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Structure littéraire d’ensemble, ou séquence logique,

du IV e évangile.

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On l’avait vérifié abondamment dans les chapitres précédents : le IV e évangile se développait très visiblement selon 7 « apocalypses », ou révélations successives, auxquelles il fallait ajouter le prologue (Jn 1,1-18) et l’appendice final (Jn 21). On obtenait ainsi, si l’on voulait, un plan en 9 parties.

Résumons toute l’intrigue de l’évangile sous les rubriques d’un tel plan.

a) Prologue : 1,1-18.

Le Christ se manifestait à nous comme le Verbe de Dieu incarné. Jean-Baptiste en était le témoin.

b) I ère apocalypse : 1,19 --- 2,12.

C’était la Semaine inaugurale du ministère public de Jésus.

Les Juifs enquêtaient sur Jean-Baptiste. Mais Jean-Baptiste désignait Jésus comme l’Agneau de Dieu, et comme celui qui baptisait dans l’Esprit. Six disciples du Baptiste devenaient disciples de Jésus,  lequel Jésus, aux noces de Cana, changeait l’eau en vin à la demande de sa mère.

c) II e apocalypse : 2,13 --- 4,54.

1 ère Pâque du ministère public.

 Jésus, à Jérusalem, purifiait le Temple du trafic commercial qui le parasitait. Il développait, devant le docteur juif Nicodème, la théorie de son nouveau baptême. Mais, descendu dans la vallée du Jourdain, il mettait en pratique la théorie de ce baptême. Aux Samaritains, il se manifestait comme le Messie d’Israël et le Sauveur du monde. Revenu à Cana, il guérissait le fils d’un fonctionnaire royal de Capharnaüm.

d) III e apocalypse : 5,1-47.

Deuxième fête (non précisée) à Jérusalem.

Jésus, un jour de sabbat, guérissait un infirme à la piscine de Bézatha (ou Bethesda). Il proclamait, et démontrait par les faits, que comme Dieu son Père il travaillait toujours.

e) IV e apocalypse : 6,1-71.

La Pâque du pain de vie. La scène se passait en Trachonitide, puis, le lendemain, en Galilée.

Jésus multipliait les pains et les poissons pour nourrir les foules affamées qui l’avaient suivi. Mais il se dérobait quand ces mêmes gens voulaient le proclamer roi. Ses disciples ayant entrepris en barque la traversée du lac, il les rejoignait de nuit, en marchant sur les flots.

Le lendemain, dans la synagogue de Capharnaüm, il proclamait qu’il était le vrai Pain de Vie descendu du ciel. Et qu’il allait donner à manger et à boire, à l’humanité, son propre corps et son propre sang.

f) V e apocalypse : 7,1 --- 10,21.

Fête des Tentes à Jérusalem.

Jésus proclamait qu’il était la Lumière du monde. Et pour appuyer son propos, il guérissait un aveugle de naissance, en lui demandant seulement d’aller se laver à la piscine de Siloé.

g) VI e apocalypse : 10,22 --- 11,54.

Fête de la Dédicace à Jérusalem.

« Moi et le Père nous sommes un. » On cherchait à le lapider. Jésus, retiré en Pérée, apprenait que son ami Lazare était malade. Après deux jours d’attente, Jésus déclarait à ses disciples que Lazare était mort, et il montait à Béthanie, près de Jérusalem, pour le ressusciter.

Il déclarait, à cette occasion, qu’il était lui-même la Résurrection et la Vie.

Les chefs juifs décidaient en conseil la mort de Jésus. Il se réfugiait à Ephraïm de Judée.

h) VII e apocalypse : 11,55 --- 20,31.

Dernière Pâque à Jérusalem.

Jésus revenait à Béthanie, où il avait ressuscité Lazare. Au cours d’un repas, Marie l’oignait de parfum en prophétie de son ensevelissement prochain.

Jésus faisait une entrée royale à Jérusalem en empruntant la descente du mont des Oliviers.

Au cours d’un dernier repas, il faisait ses adieux à ses disciples. Il leur lavait les pieds pour leur laisser l’exemple du service. Il leur promettait de ne pas les laisser orphelins, mais qu’il leur enverrait l’Esprit Saint. Il leur donnait l’espérance que, malgré leur abandon provisoire et la trahison de Judas, ils le reverraient bientôt.

Dans la nuit, il était arrêté au jardin de Gethsémani. Traduit devant Anne, Caïphe, puis Pilate, il était condamné d’abord à la flagellation, ensuite à la peine capitale après deux jours d’interrogatoires.

Le vendredi, il était crucifié sur la butte du Golgotha en compagnie de deux malfaiteurs. Il mourait après 6 heures de présence en croix. On ne lui brisait pas les jambes, mais on lui perçait le côté avec une lance.

Il était enseveli dans un tombeau neuf par les notables, Joseph d’Arimathie et Nicodème.

Le troisième jour il ressuscitait. Il apparaissait d’abord à Marie-Madeleine. Le soir, il apparaissait à 10 de ses apôtres. Il leur donnait sa paix, et le pouvoir de remettre les péchés.

Huit jours plus tard, il apparaissait aux onze apôtres, et reprochait à Thomas son incrédulité. Ce dernier confessait : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jn 20,28).  

i) Appendice : 21,1-25.

Investiture de Pierre.

Jésus apparaissait à sept de ses disciples, sur les bords du lac de Tibériade. Après une pêche miraculeuse, il chargeait Pierre du soin de veiller sur son troupeau, après son départ.

Le centre du chiasme qui parcourait tout l’évangile, était à chercher, comme il était normal, dans la partie topologiquement  centrale du livre, dans l’ « apocalypse » centrale, la quatrième sur sept, celle de la Pâque du pain de vie. Elle ne contenait que deux journées distinctes, très contrastées. Le centre logique de l’évangile devait donc se situer à l’intersection de ces deux journées, soit entre les versets : 6,21 et 6,22.

Ce point était déterminé par le raisonnement seul. Il était déduit a priori ; il désignait un endroit du texte sans hiatus, sans césure sensible, autre qu’une transition normale entre deux journées, comme il y en avait beaucoup. Aucune parole importante n’était prononcée. Il était probable que l’auteur même n’avait pas conscience de se trouver au centre logique de son livre.

Un tel procédé d’analyse, purement théorique, pourrait sembler arbitraire. Il n’en était pas moins éclairant sur la signification profonde de l’œuvre.

Un tournant s’opérait, en cet instant, dans la vie publique du Christ ; une orientation nouvelle était donnée. Le Christ refusait définitivement d’assumer une messianité temporelle. Il fuyait la foule. Au lieu de se laisser acclamer comme roi, il se contentait de l’humble tâche de prédicateur. Le lendemain, dans la synagogue de Capharnaüm, il proclamait qu’il était le Pain de Dieu descendu du ciel. Une séparation définitive s’accentuait ainsi parmi ses disciples, et parmi les foules de ses auditeurs. D’un côté la fidélité, bien qu’un peu apeurée, à la suite de Pierre. De l’autre la trahison sourde, à l’exemple de Judas, ou l’hostilité déclarée. Cette hostilité devait déboucher sur le drame du Calvaire. Quant aux desseins de la providence divine, ils se réalisaient malgré le péché, et malgré les embûches des hommes.

Deux journées contrastées, donc, dans cette quatrième « apocalypse » : dans l’une, le Christ concédait la nourriture matérielle à une foule affamée ; dans l’autre, il lui promettait comme nourriture spirituelle son propre corps et son propre sang. C’était dire toute sa personne humano-divine. Mais aussi sa personne immolée. Dans l’eucharistie, ici décrite par avance, la distinction du pain et du vin, du corps et du sang, préfigurait son sacrifice sanglant. Le discours de Jésus annonçait sa propre mort ; mais aussi, puisqu’il était la Vie, sa résurrection. Ainsi la Pâque du pain de vie mettait-elle en route, non seulement en symboles mais déjà en actes, l’offrande à la fois rédemptrice et glorieuse du Maître. Malgré la tentation contraire, le Christ était resté fidèle à sa vocation, celle qui lui avait été assignée dès l’abord par le Baptiste : « Voici l’Agneau de Dieu » (Jn 1,29), c’était dire l’agneau du sacrifice expiatoire. 

Au verset 6,22 les foules, au lendemain de la multiplication des pains, cherchaient encore Jésus de l’autre côté du lac de Tibériade, du côté des ambitions terrestres. Dès le verset 6,24 elles se mettaient à le chercher – et elles auraient bien du mal à le trouver – sur la rive de la mission surnaturelle et de la vie divine, cette rive où Jésus venait de passer sans retour.

La transition pouvait paraître insensible ; elle n’en était pas moins capitale dans l’évolution du ministère public de Jésus.

Cette analyse littéraire, si l’on voulait bien la suivre un tant soit peu, confirmait que cette quatrième « apocalypse » (le chapitre 6 de la numérotation usuelle) se trouvait à sa place dans la séquence globale de l’évangile, une place logiquement, sinon matériellement, centrale.

Dans le diagramme qui suit, on tenterait de récapituler les doctrines ou les acteurs principaux du livre, forcément signalés par un seul mot, ou par une brève formule. Selon les lignes de ce diagramme, on avait une vue synchronique de chacune des 7 « apocalypses » (auxquelles il fallait ajouter le prologue et l’appendice) : tous les différents thèmes, ou les différents protagonistes, qui interagissaient dans chacun des neuf actes du drame. Mais selon les colonnes on obtenait une vision diachronique de la métamorphose des thèmes, ou de l’évolution des divers personnages, à travers tout l’évangile.

D’après les suggestions de ce diagramme, nous serions amenés à examiner dans un premier temps la cohérence interne de chacune des « apocalypses », et autres parties, en fonction de leurs thèmes dominants : lecture synchronique de l’évangile. Puis dans un deuxième temps, nous tenterions de vérifier la progression des divers enseignements, ou la transformation psychologique des intervenants, au long des neuf étapes du récit : lecture diachronique.

