ; : « Toi donc, que dis-tu ? »
Cf. 1,19 su tis ei ; : « Toi, qui es-tu ? »
Cf. 1,21 ti oun ; : « Quoi donc ? »
Cf. 1,22 ti légeis péri séautou ; : « Que dis-tu de toi-même ? »
Coïncidence remarquable d’expression. La question des lettrés et des Pharisiens de 8,5 ressemblait, comme une goutte d’eau à une autre, à la question insistante que les prêtres et les lévites de 1,19 posaient à Jean-Baptiste dans les débuts de l’évangile. On retrouvait les mêmes mots, et dans un ordre identique. (Nous avons souligné).
8,6 touto dé élégon péiradzontes auton : « Ceci, ils le disaient en l’éprouvant. »
Cf. 6,6 touto dé élégen péiradzôn auton : « Ceci, il le disait en l’éprouvant. »
Identité absolue, au nombre près (pluriel au lieu du singulier), de la tournure.
8,6 katô kupsas : « se baissant. »
8,7 anékupsén : « il se releva. »
8,8 palin katakupsas : « de nouveau se baissant. »
8,10 anakupsas : « se relevant. »
Cf. 8,23 humeis ék tôn katô esté, égô ék tôn anô eimi : « Vous, vous êtes d’en bas ; moi, je suis d’en haut. »
A quelques lignes d’intervalle, même dialectique des adverbes katô et anô (en bas et en haut).
On pourrait trouver dans l’évangile d’autres parallèles de cette gestuelle de Jésus, consistant à se baisser vers le sol puis à se relever. Ainsi pendant la même fête des Tentes :
Cf. 9,6 « Il cracha par terre et fit de la boue avec son crachat, puis il lui appliqua de la boue sur les yeux. »
Au cours de la dernière Cène :
Cf. 13,5 « Ensuite il met de l’eau dans le bassin et commence à laver les pieds des disciples. »
Cf. 13,12 « Après donc qu’il eut lavé leurs pieds, il prit ses vêtements… »
8,6 katégraphén eis tên gên : « Il écrivait sur la terre. »
8,8 égraphén eis tên gên : « Il écrivait sur la terre. »
Cf. 8,17 én tô nomô dé tô humétérô gégraptai : « Dans votre Loi, il est écrit. »
Jésus écrivait sur le sol les péchés des hommes que le vent (de la miséricorde divine) pouvait effacer.
Tandis que dans leur Loi était écrit le commandement de Dieu, imprescriptible, ineffaçable.
8,6 « Il écrivait sur la terre. »
Cf. 9,6 « Il cracha sur le sol et il fit de la boue avec le crachat. »
Deux fois, dans la même fête des Tentes, Jésus touchait le sol de la main. De même les Pharisiens se baissaient vers le sol (8,59) mais c’était pour ramasser des pierres.
8,9 « Ils sortaient un par un. »
Ce n’était pas la première fois qu’on observait, dans l’évangile, ce mouvement d’entrée et de sortie, ou de défilé devant Jésus, un par un ou deux par deux.
Cf. 1,35-51 : Les premiers disciples venaient à Jésus deux par deux : André et Jean (anonyme) ; André et Pierre ; Philippe et Nathanaël.
Cf. 13,5-12 : De même au cours de la dernière Cène Jésus lavait les pieds de tous ses disciples, forcément un par un.
8,9 « Et il resta seul avec la femme. »
Ce n’était pas l’unique fois dans l’évangile qu’on voyait Jésus rester seul avec une femme. Chaque fois l’évangéliste notait le fait avec une sorte d’étonnement.
Cf. 4,7-8 « Une femme de Samarie vient pour tirer de l’eau. Jésus lui dit : ‘Donne-moi à boire.’ Ses disciples en effet s’en étaient allés à la ville acheter des provisions. »
Cf. 4,27 « Là-dessus, ses disciples arrivèrent. Ils étaient surpris de le voir parler à une femme. Toutefois pas un ne dit : ‘Que lui veux-tu?’ ou ‘Pourquoi lui parles-tu ?’ »
Cf. 20,14-17 Marie-Madeleine était seule, et la première de tous, à voir Jésus ressuscité.
