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Or, il se rendit ensuite dans une ville appelée Naïm. Ses disciples et une foule nombreuse faisaient route avec lui. Or, quand il fut près de la porte de la ville, voilà qu’on portait en terre un mort, un fils unique, dont la mère était veuve ; et il y avait avec elle une foule considérable de gens de la ville. A sa vue, le Seigneur eut pitié d’elle et lui dit : « Ne pleure pas. » Puis s’approchant, il toucha le cercueil, et les porteurs s’arrêtèrent. Alors il dit : « Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi. » Et le mort se dressa sur son séant et se mit à parler. Puis Jésus le rendit à sa mère. Tous furent saisis de crainte, et ils glorifiaient Dieu en disant : « Un grand prophète a surgi parmi nous et Dieu a visité son peuple. » Et ce propos se répandit à son sujet dans la Judée entière et tout le pays d’alentour. |
Original épisode aussi. Il n’est que dans Luc.
Avec la question de Jean-Baptiste de sa prison (épisode suivant : 50), et le jugement de Jésus sur sa génération (épisode 51) qui seront aussi rapportés par Matthieu grec, mais dans un autre endroit de son évangile (cf. Mt 11, 2-19), avec encore les deux épisodes suivants du seul Luc (52 : La pécheresse pardonnée ; 53 : l’entourage féminin de Jésus), cet épisode faisait-il partie de la même source Q que nous avons identifiée comme terminant le discours sur la montagne ? On pourrait presque l’inférer avec quelque vraisemblance. Seul, alors, Luc l’aurait transcrit de la source Q.
Peut-être aussi Luc le doit-il aux résultats de son enquête personnelle, menée en Palestine, et l’a-t-il sciemment placé là. Bien d’autres événements de la vie du Christ, paraboles et miracles, ne nous sont connus que par le seul Luc, et quelques fois des plus caractéristiques. Nous faisons confiance à l’historien Luc, qui déclare avoir interrogé les témoins directs, et rapporter fidèlement les faits, pour l’authenticité de son témoignage.
C’est une des pages les plus typées, et les plus touchantes de tout l’évangile (typée et touchante comme il arrive souvent avec Luc), et les circonstances géographiques sont particulièrement exactes. On peut encore aujourd’hui les vérifier in situ.
Après son discours inaugural, Jésus aura repris ses itinérances à travers la Galilée, pour y enseigner dans les synagogues. Empruntant la route de Samarie, qui part du lac aux environs de Magdala, il monte vers la plaine d’Esdrelon, en longeant par l’ouest le mont Thabor. Il arrive à la ville de Naïm, qui est aux flancs du Djebel Dahî, lequel domine la plaine du haut de ses 515 mètres. On l’appelle aussi le petit Hermon. Nous ne sommes qu’à une dizaine de km de Nazareth.
Jésus voyage entouré d’une grande foule. Luc le précise expressément. Il se déplace tel un chef d’Etat, mais un chef d’Etat qui irait à pied. N’oublions pas qu’il est au sommet de sa popularité, nationale et internationale. Le désenchantement viendra plus tard. Peut-être a-t-on seulement prévu une ombrelle pour l’abriter, si les rayons du soleil sont trop chauds. Ses disciples l’entourent et font route avec lui. Ils ne jouent pas les fiers-à-bras. Ce n’est pas le genre de la maison Jésus. Mais ils n’en sont pas moins conscients de leurs responsabilités toutes fraîches. On ne sait pourquoi. En ces heures de quasi triomphe, Jésus pense irrésistiblement à sa mère, qu’il a laissée à Nazareth. Il va y penser bien plus dans quelques instants.
Le cortège royal gravit lentement et joyeusement les pentes de la colline, du côté nord. Il se dirige vers la porte monumentale de la cité, qu’on aperçoit en haut. On a retrouvé en 1982, nous dit Petitfils, les vestiges d’une enceinte circulaire, datant de cette époque. On n’a pas repéré les restes archéologiques de la grande porte. Mais elle existait forcément. Dans toute muraille de cité, il y a forcément une grande porte donnant sur la principale route d’accès.