Diagramme du IV e évangile

Thèmes et

Acteurs

Actes et lieux  ↓

Fête juive

Thème, ou Révélation majeure

Jean-Baptiste

Les Juifs,

 la foule,

le monde

Les disciples

Pierre

Jean

Les

enseigne-

ments

de Jésus,

sa

doctrine

Les

miracles

de Jésus

Marie

Les

saintes femmes

Joseph d’Arima-thie, Nico-dème

Prologue

  1,1-18

Le Logos

Témoin

Ne reçoivent pas la lumière

Devien-nent enfants de Dieu

   

Logos incarné,

Fils de Dieu, et Dieu

       

Apocalypse

I    

Semaine inaugurale

  1,19—2,12

   Pérée, 

    puis

     Cana                

La foi révélée

aux fidèles d’Israël, changés

en disciples

Désignait Jésus comme Agneau de Dieu

Enquê-taient sur Jean-Baptiste

Accueil-laient

Jésus avec enthou-siasme.

Changés

 en disciples

Changé en Céphas

(Pierre)

Suiv-

ait

Jésus

dès

le

1e jour

Agneau

de Dieu,

Messie,

Roi

d’Israël,

Fils

de Dieu

Changeait l’eau

en vin

à Cana

Com-man

dait le miracle

   

Apocalypse    II

1 ère Pâque à Jérusalem

2,13—4,54

 Jérusalem

  Judée

  Samarie

  Cana

Le baptême d’eau et d’Esprit révélé à Israël et

au monde

Accep-tait le baptême de Jésus

Interpel-laient

Jésus.

Samari-

tains et Galiléens accueil-

laient J.

Suivaient

Jésus.

 S’occu-

paient

des

nour-ritures terrestres

   

Messie révélé aux nations

Inaugurait le nouveau baptême d’eau et d’Esprit

Guérissait

le fils

d’un fonction-naire royal de Caphar-naüm

 

La

Samari-taine croyait

au

Messie

Nico-dème venait

de nuit

inter-roger Jésus sur sa doctrine

Apocalypse III

2 ème Fête à Jérusalem

5,1-47

  Jérusalem

La pénitence,

la rémis-

sion des péchés

Il était (au passé) désigné comme la lampe

Poursui-vaient J. pour non respect

 du sabbat. Cher-chaient à le faire périr

     

Travail-

lait

comme

le Père.

Avait le témoi-gnage du Père

Guérissait un

infirme le jour du sabbat

     

Apocalypse IV

Pâque du pain de vie

6,1-71

 Trachoni-tide

 Galilée

L’eucha-ristie

 

Voulaient

 le faire roi. Cher-chaient J. Dispu-taient sur la chair à manger

Jouaient les utilités. Murmures de certains qui quittaient J.

Judas était un démon

Confes-

sait le Christ : « Tu as les paroles de la vie éter-nelle. »

 

Donnait le pain de vie, le pain du ciel, sa chair à manger, son sang à boire

Multi-pliait les pains.

Marchait sur les flots

     

Apocalypse V

Fête des Tentes

7,1 --- 10,21

 Jérusalem

Jésus était la lumière du monde

 

Cher-chaient à l’arrêter.

Tentaient de le lapider.

Procé-daient à son encontre

Question-naient Jésus sur le cas de l’aveugle

   

Venait de Dieu.

Lumière du monde

« JE SUIS »

Bon berger.

Je donne ma vie

Guérissait un aveugle-né

 

La

femme adultère pardon-née

Nico-dème défendait Jésus en conseil

Apocalypse VI

Fête de la Dédicace

10,22---11,54

 Jérusalem

 Pérée

 Béthanie

 Ephraïm

Jésus était

 la Résur-rection et la Vie

Jésus pèlerin sur les lieux où Jean avait baptisé

(jadis)

Cher-chaient à le lapider.

Décidaient sa mort en conseil

Suivaient Jésus à Béthanie avec crainte

   

Moi et le Père sommes un.

Je suis la Résur-rection et la Vie

Ressus-citait son ami Lazare

 

Marthe

et

Marie accueil-laient J. avec grande

foi

 

Apocalypse VII

Dernière Pâque

 11,55 --- 20,31

 Jérusalem

Le Roi de l’Israël éternel franchis-sait la mort et inaugurait le règne de l’Esprit

 

Accou-raient vers J. Ne croyaient pas en lui.

L’arrê-taient. Le livraient à Pilate. Pilate le faisait flageller puis le livrait à la mort

Inter-rogeait J. lors du

 dernier repas.

L’aban-donnaient. Judas le livrait.

Ils le

retrou-vaient

avec joie. Thomas doutait,

puis confessait

le Christ

Promet-tait de suivre Jésus.

Le reniait.

Premier témoin du tombeau vide, le matin de Pâques

Repo-sait

sur la poitrine de J.

Recevez Marie comme mère.

1e au tombeau

 le matin

de Pâques

Roi des Juifs. Serviteur. « Je vais vers le Père ».

« Je suis le cep ». « J’enver-rai l’Esprit ». « Je vous reverrai ». « Recevez l’Esprit Saint »

Se ressuscitait lui-même le 3 e jour

Assis-tait

Jésus au Cal-vaire. Donnée à Jean et à l’Eglise comme mère

Marie

de Béthanie oignait Jésus.

Les Stes femmes

au Calvaire

Marie-Made-leine,

1e au tombeau

1e à voir J.et à l’annon-cer

Joseph d’Ari-mathie

et

Nico-dème enseve-lissaient Jésus

comme

un riche

Appendice

 21,1-25

 Galilée

Pierre,

chef de l’Eglise. Jean témoin principal

   

Retour-naient à

la pêche.

Revoyaient J. avec timidité et sans doute avec joie

Investi comme chef de l’Eglise

Compa-gnon de Pierre.

Auteur

de l’évan-gile

« Jusqu’à

ce que je vienne... »

Pêche miracu-leuse

     

En parcourant ce diagramme, on se rendait compte de la cohérence interne de tout l’ouvrage, agencé en sept « apocalypses », ou révélations, nettement séparées (avec un prologue au début, un appendice à la fin). Chacune des « apocalypses » s’organisait en fonction d’une fête juive bien caractérisée (la Semaine inaugurale en tenait lieu, pour la première « apocalypse »), en fonction d’un thème majeur : la foi, le baptême, la rémission des péchés…, en fonction d’un miracle qui venait illustrer l’enseignement et pour ainsi dire le corroborer.

Relisons rapidement notre diagramme selon les lignes (lecture synchronique) afin de vérifier la cohésion de chacun des neuf actes du drame en regard de son thème majeur.

Lecture synchronique

 

1°) Le Prologue (Jn 1,1-18). Présentation du logos.

« Au commencement était le Logos… » (Jn 1,1). A l’imitation des premiers mots de la Genèse, qui posaient Dieu, et la création du monde par Dieu, le prologue posait le Logos, et son éternité divine. Ce Logos, qui s’était incarné, n’était autre que Jésus-Christ, et Jean-Baptiste était son témoin.

D’un point de vue simplement littéraire, ce prologue pouvait se laisser incorporer à la première « apocalypse », celle de la Semaine inaugurale, à laquelle il servait pour ainsi dire de préface, ou de vision liminaire.

Dans la grande Apocalypse aussi, on avait rencontré plusieurs fois ce système des visions liminaires (cf. Ap 1,9-20 : vision liminaire des lettres aux sept Eglises ; Ap 4,1 --- 5,14 : vision liminaire des sept sceaux ; Ap 8,2-5 : vision liminaire des révélations des sept trompettes ; Ap 15,1-8 : vision liminaire de la révélation des sept coupes).

La transition était insensible entre ce prologue et la Semaine inaugurale : pas de mot-charnière caractéristique ; le véritable mot-charnière de la première « apocalypse » pouvait même se chercher au verset 1,1 : « Au commencement était… »

Le prologue n’en ouvrait pas moins tout l’évangile. Il présentait clairement les principaux acteurs du drame : le Logos qui était le Christ, Jean-Baptiste, les disciples, le monde ; ainsi que l’enjeu de drame : la lutte de la lumière et des ténèbres.

Le Christ était la vraie lumière venue en ce monde. Il était le Fils de Dieu. Il était Dieu lui-même. Le monde ne le recevait pas, mais les disciples, à la suite de Jean-Baptiste, l’accueillaient et devenaient enfants de Dieu. Déjà le rejet de Jésus par le monde était prévisible et donc la crucifixion, et donc la Résurrection, ainsi que les apparitions au profit des seuls disciples : sinon annoncés en clair, du moins rendus plausibles, ou encore crédibles.

2°) Apocalypse I (Jn 1,19 --- 2,12). L’Agneau de Dieu.

La première « apocalypse » avait pour thème apparent, et de fait principal, l’annonce que Jésus était le véritable Agneau de Dieu, le Messie, le Roi d’Israël. Mais elle acceptait pour thème secondaire, et sous-jacent, l’idée de changement qui nous était suggérée par le changement de l’eau en vin à Cana. Le changement, et donc la nouveauté, et donc la fraîcheur d’un nouveau printemps pour le monde.

Les Juifs descendaient de Jérusalem pour enquêter sur Jean-Baptiste. Mais Jean-Baptiste les renvoyait à un prophète bien plus grand. Lui avait baptisé dans l’eau, mais l’autre baptiserait dans l’Esprit Saint. Les temps étaient donc changés. Dès l’abord, Jean présentait Jésus comme l’Agneau de Dieu, ce qui résumait toute l’attente biblique, mais dans un sens sacrificiel, plus que dans un sens triomphal. Jésus n’en était pas moins le Messie, le Christ, le Roi d’Israël, le Fils de Dieu. Cinq disciples du Baptiste : Jean, André, Simon, Nathanaël (ou Barthélemy) et Philippe, six en y comprenant Jacques, frère de Jean, l’acceptaient comme tel avec empressement. Ils étaient donc changés aussitôt en disciples de Jésus. Simon était changé d’un mot en Céphas, ou le Roc, ce qui lui conférait d’entrée une responsabilité spéciale dans le groupe. Dès que Jésus était revenu dans sa patrie, la Galilée, et dans sa famille, invité à un mariage en compagnie de sa mère, il changeait l’eau en vin pour symboliser la venue des temps nouveaux. La mère de l’humble charpentier de Nazareth était transformée au su de tous en la mère d’un Messie itinérant. Cana devenait en quelque sorte la première ville évangélisée au monde, la première ville « christianisée ». Quant au mariage de droit naturel, ou de droit juif, il recevait dans ce repas une dignité nouvelle qui prophétisait les épousailles du Christ et de l’humanité, lesquelles se célébreraient au Golgotha, en présence de la même Marie, mère de Jésus. Le mariage chrétien, comme sacrement de la loi nouvelle, était ici clairement préfiguré.