8,10 « Il lui dit : ‘Femme’. »
Cf. 2,4 « Jésus lui dit : ‘Quoi à moi et à toi, femme ?’ »
Cf. 4,21 « Jésus lui dit : ‘Crois-moi, femme.’ »
Cf. 19,26 « il dit à sa mère : ‘Femme’. »
Cf. 20,15 « Jésus lui dit : ‘Femme’. »
C’était l’appellation coutumière de Jésus, à la fois familière et noble, quand il s’adressait à une femme, fût-ce sa mère. Beaucoup voyait dans ce mot une allusion à Eve, soit comme mère de tous les vivants, soit comme pécheresse.
8,10 oudeis sé katékrinén ; : « Personne ne t’a condamnée ? »
8,11 oudé égô sé katakrinô : « Moi non plus, je ne te condamne pas. »
Cf. 8,15 humeis kata tên sarka krinété, égô ou krinô oudéna : « Vous-mêmes, vous jugez selon la chair ; moi, je ne juge personne. »
A quelques versets de distance, remarquable parallélisme non seulement de l’expression mais de la pensée. On pourrait prétendre que ce verset 8,15 résumait la péricope de « La femme adultère ». C’était comme si, dans son discours prononcé au Trésor (cf. 8,20), et donc en plein parvis des femmes, Jésus dégageait la morale de l’incident qui venait de l’opposer, en ce lieu même, aux scribes et aux Pharisiens.
Les Pharisiens jugeaient selon la chair (allusion au péché de chair commis par la femme). Moi, Jésus, je ne jugeais personne, même pas une femme surprise en adultère.
Et Jésus de poursuivre :
Cf. 8,16 kai éan krinô dé égô, hê krisis hê émê alêthinê estin : « Et si je juge, moi, ce jugement, le mien, est vrai. »
Si toutefois je jugeais, moi, (comme je venais de vous juger en écrivant sur le sable) c’était selon la vérité : que vous aviez reconnue en vous éloignant un par un ; mais c’était aussi selon la miséricorde de Dieu (puisque le vent pouvait l’effacer) et non pas, contrairement à vous, selon la sévérité de la Loi écrite.
8,11 poreuou, apo tou nun mêkéti hamartané : «Va, à partir de maintenant ne pèche plus. »
Cf. 5,14 idé hugiês gégonas, mêkéti hamartané : « Voici que tu es devenu sain, désormais ne pèche plus. »
Identité absolue de l’expression : « Ne pèche plus ». Expression propre (sauf erreur) au IV e évangile.
8,11 hupagé : « Va. » (Codex Bezae).
poreuou : « Va. » (Texte reçu).
Cf. 4,50 légei autô ho Iêsous : poreuou : « Jésus lui dit : ‘Va.’ »
Cf. 5,08 légei autô ho Iêsous : égeiré, aron ton krabatton sou kai péripatei : « Jésus lui dit : ‘Debout, prends ton grabat et marche.’ »
Cf. 9,7 kai eipén autô : hupagé : « Et il lui dit : ‘Va’. »
Cf. 18,8 aphété toutous hupagein : « Laissez ceux-ci aller. »
Le Codex Bezae était corroboré par le reste de l’évangile, autant que le texte habituellement reçu.
On pouvait conclure de tous ces rapprochements que la parenté littéraire de la péricope, avec son contexte, apparaissait de tout point remarquable. C’était bien le même auteur. C’était bien le même style. Les formules étaient similaires, voire identiques.
Cependant les commentateurs avaient cru devoir noter la « couleur synoptique » de la péricope. En particulier son début (Jn 8,1-2) : « Jésus, lui, s’en alla au mont des Oliviers. Mais dès l’aurore, il parut à nouveau dans le Temple, et tout le peuple venait à lui. Il s’assit donc et se mit à les enseigner » semblait imité de saint Luc. Cf. Lc 21,37-38 : « mais il s’en allait passer la nuit sur le mont dit des Oliviers. Et, dès l’aurore, tout le peuple venait à lui dans le Temple pour l’écouter. »
A mon avis le fait constaté de cette imitation des évangiles synoptiques, et d’abord de Luc, ne nuisait aucunement à la thèse de l’authenticité johannique de la péricope. Jean pouvait avoir sous les yeux, en composant son évangile, l’œuvre de ses devanciers.
L’écrivain Jean ne s’était jamais privé d’emprunter aux auteurs sacrés de l’ancienne comme de la nouvelle Loi. Dans l’Apocalypse, il s’était amplement inspiré des prophètes tardifs, Ezéchiel et surtout Daniel. Dans ses épîtres, il imiterait librement, et avec son génie propre, les épîtres des autres apôtres : Pierre, Jacques ou Pierre. Mais dans l’évangile il imitait… les autres évangélistes. Il demeurait patent, par exemple, que dans le récit de la passion, bien que témoin oculaire lui-même, il avait suivi de très près le schéma qui lui était proposé par Marc, Luc et peut-être Matthieu.