Donc la troupe de Jésus s’avance, telle une armée pacifique. Mais alors que voit-on, justement, sortir par cette grande porte ? Un autre cortège, lugubre celui-là. La ville de Naïm défile en larmes, au lieu de se porter en fête vers Jésus. Des pleureuses font entendre leurs cris perçants. Une civière couverte d’un drap blanc porte le corps d’un jeune homme, décédé le matin même. On enterrait, alors, dans la journée pour éviter les risques de putréfaction précoce. Une veuve éplorée suit le cortège. Elle est effondrée. Elle ne peut marcher que soutenue par plusieurs voisines compatissantes. Elle est muette. Elle est pâle. Ses larmes sont taries. C’était son fils unique, son unique soutien.
A ce spectacle, Jésus s’est porté en avant de son propre cortège. Il monte tout droit. Mais le cortège opposé, au lieu de descendre par la même route, oblique vers le sud-est, où des tombeaux étaient taillés dans le roc. On en aperçoit encore de nos jours. C’était le cimetière. Jésus arrive juste quand le convoi funèbre franchissait la porte. D’un mot, ou d’un geste, il fait signe aux porteurs de s’arrêter un instant. Il pleure lui-même gagné par l’émotion. En silence il embrasse la veuve, qui le remercie dans son demi-évanouissement. Ne pleurez pas, Madame, lui murmure-t-il tout bas. Et il l’appelle par son nom. Il sait déjà son nom, non seulement par prescience divine, mais encore parce qu’on le lui a chuchoté de toutes parts. Aucune prière n’est formulée tout haut, ni par la veuve ni par l’assistance. L’instant est trop poignant. Mais on ne peut s’empêcher de penser. Tout de même, s’il avait été là, lui le thaumaturge. Mais ressusciter un mort, c’est impossible. Il est trop tard. Chacun doit suivre sa destinée.
C’est maintenant que Jésus songe à sa propre mère. Il voit dans ce moment fugitif, dans ce tableau éphémère comme la vie, l’image de son propre drame futur, mais aussi le spectacle en résumé de toute l’humanité, passée, présente et à venir. Mais sa divinité, sa compassion aussi, vont-elles, pour l’heure, être mises en échec par la mort ?
Il n’y tient plus. Il fait signe aux porteurs de découvrir le corps. « Daniel » dit-il d’une voix forte, à réveiller un mort, en effet. Il sait que le jeune mort s’appelle Daniel. (Révélation privée faite à Maria Valtorta). « Je te l’ordonne, lève-toi. » (Lc 7, 14). Le jeune homme se lève. Il le prend par la main, le fait descendre de la civière et le remet délicatement dans les bras de sa mère pour une étreinte qui durera longtemps.
C’est alors que les deux cortèges, le funèbre et le joyeux, s’unissent pour n’en faire plus qu’un. On rentre dans la ville qui sera bientôt pavoisée. C’est presque un paradis sur terre.
Le village de Naïm existe toujours en Palestine. C’est un village arabe. Naïm est l’écriture talmudique, et encore celle des juifs, aujourd’hui. Luc écrit Naïn. Effectivement le village autochtone d’aujourd’hui s’appelle Neîn, dont la prononciation est Nên. La population y est entièrement musulmane. Elle ne dépassait pas 200 personnes, vers 1960. (Mgr Clemens Kopp).
Cette résurrection d’un mort, racontée par le seul Luc, fit l’effet d’un coup de tonnerre dans le ciel de la Palestine, que Luc, d’ailleurs, appelle Judée, mais une Judée prise au sens large : tout le pays des juifs. « La Judée entière, dit Luc, et tout le pays d’alentour. » (Lc 7, 17). La résurrection dut même avoir un retentissement mondial. Peut-être en a-t-on parlé jusqu’à Rome. Imaginez-vous un tel fait divers repris par nos media d’aujourd’hui ? Il est vrai qu’on n’avait pas la radio, ni la télévision, mais la rumeur volait vite. De fait, on n’attribua pas à ce miracle une importance politique, mais seulement une dimension religieuse, ou prophétique. « Un grand prophète, dit-on, a surgi parmi nous et Dieu a visité son peuple. » (Lc 7, 16). Peut-être alors songeait-on au prophète Elie, qui avait ressuscité le fils de la veuve de Sarepta. Luc devait y songer lui-même, puisque les mots : « Et il le remit à sa mère » (Lc 7, 15) sont repris du livre des Rois (cf. 1 R 17, 23).