3°) Apocalypse II (Jn 2,13 --- 4,54). Le baptême d’eau et d’Esprit.

Après Cana, où il avait inauguré avec éclat son ministère public de Messie et de thaumaturge, le Christ faisait irruption avec audace à Jérusalem, et même avec fougue : un fouet à la main. Tout auréolé de sa nouvelle mission, reçue au Jourdain, et de sa nouvelle gloire acquise à Cana, il poursuivait tambour battant son œuvre d’initiateur des temps nouveaux : il nettoyait, non pas les écuries d’Augias, mais rien moins que le Temple de Jérusalem du trafic éhonté qui le défigurait. Depuis trop longtemps, depuis son enfance, Jésus avait dû supporter, avec colère, le mercantilisme qui s’y étalait, avec la complicité intéressée des prêtres. Puisque l’ère messianique pointait à l’horizon, il ne devait plus en être ainsi.

Il était patent que les chefs juifs ne contestaient pas le droit de Jésus d’opérer cet assainissement moral : ils savaient trop bien qu’ils étaient dans leur tort et que le Christ, quant à lui, évoluait dans la plus parfaite « légalité », conformité à la Loi. Ils réclamaient seulement de sa part un certificat attestant l’authenticité de sa mission divine : en l’espèce un nouveau miracle qui légitimerait, spécialement pour eux, sa prétention à la messianité, comme s’ils n’eussent ouï parler du miracle retentissant de Cana, et des autres miracles accomplis par lui à Jérusalem (cf. Jn 2,23), que l’évangéliste ne relaterait pas.

Dès les débuts du ministère de Jésus, dans la capitale, les rapports étaient tendus avec les autorités du Temple. Mais il fallait reconnaître que Jésus ne prenait pas de gants…

A Nicodème, notable juif du parti des Pharisiens (cf. Jn 3,1), Jésus exposait, dès le principe, les éléments doctrinaux du royaume messianique qui advenait : il fallait renaître d’eau et d’Esprit pour y entrer. Le Messie, d’autorité, assumait et s’appropriait le baptême de Jean, mais il le renouvelait de façon radicale en lui adjoignant l’invocation de l’Esprit. En fait, le nouveau baptême devait être désormais administré au Nom de l’Esprit (qui venait d’être révélé au Jourdain : cf. Jn 1,32), mais aussi au Nom du Fils (également révélé au Jourdain : cf. Jn 1,34), mais aussi au Nom du Père (révélé aussi ipso facto au Jourdain : cf. ib). Sans doute ce nouveau baptême ne deviendrait obligatoire pour tous, pour l’obtention de salut, qu’à partir de la Pentecôte, c’était dire après l’irruption visible de l’Esprit sur l’Eglise. Mais déjà il se mettait en place en vue de l’initiation des disciples. Nicodème en était instruit. En sa qualité de docteur, il était a priori capable de concevoir, et même d’assimiler, ce mode original d’entrée dans l’ère messianique.

Jésus-Christ, quant à lui, ne tardait pas de mettre en application sa nouvelle pratique.  Il se rendait sur les bords du Jourdan pour y procéder. Une dispute ne manquait pas de s’élever avec les disciples de Jean, au sujet de la validité des différents baptêmes. Mais Jean s’inclinait avec beaucoup de noblesse. D’ailleurs n’était-il sorti que comme précurseur, ou annonciateur, du Messie. Il ne pouvait que s’incliner devant les méthodes de ce Messie, même si elles l’étonnaient. Jean certifiait et approuvait pleinement ce baptême au Nom de la Sainte Trinité. Lui-même nommait successivement les Trois Personnes divines : Esprit, Père et Fils : cf. Jn 3,34-35.

Après ces incidents, Jésus se retirait en Galilée, en passant par la Samarie ; son action évangélique se manifestait déjà, virtuellement, au bénéfice de toutes les nations : les Juifs comme les non-Juifs ; elle atteignait toutes les parties de la Palestine : Jérusalem, région du Jourdain, Samarie, Galilée. La proclamation du Royaume gagnait de l’ampleur, en entendant de devenir universelle.

A la Samaritaine qui lui procurait l’eau du puits de Jacob, Jésus promettait l’eau vive de l’Esprit. A ses disciples qui se préoccupaient des nourritures terrestres, Jésus laissait entrevoir des nourritures spirituelles, plus hautes mais aussi plus exigeantes. Il acceptait de résider deux jours chez les Samaritains, abolissant ainsi les barrières qui séparaient ce peuple des Juifs.

Bouclant la boucle de son premier périple missionnaire, il revenait à Cana. C’était là que venait l’accoster un officier royal de Capharnaüm, dont le fils était gravement malade. Et Jésus, à distance, guérissait ce fils. Ainsi non seulement Cana, mais les villes juives des bords du lac, non encore évangélisées, entendaient parler de la bonne nouvelle du Royaume et se mettaient en branle. L’entourage même d’Hérode, l’administration royale, étaient touchés par le message de Jésus. C’était là le sens, croyons-nous, de ce nouveau miracle, le second accompli en Galilée (cf. Jn 4,54). Il illustrait l’ouverture du Royaume à tous les peuples sans exception. C’était pourquoi, selon nous, il concluait cette seconde « apocalypse ».

4°) Apocalypse III (Jn 5). La pénitence.

Jésus reparaissait à Jérusalem pour une fête qui n’était pas nommée. Aussitôt il guérissait un infirme à la piscine de Bézatha. Or c’était un jour de sabbat (de repos).

Ce miracle donnait prétexte à l’enseignement de Jésus, consigné tout au long de cette troisième « apocalypse » ou révélation. Il lui fournissait des arguments. Il permettait un élargissement universel des perspectives que Jésus exploitait.

Jésus demandait à l’infirme de porter son grabat le jour du sabbat : par là il enfreignait une interprétation restrictive et tatillonne du repos hebdomadaire ; mais il le faisait après un miracle qui ne pouvait venir que de Dieu.

Jésus même avait « œuvré » le jour du sabbat en guérissant : mais c’était une œuvre que Dieu homologuait. Une action surhumaine et surnaturelle qui prouvait à l’évidence l’origine divine de sa mission.

On entendait Jésus procéder par inférences implicites, et par surenchères. Il profitait de ce miracle pour introduire d’emblée les plus hautes doctrines : « Mon Père travaille toujours et moi aussi je travaille. » (Jn 5,17). Les Juifs tiraient aussitôt les conclusions de ce syllogisme, implicite mais impeccable : il se prétendait Fils de Dieu, donc il se faisait Dieu. Ils jugeaient ces propos blasphématoires, n’oubliant qu’un aspect du problème, c’était qu’ils étaient prononcés par l’auteur incontestable d’une œuvre divine.

De même que Dieu agissait toujours, y compris le jour du sabbat, ne serait-ce qu’en conservant dans l’être la création, de même Jésus revendiquait le droit et le pouvoir de faire un miracle – œuvre divine – le jour du sabbat. De deux choses l’une, ou bien il était un prestidigitateur, un simulateur, ce que personne n’insinuait, ou bien il venait de Dieu et, alors, son témoignage devait être cru.

Abasourdis par ce raisonnement irréfutable, les Juifs décidaient entre eux de le faire mourir. Ils avaient bien saisi qu’il s’égalait à Dieu.

Voyant ses adversaires interloqués, Jésus en profitait pour leur asséner un long discours :

- Que le Fils, non seulement guérissait les malades, mais encore ressuscitait les morts.

- Que le Père, Dieu, avait remis au Fis tout pouvoir de juger.

- Que Jean-Baptiste avait témoigné pour Jésus. Mais en réalité les œuvres accomplies par ce dernier formaient un témoignage du Père, en sa faveur, bien plus grand que celui de Jean.

- Que les Saintes Ecritures, même, témoignaient pour lui.

Plus que la guérison des corps, en cette troisième « apocalypse », était préconisée la guérison des âmes par Jésus et, de surcroît, la guérison d’une humanité pécheresse.

Le malade de la piscine de Bézatha, il l’était depuis trente-huit ans (cf. Jn 5,5), était aussi un pécheur. Le rencontrant dans le Temple, le Christ lui intimait l’ordre de ne plus pécher : « Ne pèche plus désormais, il t’arriverait pire encore » (Jn 5,14), ce qui était dire la damnation.

Lorsque Jésus proclamait qu’il ressuscitait les morts, à l’exemple du Père (cf. Jn 5,21), il pensait en priorité aux pécheurs, ceux qui étaient morts dans l’âme. De même, donc, que l’ « apocalypse » n° 2 recélait une catéchèse presque complète du baptême chrétien, on pouvait dire que cette « apocalypse » troisième amorçait une théologie du sacrement de la pénitence, ou de la réconciliation, lequel sacrement ne serait promulgué par le Christ que le jour de sa propre résurrection (cf. Jn 20,23).

5°) Apocalypse IV (Jn 6). L’eucharistie.

Foi au Messie dans la première « apocalypse », baptême dans la seconde, pénitence dans la troisième, et maintenant eucharistie dans la quatrième, toutes les étapes de l’initiation chrétienne se trouvaient décrites presque systématiquement dans ces premiers chapitres de notre IV e évangile.

Le thème du « pain de vie » résumait admirablement la doctrine contenue dans cette quatrième « apocalypse » : elle se développait en deux panneaux, ou deux journées, fortement contrastées.

Le Christ entraînait les foules dans un lieu désert, en Trachonitide, par delà le lac de Tibériade. Dans ce désert, les foules se trouvaient affamées. Jésus en les voyant était pris de pitié. Cette pitié appelait le miracle. Le miracle à son tour appelait un enseignement nouveau sur la personne du Christ, qui serait donné le lendemain dans la synagogue. On observait l’enchaînement, sous-entendu mais logique, qui animait toute cette section, qu’on pourrait aussi bien appeler la « section des pains », comme on le faisait couramment pour la péricope 6,30 --- 8,21 de Marc.

Le mot « pain » n’y figurait pas moins de 21 fois : sept fois pour désigner le pain matériel, sept fois pour désigner le pain descendu du ciel, et sept fois pour désigner l’eucharistie qui n’était autre que le corps et le sang du Christ.

Le premier jour, le Christ distribuait le pain matériel à la foule des gens. Il montrait par là qu’il s’intéressait au sort de l’humanité, même dans le concret de la vie pratique. Mais il voulait élever cette humanité bien au-delà de ses préoccupations quotidiennes. Déjà par elle seule la multiplication des pains évoquait le futur repas eucharistique.