Il restait vrai que l’expression qu’on trouvait en :
8,3 : « Les scribes et les Pharisiens… »
semblait propre aux synoptiques : Marc (7,1), Luc (6,7), et surtout Matthieu qui l’utilisait avec véhémence (cf. Mt 23,13-29).
Jean mentionnerait plutôt :
Cf. 1,19 « des prêtres et des lévites. »
ou :
Cf. 7,45 ; 11,47 ; 11,57 ; 18,3 : « Les grands prêtres et les Pharisiens » ou ailleurs, seulement : « Les Juifs », « Les Pharisiens »…
Il était vrai encore qu’on trouvait au verset :
8,4 didaskalé : « Maître », alors que Jean utilisait le plus souvent le mot hébreu « Rabbi », ou son diminutif « Rabbouni ».
Pourtant, à trois reprises en dehors de la péricope, Jean donnait l’équivalent grec du mot hébreu « Rabbi » :
Cf. 1,38 « Ils lui dirent : ‘Rabbi’, ce mot qui, traduit veut dire : ‘Maître’. »
Cf. 3,2 « Rabbi, nous savons que tu es un maître venu de la part de Dieu. »
Cf. 20,16 « Celle-ci lui dit en hébreu : ‘Rabbouni’, ce qui veut dire ‘Maître’ ».
Seul, donc, le mot « scribes », « grammateis » (8,3), semblait ne pas se trouver ailleurs dans saint Jean. Mais si, comme nous le disions, Jean imitait Luc 21,37-38, il aurait rencontré le mot « grammateis » dans la suite immédiate : cf. Lc 22,2.
Dans le texte reçu, la péricope venait s’insérer à l’intérieur de la structure de ce que nous avions appelé la « V e apocalypse » (Jn 7,1 --- 10,21), qui décrivait la fête juive des Tentes.
Si, à l’intérieur de cette structure, on faisait abstractions de la péricope (Jn 7,53 --- 8,11), tous les discours de Jésus aux foules et les âpres discussions avec les Juifs, racontés par l’évangéliste depuis le verset 7,37 jusqu’au verset 8,59 auraient eu pour cadre le parvis des femmes, où se trouvait le Trésor (cf. Jn 8,20) et pour date le grand jour de la fête des Tentes (cf. Jn 7,37). Ceci, de soi, était peu vraisemblable quand on sait l’énorme affluence qui pouvait encombrer le Temple ce jour-là. De plus, le déploiement des fastes liturgiques eût empêché une prédication prolongée de Jésus, à ce moment-là et dans ce lieu-là.
Les sermons de Jésus dans le parvis des femmes, et ses discussions avec les Juifs, paraissaient beaucoup plus vraisemblables le lendemain, après la fête. Ainsi la péricope de la « Femme adultère » venait-elle s’insérer d’une manière très naturelle dans la séquence des événements de cette fête des Tentes.
Revisitons rapidement ladite séquence :
(1). Le Grand jour de la fête Jésus prononçait un discours assez bref sur les « fleuves d’eau vive » (7,37-39), qui lui était inspiré par le rite des libations d’eau, propre à cette journée. Ce discours provoquait une division au sein de la foule, et une discussion parmi les responsables juifs, avec intervention de Nicodème en faveur de Jésus (7,40-52).
(2). Le soir de ce même jour (8,1) Jésus se retirait au mont des Oliviers. Ce qui n’avait rien que de très normal puisqu’il avait campé là toute la semaine, pendant la fête des Tentes.
(3). Dès l’aurore (8,2) il regagné le Temple pour enseigner. Ce qui ouvrait une très longue journée de prédications et de miracles (8,2 --- 10,21).
(4). Ses ennemis, les scribes et les Pharisiens, traduisaient devant lui une femme surprise en flagrant délit d’adultère (8,3).
Cet épisode était là bien en situation. Comme l’historien Daniel-Rops le faisait remarquer (Jésus en son temps, chap. VII), la fête des Tentes devait être propice aux unions illégitimes, car l’on devait vivre sept jours sous la tente en dehors de son domicile, selon les prescriptions du Lévitique (23,42).