Jésus, au moment de prendre les pain, puis de les distribuer, rendait grâces : « eucharistêsas » (Jn 6,11), ce qui était le terme technique qui désignerait plus tard, chez les chrétiens, le repas du Seigneur.

Les cinq pains d’orge et les deux poissons préfiguraient, ou symbolisaient, le rôle futur des sept diacres, puis de tous les diacres, chargés dans l’Eglise primitive de préparer matériellement le repas eucharistique, puis de le distribuer à toute l’assemblée.

Quant aux douze couffins pleins de restes ils faisaient évidemment allusion à la fonction des douze apôtres. Ceux-ci, et les autres chefs d’Eglises, auraient pour tâche plus tard de conserver avec soin les reliquats du banquet eucharistique en vue de nourrir d’autres affamés : les malades, les absents par exemple.

La foule des Juifs, ou leurs meneurs, ne voulant apprécier que l’aspect spectaculaire du miracle, songeaient aussitôt à assouvir leur passion nationaliste : pourquoi ne pas se servir d’un tel thaumaturge comme d’un libérateur, afin de secouer le joug des Romains ?

Jésus, comme il seyait, ne répondait à cette tentation que par la fuite ; il incitait ses apôtres à faire de même, nous l’apprenions par les synoptiques (cf. Mt 14,22 ; Mc 6,45). Il se réfugiait seul dans la montagne, bien entendu pour y rencontrer son Père.  

Un peu plus tard dans la nuit, il rejoignait ses apôtres aux prises avec une forte tempête, en marchant sur les eaux.

Dans cette seule « apocalypse » donc, on trouvait un second miracle pour illustrer le thème traité. Mais cette marche miraculeuse sur la mer ne faisait que conforter dans l’esprit des apôtres, l’enseignement majeur de la journée. Le Christ, on n’en pouvait douter, était un être surhumain, capable de dominer les éléments, un homme qui venait d’ailleurs. Mais il faisait ces choses pour nourrir les foules, et pour les éduquer eux-mêmes, les Douze. De plus ils apprenaient qu’en le prenant à leur bord sur leur frêle esquif, non seulement ils traversaient les tempêtes, mais encore ils parvenaient instantanément au port. Fuite devant les tentations, prière, appel à Jésus, confiance en Dieu, telles étaient les leçons de cette journée mouvementée que le lecteur d’aujourd’hui pourrait encore faire siennes.

Le fait qu’on trouvait deux miracles dans cette seule quatrième « apocalypse » renforçait peut-être, d’un point de vue littéraire, son caractère central.

Le lendemain, dans la synagogue de Capharnaüm et dans la logique de cette journée, le Christ tentait d’élever l’esprit de ses auditeurs vers les réalités d’en haut. Il reprochait aux Juifs leur recherche purement intéressée du bonheur. Il les invitait à la foi.

Foi en Jésus qui était le vrai pain descendu du ciel, mieux que la manne transitoire du temps de Moïse.

Foi en Jésus qui livrerait jusqu’à son corps et jusqu’à son sang pour nourrir l’humanité nouvelle.

Foi en la résurrection, foi en la vie éternelle, qu’apporterait Jésus.

C’était à ce stade de l’évangile [position centrale de la Pâque du pain de vie] que s’opérait la scission définitive entre les partisans et les adversaires de Jésus : cette scission traversait l’ensemble du peuple juif, elle traversait le groupe des disciples dont certains se retiraient, elle traversait même le groupe des Douze, avec Pierre d’un côté et les dix, Judas de l’autre qui en secret perdait la foi. Elle commanderait l’issue du drame.

Dans cette quatrième et apicale « apocalypse », si tout le monde  un instant avait semblé hésiter, l’action, elle, avait définitivement basculé. Le Christ lui-même avait opté sans ambiguïté pour la fidélité à sa mission surnaturelle ; Pierre avait confirmé la foi de l’Eglise naissante : « Nous savons que tu es le Saint de Dieu. » (Jn 6,69). Les disciples avaient confirmé leur propre fidélité, ou alors abandonné le Christ. Les Juifs avaient confirmé leur hostilité, après avoir failli l’enlever pour le faire roi.

Les derniers actes du drame (non compris l’appendice) auraient pour théâtre la Judée, terre d’affrontement.

6°) Apocalypse V. (Jn 7,1 --- 10,21) La lumière du monde

Dès qu’il revenait à Jérusalem, pour la fête des tentes, Jésus se trouvait en butte à la même animosité que dans l’ « apocalypse » III (l’ « apocalypse » IV, située en Galilée, faisant figure d’intermède) : on cherchait immédiatement à le tuer.

Au cours de cette « apocalypse » - et de cette fête des tentes – Jésus était amenée à délivrer les plus hauts enseignements :

Il venait de Dieu.

Il était la lumière du monde.

Avant qu’Abraham fût, il était.

Il était le Bon Pasteur.

N’oublions pas que, pour les Juifs, cette fête des Tentes était aussi une fête de la lumière : quatre grands candélabres (deux selon certains auteurs), sis sur le parvis des femmes, illuminaient toute la semaine la ville de Jérusalem. Des danses aux flambeaux se produisaient dans l’intérieur du Temple.

La guérison d’un aveugle-né s’inscrivait donc impeccablement dans l’ambiance de cette fête ; elle illustrait l’un des thèmes majeurs de l’ « apocalypse » : Jésus était la lumière du monde, et il rendait la lumière de la vue à qui il voulait. Jésus lui-même tirait la leçon du miracle : « C’est pour un jugement que je suis venu en ce monde : pour que voient ceux qui ne voient pas et pour que ceux qui voient deviennent aveugles. » (Jn 9,39).  

On pouvait montrer comment la lutte entre la lumière et les ténèbres parcourait toute cette « apocalypse », comment elle la sous-tendait de bout en bout.

Dès l’annonce de la fête juive, les frères de Jésus lui suggéraient de se manifester au monde en montant à Jérusalem, et de ne pas demeurer caché dans l’obscure Galilée. Jésus refusait dans un premier temps, car il ne recherchait pas une gloire humaine. Il négligeait de répondre à la sollicitation de sa famille parce que celle-ci, en réalité, poursuivait son propre intérêt, à l’instar des Galiléens de la précédente « apocalypse ».

La fête des Tentes étant commencée, Jésus montait cependant « mais en secret, sans se faire voir. » (Jn 7,10). Il venait pour accomplir un devoir religieux ; il venait pour évangéliser Jérusalem et non pas pour faire une entrée triomphale dans cette capitale en ébullition. Il ferait plus tard cette entrée triomphale, mais dans un moment où l’on aurait déjà décrété officiellement sa mort. Pour l’instant, il se maintenait encore dans la pénombre.

Mais vers le milieu de la fête, il se montrait dans le Temple, il enseignait en pleine lumière : telle une lampe qui soudain éclairait la nuit. A ceux qui s’étonnaient de son comportement Jésus déclarait qu’il n’ambitionnait pas tant sa propre gloire que « la gloire de celui qui l’a envoyé.» (Jn 7,18). Il ne désirait pas se glorifier lui-même par un succès tout humain, mais glorifier son Père, glorifier Dieu, par sa prédication. Il ne venait pas usurper la gloire de ce Yahvé qui résidait dans le Temple, mais au contraire rendre gloire à Yahvé.

Dans cet esprit, Jésus demandait aux Juifs de ne pas juger selon les apparences  mais selon la justice (cf. Jn 7,24).

« Le dernier jour de la fête, le grand jour, Jésus, debout, lança à pleine voix. » (Jn 7,37). Il se mettait en évidence devant la foule. Avec grandiloquence il promettait « des fleuves d’eau vive » (Jn 7,38) à ceux qui croiraient en lui. Mais l’évangéliste soulignait, en aparté, que ce serait pour le temps d’après la glorification de Jésus.

Nicodème, le même qui, naguère était venu trouver Jésus « de nuit » (Jn 3,2), osait maintenant se manifester dans une demie lumière : en plein conseil des chefs juifs. Il prenait la défense de Jésus en invoquant les dispositions élémentaires de la Torah, en faveur de tout prévenu.

A l’issue de cette journée, ce « grand jour », chacun rentrait un instant dans l’ombre, et Jésus se retirait dans sa hutte du mont des Oliviers, construite à l’occasion de la fête des Tentes.

Mais « dès l’aurore » (Jn 8,2), dès la première lueur du jour, Jésus reprenait sa place bien en vue dans le Temple. Il enseignait assis, en docteur de la Loi, ce docteur qu’il était, et dont on lui reconnaissait le titre (cf. Jn 8,4).

Alors les scribes et les Pharisiens croyaient habile de placer au milieu de l’assistance, en pleine lumière, une femme surprise dans les ombres de la nuit, en flagrant délit, « ep’autophôrô », d’adultère.

Les légistes triomphaient dans leur argumentation sans faille, fondée sur les paroles les plus obvies de la Loi : la femme devait être condamnée. Aussi Jésus ne pouvait dans un premier temps que se taire, il ne pouvait que s’incliner vers le sol. Le retournement s’opérait quand Jésus faisait appel au témoignage de leur conscience. Leur conscience mise à nu, ils s’éloignaient l’un après l’autre, la pécheresse restant seule avec lui. Mais elle apprenait que son péché était pardonné par celui qui éclairait aussi les cœurs. Elle s’entendait renvoyer à sa vie de tous les jours : « Va, et désormais ne pèche plus. » (Jn 8,11).

C’était alors que Jésus prononçait avec solennité les paroles qui feraient le sommet de cette fête, et de cette « apocalypse » : « Je suis la lumière du monde. » (Jn 8,12). Il délivrait cet enseignement « au Trésor » (Jn 8,20), c’était dire en plein milieu du Temple, dans le parvis des femmes, là même où hier encore brillaient les quatre immenses flambeaux. Il le faisait le matin, c’était dire face au soleil levant, car le Temple était orienté vers l’est.

Jésus se heurtait à l’incrédulité persistante des Juifs. Il leur déclarait qu’il faudrait la manifestation de son élévation en croix, pour qu’enfin on crût que le Fils de l’homme venait de Dieu. Alors on comprendrait à quel point il ne cherchait pas sa propre gloire, mais celle de Dieu. Et ce serait le Père qui se chargerait de le glorifier, en le ressuscitant d’entre les morts. Abraham lui-même avait vu le « Jour » (Jn 8,56) du Fils de l’homme, c’était dire qu’il avait connu par anticipation sa venue, et « il s’est réjoui » (ib.).   

En butte à l’hostilité grandissante de son auditoire, Jésus ne pouvait que se réfugier une fois de plus dans l’ombre : il s’échappait du Temple.

C’était à point nommé, dès cette sortie, que survenait le miracle-signe-parabole de cette « apocalypse » : la guérison de l’aveugle-né. Dans le récit de l’évangéliste, l’alternance du thème de la lumière et du thème de l’ombre était constante. Un jeu subtil de cache-cache semblait s’installer entre Jésus et ses adversaires, toujours aussi déterminés.

Apparemment, Jésus gardait la maîtrise du terrain. Il prononçait un discours inédit sur le thème du « Bon Pasteur ». Toutefois, c’était la foule qui se chargeait de tirer la conclusion de cette journée, et de cette fête : « Ce n’est pas là langage de possédé. Est-ce qu’un démon peut ouvrer les yeux des aveugles ? » (Jn 10,21).

Conclusion qui reprenait l’un des thèmes majeurs de cette « apocalypse » cinquième, démontrant au passage sa profonde unité littéraire.

7°) Apocalypse VI. (Jn 10,22 --- 11,54). Jésus était la Résurrection et la Vie.

Nous venions d’assister au duel implacable de l’ombre et de la lumière, de la cécité et de la vision, de l’obscurité et de la gloire.

Un nouveau duel allait nous être proposé, cette fois entre la mort et la vie, à l’issue duquel la vie l’emporterait par le médium de la résurrection.

Cette « apocalypse » sixième mimait en quelque sorte, par anticipation, en la personne de Lazare, la mort et la résurrection du Christ, qui feraient l’objet de l’ « apocalypse » septième et dernière. On touchait là du doigt l’agencement rigoureux des thèmes, la progression du discours, qui formaient la trame (ou la chaîne) de notre IV e évangile.

Le 25e kisleu, ce qui correspondait au début de notre mois de décembre, on revoyait Jésus à Jérusalem pour la fête de Hanoukha. Cette fête commémorait la Dédicace du Temple qui avait fait suite à sa profanation par Antiochus Epiphane. Jésus se promenait comme chez lui sous le portique de Salomon. A la manière des philosophes antiques, ou des docteurs de la Loi, on le voyait enseigner, tantôt debout, tantôt assis, et tantôt en marchant. Ce jour-là il imitait Aristote, en déambulant de long en large avec ses disciples.

On l’entourait. On le pressait de questions. Es-tu le Messie ? « Je vous l’ai dit, mais vous ne croyez pas. » (Jn 10,25).   

Alors faisaient surface dans l’enseignement du Christ des propos qui annonçaient le thème de la nouvelle « apocalypse » : « Mes brebis écoutent ma voix ; je les connais et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle… » (Jn 10,27-28). Ces mots, en effet,  pouvaient servir de prélude à la résurrection de Lazare.

La doctrine ‘théologique’ développée par Jésus pendant ces journées était toujours aussi dense : « Le Père et moi, nous sommes un. » (Jn 10,30). C’était l’affirmation sans équivoque de sa divinité. Mais l’hostilité des Juifs à son encontre était toujours aussi vive. Les auditeurs saisissaient des pierres pour le lapider. On retrouvait donc la même ambiance tendue que lors de la fête précédente.

Jésus se voyait contraint de quitter la ville. Il se réfugiait en Pérée, là où Jean avait autrefois baptisé. Selon les souvenirs de l’évangéliste, il semblait rencontrer dans ces lieux beaucoup plus de foi qu’à Jérusalem.

Mais il n’y demeurait pas longtemps tranquille. La nouvelle lui parvenait que son ami Lazare, de Béthanie, était gravement malade. Et Jésus, aussitôt, d’énoncer prophétiquement la grande leçon qui résulterait de l’événement : « Cette maladie n’est pas mortelle ; elle est pour la gloire de Dieu. » (Jn 11,4).

Après deux jours, Jésus déclarait ouvertement à ses disciples que Lazare était mort. Alors il décidait de monter à Béthanie pour le ressusciter.

Mis il ne le ferait pas sans avoir sollicité au préalable la foi des deux sœurs, Marthe et Marie : « Je suis la Résurrection et la Vie » (Jn 11,25), leur disait-il.

De la résurrection de Lazare découlait directement, pour Jésus, le décret officiel du Sanhédrin de le faire mourir (cf. Jn 11,53). Mais cette nouvelle mort annoncée servirait, elle aussi, à la gloire de Dieu.

Jésus se réfugiait un moment dans la bourgade d’Ephraïm, au nord de Jérusalem.

8°) Apocalypse VII. (JN 11,55 --- 20,31). Mort et résurrection de Jésus. Son passage.

Bien entendu le thème de la mort et de la vie était présent, aussi, dans cette septième « apocalypse », puisqu’il ne s’agissait de rien de moins que de la mort de la résurrection de Messie !

Mais le Christ y adjoignait délibérément une nuance complémentaire : celle du service. La passion et la résurrection du Sauveur, telles que racontées par le IV e évangile, seraient vraiment celles du Serviteur souffrant prédit par Isaïe.

Ou plus exactement celles d’un  Roi, ou d’un  Messie, devenu serviteur, d’un Maître devenu esclave, d’un Dieu devenu rédempteur. Jésus, pour ce faire, n’abdiquait rien de sa royauté d’origine spirituelle, ou pour mieux dire divine. Mais il la mettait au service de l’humanité, pour son rachat. C’était là qu’il trouvait sa gloire.

Déjà dans l’épisode de Béthanie, Jésus se voyait traité à l’égal d’un roi, puisqu’on lui oignait les pieds avec un nard de grand prix. Mais lui-même soulignait aussitôt que ce geste venait en prévision de sa sépulture, et donc en prévision de sa passion.

Jésus faisait son entrée à Jérusalem en qualité de roi, le véritable roi d’Israël qu’il était. Mais sa monture était un âne ; en signe de service et de paix ; en signe d’humilité. Il réalisait ainsi les prophéties (cf. Za 9,9).

La foule lui faisait fête, mais Jésus pendant ce temps n’avait en tête  que la gloire du service suprême. Il demandait à ses disciples de le suivre dans cette voie (cf. Jn 12,26). Du haut du ciel, le Père authentifiait par avance son sacrifice. Et Jésus prononçait que c’était en cela que s’accomplissait le jugement du monde.

Pendant le dernier repas, pris avec ses disciples, Jésus démontrait dans les faits qu’il était le serviteur accompli, l’esclave modèle, en se mettant à laver les pieds de ses compagnons. Il le faisait explicitement pour leur laisser l’exemple du service mutuel.

Par sa trahison, Judas se posait en contre-exemple de ce service et de cette charité réciproque.

Une fois Judas sorti, Jésus confiait à ses disciples un commandement nouveau : celui de l’amour fraternel.

Si le Christ partait le premier vers le ciel, ce n’était certes pas par égoïsme ; c’était, disait-il, pour aller nous préparer une place.

Le Christ était le seul chemin qui conduisait vers le Père. Mais par sa passion, il nous montrait l’exemple que nous devrions suivre : celui du service et du don de soi.

En s’éloignant pour un temps, le Christ ne nous abandonnait pas, il ne nous laissait pas orphelins. Il enverrait à sa place, pour ainsi dire, un autre serviteur, un autre Paraclet, ou avocat : l’Esprit Saint.

Le Christ était le vrai cep, porteur de la vie ; mais nous étions les sarments, entés sur lui. Si le monde avait haï le Christ-Serviteur, de même il haïrait les serviteurs du Christ.

Quant à lui, le Christ, il élevait ses disciples du rang de serviteurs au rang d’amis.

Enfin dans une prière suprême il demandait à son Père de garder ses fidèles dans l’unité de la charité.

Le Christ était arrêté dans l’obscurité de la nuit, tel un malfaiteur. Mais il était jugé par Pilate, tel un roi. Pourtant ce roi ne s’était levé « que pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37), pour servir la vérité.

Jésus était crucifié sous une inscription ainsi libellée : « Jésus le Nazaréen, le Roi des Juifs. » (Jn 19,19). Ce roi trouvait sa gloire dans la croix. Il mourait dans le sentiment d’avoir accompli jusqu’au bout son service : « Tout est achevé. » (Jn 19,30). J’ai accompli ma tâche. Il était enseveli comme un roi. Dans un tombeau neuf, taillé pour un riche ; enveloppé de cent livres de myrrhe et d’aloès.

Dans sa résurrection même, il se montrait serviteur. Car il ne triomphait pas bruyamment de ses adversaires. Il apparaissait seulement à quelques disciples choisis : les saintes femmes d’abord, qui furent ses plus fidèles servantes depuis la Galilée, et les apôtres qui, en dépit de leur défaillance finale, gardaient le mérite de l’avoir suivi jusqu’à Jérusalem, malgré leur peur (cf. Jn 11,16). Jésus ne leur adressait aucun reproche, mais, après leur avoir donné sa paix, il souffla sur eux pour leur accorder, par avance l’Esprit Saint. Il les envoyait dans le monde, non pour y régner, ou pour le conquérir, mais pour servir la paix, et la réconciliation entre les hommes, et procurer la paix en son nom. Thomas lui-même, absent le premier jour, confessait son « Seigneur » et son « Dieu » (Jn 20,28), quand il eut mis sa main et son doigt dans les plaies et dans le côté du Serviteur crucifié.

Tout l’évangile, concluait Jean, ne fut écrit qu’au bénéfice de la foi.

9°) Appendice. (JN 21). Pierre, berger délégué

L’appendice nous ramenait dans le cadre de la douce Galilée, et dans l’intimité des disciples.

Tout était centré sur la personne de Pierre que le Christ laissait à son Eglise en qualité de Pasteur, c’était dire comme chef-serviteur, à l’exemple de Jésus lui-même.

C’était Pierre d’abord qui prenait l’initiative, d’aller à la pêche. C’était lui qui dirigeait la manœuvre en tant, manifestement, que patron de pêche.

Mais Pierre, après un labeur humain assez décevant : une nuit de pêche sans rien prendre, reconnaissait son Seigneur sur un seul mot de Jean.