Le Talmud prévoyait que les femmes coupables d’adultère fussent amenées « traînées par le col de leur robe » à la porte de Nicanor, dans le parvis des femmes, pour y être jugées.
Or c’était précisément l’endroit où se tenait Jésus ce jour-là d’après la suite du récit (cf. 8,20).
(5). Peu après Jésus prononçait son discours sur ce thème : « Je suis la lumière du monde » (8,12-20). Discours bien en situation, lui aussi, puisque nous étions le matin (cf. 8,2) face au soleil levant, le Temple étant orienté vers l’est.
Ainsi donc les versets 7,53 à 8,11 participaient quasi nécessairement à la suite du récit, et à l’enchaînement des faits. On ne saurait les supprimer sans inconvénient grave.
D’autres remarques encore s’imposaient, qui tendaient à prouver que l’épisode de la femme adultère appartenait bien au texte original du IV e évangile.
(1). Le piège tendu à Jésus (cf. 8,6) correspondait tout à fait au climat général de la V e « apocalypse », la fête des Tentes, puisque pendant cette semaine on essayait à plusieurs reprises de l’arrêter ou de l’assassiner. (Cf. 7,44.45 ; 8,20.37.59). C’était aussi dans ce temps-là qu’on avait décidé d’exclure de la synagogue quiconque croirait en lui (cf. 9,22).
(2). La femme adultère de Jn 8,3-11 n’était pas la seule pécheresse rencontrée, et pardonnée, dans le IV e évangile. On pensait bien entendu à la Samaritaine de la II e « apocalypse » qui déclarait à ses compatriotes : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. » (Jn 4,29). On pensait aussi à Marie-Madeleine, la première à voir Jésus après sa résurrection (Jn 20,1-18), même si l’on savait seulement par les synoptiques qu’elle fut une pécheresse. (Cf. Mc 16,9 ; Lc 8,2).
(3). Le message qui nous était laissé par la péricope : « Personne ne t’a condamnée ?... Moi non plus,… je ne te condamne pas » (Jn 8,10.11) se trouvait en consonance parfaite avec le reste de l’évangile. Il en représentait même l’un des thèmes majeurs : cf. Jn 3,17.18 ; 5,24.45 ; 8,15 ; 12,47 (le verset 8,15 venant de suite après la péricope, et semblant la résumer).
(4). Enfin, d’un point de vue purement structurel, on avait déjà démontré (chapitre 16 de cet ouvrage) que l’épisode de la « Femme adultère » formait l’un des cinq éléments du plan de la 8 e journée (de la fête des Tentes).
a) 8,2-11 : Jésus venait au Temple le matin. Comparution d’une femme surprise en adultère.
b) 8,12-20 : Discours de Jésus sur le thème : « Je suis la lumière du monde. »
c) 8,21-59 : Discussions avec les Juifs au sujet de son identité divine.
d) 9,1-41 : Guérison d’un aveugle-né.
e) 10,1-21 : Discours sur le thème : « Je suis le Bon Pasteur. »
Le chiasme, la rupture, passait dans la partie centrale (c) : les Juifs, bien que se prétendant fils d’Abraham, ne tentaient pas moins d’assassiner le Messie.
La présence des versets 8,2 à 8,11 permettait d’assurer le rythme quinquénaire (impair) de la journée, rythme usuel chez Jean.
Enfin la péricope elle-même, on l’avait vu, s’ordonnait selon ce même rythme quinquénaire.
(Les versets 7,53 et 8,1 appartenant à la fin de la 7 e journée).
a) 8,2-11 : Comparution de la femme adultère.
alpha) 8,2. De bon matin, Jésus au Temple.
bêta) 8,3-6 a. Comparution de la femme adultère.
gamma) 8,6 b-9. Réplique de Jésus aux scribes et aux Pharisiens. Ceux-ci se retiraient.
delta) 8,10-11 a. Dialogue de Jésus avec la femme laissée seule.
epsilon) 8,11 b. Absolution et renvoi de la femme.
Le chiasme, la clef de voûte du récit, se plaçait au verset 8,9 ; entre les mots : « A ces mots » et « ils se retirèrent un à un. » En cet instant précis le piège qui allait se refermer sur Jésus – et sur la pécheresse - se défaisait.
Pour toutes les raisons invoquées dans ce chapitre, l’authenticité de la péricope dite de la « Femme adultère » (Jn 7,53 --- 8,11) paraissait probable.
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Nantes, le 8 décembre 2004