Après avoir confessé par trois fois son amour pour le Christ, et manifesté tacitement son repentir, il était investi par trois fois de la charge de conduire l’Eglise, après le départ du Maître.

L’apôtre Jean serait le plus fidèle compagnon de Pierre, comme il l’avait été de Jésus. Mais il deviendrait, plus tard, le greffier de leurs actions et de leurs paroles.

Reprenons la lecture de notre diagramme du IV e évangile, mais cette fois selon les colonnes : lecture diachronique du texte. Voyons l’évolution, à travers l’évangile, des principaux thèmes et des principaux acteurs du drame.

Lecture diachronique

1°) Jean-Baptiste, le précurseur.

Dans cet évangile, comme il en fut d’ailleurs dans sa vie, la figure de Jean allait s’estompant au fil du récit, selon l’adage articulé par lui-même : « Il faut que lui grandisse et que moi, je décroisse. » (Jn 3,30).

Dès le prologue il nous était présenté comme le témoin principal de la lumière. Dans la première « apocalypse », il assumait une fonction essentielle en désignant le Messie aux foules, puis ensuite aux disciples. Il était le témoin privilégié de la première manifestation au monde de la Très Sainte Trinité : Père, Fils et Esprit (cf. Jn 1,32 ; et Jn 1,34 selon les meilleurs manuscrits). Dans la seconde « apocalypse » déjà, il s’humiliait en avalisant le baptême trinitaire de Jésus aux lieux et places  de son simple baptême d’eau. Là encore il réitérait les Noms des Trois Personnes divines (cf. Jn 3,34-35). Mais déjà dans la troisième « apocalypse » Jésus parlait de lui au passé, comme de la lampe qui avait brûlé pendant une heure. Dans la suite on n’entendait plus parler de lui, sauf un court instant quand le Christ, dans la sixième « apocalypse », revenait en pèlerin sur les lieux où le Baptiste avait autrefois baptisé, sans doute à Bétharaba.

C’était un rôle en decrescendo qui était dévolu au Baptiste, au long de cet évangile.

2°) Les Juifs, la foule, le monde.

Bien au contraire l’hostilité des foules, en particulier des chefs juifs, et du monde qu’ils représentaient, allait toujours crescendo, avec cependant une pause, un arrêt, une hésitation, peut-être un atermoiement, dans la quatrième « apocalypse », celle de la multiplication des pains, en Trachonitide puis en Galilée.

Dès le prologue nous étions avertis que le monde n’avait pas reçu la lumière. Ce qui semblait décider par avance de l’issue du drame qui s’ouvrait. Dans la première « apocalypse », les Juifs ignoraient encore Jésus ; mais ils descendaient de Jérusalem pour enquêter, sans aménité semblait-il, sur le cas de Jean-Baptiste. Dans la deuxième, ils interpellaient rudement Jésus après qu’il eut chassé les vendeurs du Temple de sa propre autorité, et la dispute qui s’ensuivait était sans tendresse. Au Jourdain un Juif semblait vouloir provoquer une discussion entre Jésus et le Baptiste, au sujet de la validité, précisément, de leurs baptêmes respectifs. Ce qui avait pour effet immédiat d’éloigner dans l’espace les deux grands athlètes de la foi. Toutefois les Samaritains, puis les Galiléens, faisaient bon accueil à Jésus. Dès la troisième « apocalypse » Jésus était poursuivi pour non respect du sabbat à propos d’une guérison. Déjà l’on manifestait l’intention de le faire mourir.

L’intermède se situait sur les bords du lac. Les Juifs galiléens n’eussent pas mieux demandé que de proclamer Jésus comme Roi, et libérateur. Devant sa fuite étrange on le cherchait avec autant d’assiduité que de perplexité. Mais dans la synagogue de Capharnaüm on murmurait sévèrement au sujet de sa doctrine sur le « Pain descendu du ciel » et sur sa chair qu’il devait donner à manger au monde. L’accueil à son égard des Juifs de Galilée n’était guère que superficiel.

Dès le retour de Jésus à Jérusalem (cinquième « apocalypse ») on cherchait à se saisir de lui. On tentait une première fois de le lapider. On procédait à son encontre au sujet de la guérison de l’aveugle-né.

Pour la fête de la Dédicace (sixième « apocalypse ») on tentait une nouvelle fois de le lapider, si bien que Jésus ne pouvait demeurer dans la ville. Après la résurrection spectaculaire de Lazare, le Grand Conseil juif décrétait la mort de Jésus.

Cette sentence aurait son effet à l’occasion de la prochaine Pâque (septième « apocalypse »). Pourtant la multitude des pèlerins, et les habitants de Jérusalem, accouraient au devant de lui quand il faisait son entrée en tant que Messie (et donc Roi) pacifique. On l’accueillait dans l’enthousiasme. Mais, notait l’évangéliste, la plupart ne croyait pas en lui « bien qu’il eût opéré tant de signes en leur présence. » (Jn 12,37).

On arrêtait Jésus dans la nuit de Gethsémani. Anne et Caïphe l’interrogeaient dédaigneusement puis, dès le matin, le livraient à Pilate le gouverneur romain.

Pilate avait tout de suite conscience de se trouver devant le Roi légitime des Juifs, livré par jalousie. Mais poussé par la logique politique : comment en effet s’opposer à la coalition de l’intérêt romain d’une part et de la volonté des chefs juifs d’autre part ? Il livrait Jésus aux exécuteurs, après l’avoir fait flageller.

Il pensait se racheter quelque peu en accordant le corps aux partisans de Jésus.

Dans l’appendice, sérénité complète ; on n’entendait plus parler des adversaires de Jésus.

3.) Les disciples de Jésus. Les fidèles.

Par contraste avec l’hostilité grandissante des Juifs, et des foules, la ferveur des disciples de Jésus semblait plutôt décroître lentement tout au long de l’évangile, jusqu’à l’abandon général de la nuit du Mercredi saint. Ils se reprendraient après Pâques.

Le prologue nous promettait que ceux qui acceptaient le Christ devenaient aussitôt enfants de Dieu, soit disciples.

Les disciples de Jean-Baptiste recevaient Jésus avec enthousiasme et d’emblée, semblait-il, une foi totale. Aussi étaient-ils sur-le-champ transmués en disciples de Jésus ; ils le suivaient en Galilée pour être les témoins de son premier miracle.

On les voyait, dans la deuxième « apocalypse », au retour de la vallée du Jourdain où ils avaient été initiés à la pratique du nouveau baptême, s’occuper activement de l’intendance. Mais ils semblaient étonnés de trouver Jésus plus préoccuper des nourritures spirituelles que des nourritures terrestres. On ne les apercevait pas dans la troisième « apocalypse », à Jérusalem. Lors de la multiplication des pains (quatrième « apocalypse ») ils jouaient les utilités pour l’organisation du festin miraculeux. Mais dès le lendemain, dans la synagogue de Capharnaüm, certains renâclaient à l’audition de l’enseignement de Jésus, trop « dur » ou trop insolite. Plusieurs le quittaient.

Le groupe des Douze, quant à lui, restait fidèle. Cependant Judas, dans son cœur, avait déjà perdu la foi. 

Lors de la fête des Tentes, les disciples étaient quasiment absents. On les entendait cependant questionner Jésus au sujet de l’aveugle-né. Ce qui provoquait d’une certaine façon le miracle.

Quand, après la fête de la Dédicace, il était question de monter de Pérée à Béthanie, où Lazare était mort, les disciples avouaient leurs réticences. Ils se souvenaient des deux tentatives récentes de lapidation. C’était avec une sorte d’héroïsme apeuré qu’ils se décidaient à suivre Jésus.

Pendant le dernier repas, une fois Judas sorti, chacun des disciples interrogeait le Maître à son tour. Ils recueillaient ses dernières confidences, conscients qu’ils étaient de la gravité du moment.

Mais dans la nuit leur courage défaillait. Ils l’abandonnaient tous, tandis que Judas conduisait la cohorte de ses ennemis.

Après la résurrection, ils revoyaient Jésus avec une sorte de joie intimidée. Thomas, d’abord incrédule, confessait enfin son Seigneur et son Dieu.

Dans l’appendice, on les voyait prêts à reprendre leurs anciennes activités professionnelles, comme au sortir d’un beau rêve. Le Christ devait, en quelque sorte, les rattraper pour la mission.

4°) Pierre. Le roc.

Pierre apparaissait dans la première, la quatrième et la septième « apocalypses », début, milieu et fin de l’évangile, avant d’être investi, dans l’appendice, tout ensemble avec solennité et simplicité, de la fonction de chef de l’Eglise.

Dès sa première rencontre avec Jésus, il recevait son surnom de Pierre, ou Céphas, ou le rocher, ce qui prophétisait sa future charge.

Dans l’ « apocalypse » du pain de vie, il prenait une option décisive en confessant le premier sa foi au Christ. Il entraînait avec lui le groupe des apôtres, à l’exception du seul Judas dont la défection cependant restait cachée.

Pendant la dernière Cène il affirmait sa détermination sincère de suivre Jésus jusque dans la mort. Mais Jésus lui prédisait son reniement. Au jardin de Gethsémani, il n’hésitait pas à tirer l’épée pour défendre son Maître.

Mais dans la cour du grand prêtre où il avait suivi Jésus témérairement son courage s’effondrait.

Au matin de Pâques, on le revoyait pourtant le premier au tombeau avec Jean, pour vérifier les dires des saintes femmes. Et, au bord du lac de Tibériade, ayant par trois fois confessé son amour pour le Christ, il recevait par trois fois la tâche de mener les brebis du Christ.

5°) Jean. Le disciple que Jésus aimait.

Jean ne se nommait jamais dans l’évangile. Mais on le reconnaissait facilement comme « le disciple que Jésus aimait ».

Il ne paraissait qu’au début et à la fin de l’évangile.

Sans aucun doute il fut disciple, avec André, dès le premier jour, dès le premier instant.

Le soir de la dernière Cène il reposait sur la poitrine du Sauveur.

Connu dans la maison des grands prêtres, il facilitait l’entrée de Pierre dans la cour de Caïphe, après l’arrestation de Jésus.

Au Golgotha, il recevait Marie, comme mère, de la bouche de Jésus agonisant.

Puis, au moment de la pêche miraculeuse, on le retrouvait comme le plus fidèle compagnon de Pierre. Il recevait, moralement, la charge de témoin (comme le fut éminemment son Maître, le Baptiste) afin de témoigner de l’évangile au bénéfice de la postérité. « C’est ce disciple qui témoigne de ces faits et qui les a écrits et nous savons que son témoignage est véridique. » (Jn 21,24). 

6°). Les enseignements de Jésus. Sa doctrine.

Plus que dans tout autre livre de la Bible, plus que dans les autres évangiles, avec l’évangile de Jean nous entrions dans l’intimité de la Sainte Trinité. Le IV e évangile était la révélation de la Parole (le Logos). Cette Parole nous parlait d’elle-même. Elle nous parlait aussi du Père dont elle était, précisément, la Parole, ou l’intelligence, et du Saint Esprit dont on devinait qu’il était l’Amour réciproque de l’un et de l’autre.

Cette Parole existait avant la création du monde. Elle était auprès de Dieu. Elle était Dieu. Mais elle était descendue sur cette terre. Elle s’était incarnée réellement, devenant une personne humaine. Sa gloire était celle d’un Fils unique venu du Père.  Jean en était le témoin. Voilà le prologue. Ouverture en quelque sorte philosophique, ou théologique, de l’évangile. Préalable théorique, ou résumé composé après coup et placé en tête. Exposé synthétique de la doctrine.

Les sept « apocalypses » nous apportaient (conformément à l’étymologie) sept « révélations » successives de ce Logos venu parmi nous, et qui n’était autre que Jésus-Christ. Les révélations n’étaient pas seulement théoriques ; elles étaient aussi concrètes, et en actes, illustrées chacune par un miracle ayant valeur de signe. Les « sept tonnerres » énoncés dans la Grande Apocalypse (cf. Ap 10,3-4) retentissaient l’un après l’autre dans le ciel de la Palestine.

Dans la Semaine inaugurale ce Logos, Jésus-Christ, en même temps qu’il recrutait ses premiers disciples, nous était présenté comme l’Agneau de Dieu, c’était dire comme la victime désignée d’avance pour le rachat du péché des hommes. Il était le Messie annoncé par les prophètes. Il était le Roi d’Israël attendu depuis Samuel. Il était le propre Fils de Dieu.

A l’occasion de la première Pâque à Jérusalem, le Messie commençait à se révéler à toutes les nations, après la capitale, les bords du Jourdain, la Samarie et les rives du lac de Tibériade. Il inaugurait (théorie et pratique) son nouveau baptême d’eau et d’Esprit qui se démarquait de celui de Jean-Baptiste.

Une seconde fête à Jérusalem lui permettait de démontrer qu’il travaillait efficacement, même le jour du sabbat, à l’imitation du Père. Non seulement il guérissait les corps mais encore les esprits. C’était l’amorce du sacrement de la réconciliation.

La Pâque du pain de vie fut célébrée non pas à Jérusalem mais autour du lac de Tibériade : Jésus révélait qu’il procurait aussi bien le pain de la terre, que le pain du ciel, ce pain du ciel qu’il était lui-même. Il annonçait mystérieusement, et mystiquement, qu’il allait donner sa chair à manger et son sang à boire à toute l’humanité. Révélation de la future eucharistie.

La fête des Tentes nous ramenait à Jérusalem. En cette occurrence nous apprenions que le Logos-Jésus-Christ venait vraiment de la part de Dieu, et qu’il était la lumière du monde. Jésus proférait cette sentence décisive : « Avant qu’Abraham fût, Je suis. » (Jn 8,58). Autrement dit : Je Suis Yahvé, Je Suis l’unique. Mais Jésus se proposait aussi comme le Bon Pasteur, celui qui allait donner sa vie pour ses brebis, qui se sacrifierait pour le salut du monde.

Dès la fête suivante, celle de la Dédicace à Jérusalem, au début de l’hiver, Jésus tirait la conclusion des enseignements précédents : « Le Père et moi, nous sommes un. » (Jn 10,30). Ce que le concile œcuménique de Nicée (325) traduirait ultérieurement par la « consubstantialité du Père et du Fils ». Jésus mimait par avance sa propre mort et sa propre résurrection en venant au secours de son ami Lazare, à la demande des deux sœurs, Marthe et Marie. A cet effet, il annonçait cette révélation décisive : non seulement je ressuscite les morts et je donne la vie à qui je veux, par la puissance de Dieu, mais encore : « Je suis [moi-même] la Résurrection et la Vie. » (Jn 11,25). 

La septième « apocalypse », ou révélation, mettait en scène la mort et la résurrection du Christ. Elles étaient accompagnées des plus hautes confidences du Logos sur lui-même, et sur la Trinité Sainte qu’il n’avait pas quittée un seul instant en venant sur cette terre.

Il était le roi d’Israël, accueilli et acclamé comme tel dans sa grand’ville. Mais il ne se faisait pas moins le serviteur de ses amis et de ses disciples en leur donnant l’exemple de la charité. Il venait du Père comme il retournait vers le Père. Il était le cep sur lequel tous les sarments devaient rester greffés sous peine de dépérir. Il promettait à ses disciples qu’il allait leur préparer une place et que, du haut du ciel, il leur enverrait l’Esprit Saint. Ils se réjouiraient ce jour-là et leur joie serait parfaite. Dans une prière sublime, il suppliait son Père, devant eux, de les garder dans l’unité.

Dès le premier jour de son surgissement du tombeau, il conférait l’Esprit Saint à ses intimes, en soufflant sur eux : il montrait ainsi que l’Esprit procédait de lui ; il accordait à ses disciples de procurer la paix en son nom à tous les hommes.

Thomas, revenu de son incrédulité, ne pouvait que confesser : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jn 20,28), sentence qui résumait en quelque façon tout l’évangile : certes le Logos était Dieu ; mais dans le même temps le Logos n’était autre que ce Jésus crucifié et ressuscité que j’avais là sous les yeux.

Dans l’appendice, Jésus dévoilait la signification du surnom qu’il avait attribué, dès le premier jour, à Simon, fils de Jean : Pierre devenait le roc, ou la base, ou encore le chef de la congrégation qu’il voulait fonder. Jean, le futur évangéliste, serait le témoin privilégié de tous ces événements. Le Christ énonçait comme une évidence qu’il reviendrait. Les apôtres paîtraient l’Eglise en attendant son retour. Celle-ci n’était donc qu’une institution provisoire.

7°) Les miracles de Jésus. Les signes.

La structure de l’évangile reposait sur des « signes » ou miracles, nous l’avons amplement montré. Ces signes illustraient la doctrine révélée, ou encore donnaient l’occasion de la révélation. On en comptait un par « apocalypse », plus un dans l’appendice, (la quatrième « apocalypse » en comptait exceptionnellement deux) : en tout neuf miracles qui formaient comme l’ossature du livre ainsi que le confessait l’auteur dans la première conclusion (rédigée avant l’appendice) : « Jésus a accompli en présence des disciples encore bien d’autres signes, qui ne sont pas relatés dans ce livre. Ceux-là l’ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu… » (Jn 20,30-31). Ils étaient les garants des assertions de la foi.

Le changement de l’eau en vin à Cana montrait la nouveauté joyeuse du Royaume ; il suggérait la profusion de ses dons.

La guérison, encore à Cana, du fils d’un fonctionnaire royal de Capharnaüm, ponctuait la renommée grandissante de Jésus dans toute la Palestine, la Galilée, après la Judée, la Pérée et la Samarie.

La guérison d’un infirme, le jour du sabbat, près de la piscine de Bézatha offrait l’occasion d’une discussion serrée avec les docteurs juifs, et d’un enseignement sur l’œuvre du Fils, parallèle à celle du Père. Ce miracle manifestait la guérison des âmes autant que celle des corps.

La quatrième « apocalypse » était bâtie sur le miracle de la multiplication des pains. Le discours du lendemain, dans la synagogue de capharnaüm, sur le « pain de vie », en était une extrapolation sur le plan spirituel.

La marche de Jésus sur la mer, dans la nuit qui séparait les deux journées, confirmait sa puissance sur les éléments. Elle invitait les disciples à garder toujours confiance en lui, même dans les pires détresses, même dans les doutes. Elle préparait donc leur acquiescement du lendemain.

La guérison d’un aveugle-né, lors de la fête des Tentes, illustrait l’enseignement majeur de Jésus développé au long de cette fête : « Je suis la lumière du monde. » (Jn 8,12).

La résurrection de Lazare, peu de jours après la fête juive de la Dédicace, prouvait que Jésus était vraiment « la Résurrection et la Vie ». (Jn 11,25).

En se ressuscitant lui-même le 3 e jour, le Christ offrait à ses apôtres, et par contrecoup à nous-mêmes, la preuve suprême de la véracité de ses paroles, de la fiabilité de ses promesses.

Enfin dans l’appendice, c’était Pierre, le patron de pêche, qui obtenait une pêche miraculeuse quand il jetait le filet sur la consigne du Christ. Il devenait ainsi le patron d’une autre barque : celle de l’Eglise, et d’une autre pêche : celle des âmes.

8°) Marie, la mère de JésuS.

On ne l’apercevait qu’en deux brèves occurrences, au début et à la fin de l’évangile. Mais c’étaient des scènes capitales, et qui se répondaient.

A Cana, au moment du premier miracle, dont l’initiative, en quelque sorte lui revenait.

Au Calvaire où elle avait suivi courageusement son fils ; où elle était donnée comme mère à Jean et, par lui, à toute l’humanité.

Après avoir présidé aux noces humaines et transitoires de Cana, elle présidait aux noces éternelles de son fils avec l’humanité rachetée. Elle qui avait obtenu par son humble demande le vin qui réconfortait les disciples, elle obtenait maintenant par ses prières, et par son oblation (elle offrait son fils), le vin nouveau de la grâce qui sauverait le monde. Elle méritait ainsi d’être appelée « la Mère des Vivants » (Gn 3,20), mieux que l’ancienne Eve.

9°). Les saintes femmes. Servantes puis témoins.

Les femmes tenaient une place importante, quoique discrète, dans le IV e évangile.

Au puits de Jacob, la Samaritaine était la première des non-Juifs  à recueillir l’aveu de Jésus qu’il était le Messie. Elle se faisait sur-le-champ la missionnaire de ses compatriotes.

Lors de la fête des Tentes, la femme adultère éprouvait la miséricorde infinie du Sauveur. Mais elle recevait en retour la consigne de ne plus pécher.

Les sœurs de Lazare, Marthe et Marie, recevaient Jésus à Béthanie avec une grande foi. Elles croyaient qu’il pouvait ressusciter leur frère. Reconnaissante, cette même Marie oindrait un peu plus tard les pieds de Jésus, à l’occasion d’un repas, en prémonition de sa sépulture.

Plus courageuses que la plupart des apôtres, les saintes femmes, au Calvaire, accompagnaient Marie et Jean.

Marie-Madeleine serait la première au sépulcre le matin de Pâques. Ce serait elle, encore la première, qui bénéficierait d’une apparition du Christ ressuscité. Elle était donc la première à porter, et à transmettre, le kérygme de la résurrection du Seigneur : « Va trouver les frères et dis-leur : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » (Jn 20,17).

10°). Nicodème et Joseph d’Arimathie, les notables juifs devenus disciples.

Deux notables juifs, sans doute fort riches. Timides et fidèles à la fois.

Dès la première montée de Jésus à Jérusalem pour la Pâque, après le miracle retentissant de Cana, Nicodème venait l’interroger de nuit, bien conscient, dans sa droiture, que seul un envoyé de Dieu pouvait accomplir de tels signes. Il entendait les plus hauts enseignements sur la manière d’entrer dans le nouveau Royaume, et sans doute décidait-il de les mettre pour lui-même en application. Il recevait cependant quelques reproches, au nom du peuple qu’il représentait.

Pendant la fête des Tentes, il osait défendre Jésus en plein conseil juif.

Après la mort de Jésus, Joseph d’Arimathie et Nicodème procédaient pieusement à son ensevelissement, ayant demandé le corps au gouverneur, Pilate. Ils lui accordaient les honneurs dus à un riche, ou même à un roi.

Conclusion sur la structure littéraire d’ensemble du IV e évangile.

On ne saurait mieux caractériser la structure littéraire d’ensemble du IV e évangile qu’en le comparant à un escalier, avec sept paliers successifs, huit en y incluant l’appendice, neuf avec le prologue.

Chacun de ces paliers formait à lui seul une unité littéraire assez homogène. Tandis qu’une coupure très nette, dans le temps et dans l’espace, une césure, s’installait entre chacun des paliers (sauf entre le prologue et la première « apocalypse » où la transition était insensible). Au point qu’on pouvait modifier, sans inconvénient majeur, l’ordre de certains paliers. On a vu que certains exégètes proposaient d’inverser la troisième et la quatrième « apocalypses », pour revenir à l’état original du texte.

Le prologue, on l’a dit, pouvait s’inclure dans la première « apocalypse », à laquelle il servait, pour ainsi dire, d’introduction, ou de préface.

Observons le hiatus rédactionnel très net qui sépare :

- la 1ère et la 2e « apocalypses » : entre les versets 2,12 et 2,13 ;

- la 2e et la 3e « apocalypses » : entre les versets 4,54 et 5,1 ;

- la 3e et la 4e « apocalypses » : entre les versets 5,47 et 6,1 ;

- la 4e et la 5e « apocalypses » : entre les versets 6,71 et 7,1-2 ;

- la 5e et la 6e « apocalypses » : entre les versets 10,21 et 10,22 ;

- la 6e et la 7e « apocalypses » : entre les versets 11,54 et 11,55 ;

- la 7e « apocalypse » et l’appendice : entre les versets 20,31 et 21,1.

A contrario, le silence qui s’installait entre les versets 19,42 et 20,1 (au sein de la 7e « apocalypse ») après la mort et l’ensevelissement de Jésus : pour marquer la durée du sabbat juif, n’introduisait nulle coupure dans le récit : les lieux étaient inchangés, les acteurs restaient les mêmes, l’action ne faisait que reprendre son cours un moment interrompu. Ce silence tenait seulement la place d’une journée où il ne s’était rien passé. Du point de vue du calendrier juif, nous nous situions toujours dans la même fête de Pâque.

Comme dans la grande Apocalypse de Jean (voir notre étude à ce sujet, sur le même site : Notes exégétiques diverses, note 35), on pouvait détecter, dans le texte du IV e évangile, de véritables mots-charnières qui divisaient le récit non seulement en semaines, ou fêtes juives, mais encore en journées à l’intérieur de chacune de ces semaines ou fêtes, et qui justifiaient le plan que nous avions suggéré de tout l’ensemble. Il s’agissait, pour la plupart, de notations de temps et de lieux.

Sans aucun doute, les mots-charnières étaient-ils moins systématiques, ici, et moins visibles, que dans la grande Apocalypse. Ils n’en étaient pas moins sensibles, et rythmaient le discours. Rappelons qu’il ne fallait pas les chercher, forcément, au début du paragraphe concerné.

Essayons d’en dresser la liste :

Prologue : 1,1 « Au commencement… »

I. Semaine inaugurale.

1er jour : 1,19 « Quand les Juifs envoyèrent de Jérusalem… »

2e   jour : 1,29 « Le lendemain… »

3e jour : 1,35 « Le lendemain… »

4e jour : 1,41 « Au lever du jour… »

5e-6e jours : 1,43 « Le lendemain… »

7e jour : 2,1 « Le troisième jour… »

8e jour : 2,12 « Après quoi, il descendit à Capharnaüm… »

II. Première Pâque à Jérusalem.

1er jour : 2,13 « La Pâque des Juifs approchait. Jésus monta à Jérusalem. Il trouva dans le Temple…»

2e jour : 3,2 « Il vint de nuit… »

3e jour : 3,22 « Après cela, Jésus se rendit avec ses disciples au pays de Judée… »

4e jour : 4,1 « Quand Jésus apprit… »

5e-6e jours : 4,40 « Il y resta deux jours. »

7e jour : 4,43 « Les deux jours écoulés, Jésus partit de là pour la Galilée. »

8e jour : 4,52 « C’était hier, à la septième heure,… »

III. Deuxième fête à Jérusalem.

1er jour : 5,1 « Après cela, il y eut une fête des Juifs et Jésus monta à Jérusalem. » 5,9 « Or c’était un jour de sabbat. »

IV. La Pâque du pain de vie.

1er jour : 6,1 « Après cela, Jésus s’en alla de l’autre côté de la mer de Galilée ou de Tibériade. »

2e jour : 6,22 « Le lendemain… »

V. La fête des Tentes.

1er jour : 7,2 « Cependant la fête juive des Tentes approchait. »

2e jour : 7,10 « Quand ses frères furent montés à la fête, alors il monta… »

4e jour : 7,14 « On était déjà au milieu de la fête, quand Jésus monta au Temple… »

7e jour : 7,37 « Le dernier jour de la fête, le grand jour… »

8e jour : 8,2 « Dès l’aurore, il parut à nouveau dans le Temple… » 9,14 « Or c’était un jour de sabbat… »

VI. La fête de la Dédicace.

1er jour : 10,22 « On célébra alors à Jérusalem la fête de la Dédicace. C’était l’hiver.»

2e jour : 10,40 « Il s’en alla de nouveau au-delà du Jourdain… »

3e jour : 11,1 « Il y avait un homme malade, Lazare de Béthanie… »

4e-5e jours : 11,6 « Il resta encore deux jours à l’endroit où il se trouvait. »

7e jour : 11,17 « A son arrivée, Jésus trouva Lazare enseveli depuis quatre jours. »

8e jour : 11,53 « À dater de ce jour… »

VII. La dernière Pâque à Jérusalem : 11,55 « La Pâque des Juifs était proche.  »

1er jour : 12,1 : « Six jours avant la Pâque, Jésus vint à Béthanie… »

2e jour : 12,12 : « Le lendemain… »

3e jour : 13,1 « Avant la fête de la Pâque… »

4e jour : 18,27 « Aussitôt un coq chanta.» 18,28 : « C’était le matin.»

5e jour : 19,14  « C’était le jour de la Préparation de la Pâque, environ la sixième heure. »

6e jour : 19,31 « C’était le jour de la Préparation… »

7e jour : 19,31 « Ce sabbat était un jour de grande solennité… »

8e jour : 20,1 « Le premier jour de la semaine… »

15 e jour : 20,26 « Huit jours plus tard… »

Appendice : 21,1 « Après cela, Jésus se montra encore aux disciples sur les bords de la mer de Tibériade. »

Ce qui sous-tendait en réalité toute la trame du récit évangélique, c’était un plan idéal en 7 X 7 = 49 parties, exactement comme il en était dans la grande Apocalypse de Jean.

Mais ce plan idéal n’était pas mis en œuvre de manière rigoureuse, ou mathématique ; il était appliqué moins systématiquement que dans la grande Apocalypse. On pouvait le comparer, comme on l’a dit, à un rythme, à un chiffre latent.

Certaines « semaines », ou fêtes, se contentaient d’une ou deux journées expressément nommées. Au contraire, pour d’autres semaines, le chiffre 7 tendait nettement vers 8 : ce huitième jour annonçant le futur dimanche des chrétiens. Dans la septième « apocalypse », celle de la dernière Pâque à Jérusalem, on observait même une quinzième journée.

Jean ne cultivait certainement pas la superstition des chiffres. Pour lui, la semaine de 7 jours symbolisait la création du monde, ou l’œuvre de Dieu, en référence à l’heptaméron de la Genèse. La semaine de 8 jours, quant à elle, évoquait l’œuvre encore plus grandiose de la rédemption du monde.

Ce plan septénaire du IV e évangile : 7 semaines esquissées de 7 jours, servait d’armature très souple à tout l’ouvrage.

Mais dans le détail du texte, on l’avait observé, la pensée s’organisait spontanément en rythmes impairs : ternaires, quinquénaires et septénaires, sans qu’il eût rien de systématique. On observait là comme une forme sacrale de l’écriture.  

Nota Bene

Dans l’évangile de saint Matthieu, également, on trouvait fortement marqué ce rythme septénaire, spécifique sans doute de beaucoup d’œuvres de la tradition juive.

Mais chez Matthieu il revêtait une tout autre signification,  il assumait une tout autre fonction.

Chez Jean, le rythme septénaire était avant tout d’ordre chronologique : il marquait une évolution spatio-temporelle, en référence à l’heptaméron de la Genèse.

Chez Matthieu, au contraire, le rythme septénaire avait une signification purement théologique, ou idéologique. Il prenait aussi une valeur d’exposition ; peut-être même jouait-il un rôle mnémotechnique.

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