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Et voilà que le rideau du Temple se déchira en deux, du haut en bas ; la terre trembla, les rochers se fendirent et de nombreux corps de saints trépassés ressuscitèrent : ils sortirent des tombeaux après sa résurrection, entrèrent dans la Ville Sainte et se firent voir à bien des gens. Voyant qu’il avait ainsi expiré, le centurion qui se tenait en face de lui s’écria : « Vraiment cet homme était Fils de Dieu ! » A la vue de ce qui s’était passé, le centurion glorifiait Dieu en disant : « Sûrement cet homme était un juste ! » Quant au centurion et aux hommes qui avec lui gardaient Jésus, à la vue du séisme et de ce qui se passait, ils furent saisis d’une grande frayeur et dirent : « Vraiment celui-ci était Fils de Dieu ! » Et toutes les foules qui étaient accourues pour assister à ce spectacle, voyant ce qui s’était passé, s’en retournaient en se frappant la poitrine. Tous ses amis se tenaient à distance, ainsi que les femmes qui l’avaient accompagné depuis la Galilée, et regardaient cela. Il y avait, là aussi, de nombreuses femmes qui regardaient à distance, celles-là mêmes qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée pour être à son service, entre autres Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques le mineur et de Joset (Joseph), et Salomé la mère des fils de Zébédée, qui le suivaient et le servaient lorsqu’il était en Galilée. Beaucoup d’autres encore qui étaient montées avec lui à Jérusalem. C’était le jour de la Préparation ; pour éviter que les corps ne restassent sur la croix durant le sabbat, -- car ce sabbat était un jour de grande solennité, -- les Juifs demandèrent à Pilate qu’on leur brisât les jambes et qu’on enlevât les corps. Les soldats vinrent donc et brisèrent les jambes au premier, puis au second de ceux qui avaient été crucifiés avec lui. Arrivés à Jésus, ils le trouvèrent mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et aussitôt il sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu en rend témoignage, -- un authentique témoignage, et celui-là sait qu’il dit vrai, -- pour que vous aussi vous croyiez. Car cela est arrivé pour que s’accomplît l’Ecriture : On ne lui brisa pas un os. Ailleurs l’Ecriture dit encore : Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé. |
Marc et Matthieu nous confirment ce que nous disait déjà Luc : « Et voilà que le rideau du Temple se déchira en deux, du haut en bas. » (Mt 27, 51). Mais Matthieu grec, le diacre Philippe selon nous, s’étend beaucoup plus sur le tremblement de terre qui a coïncidé avec la mort du Christ, ce Vendredi Saint. Le diacre Philippe était renseigné de première main. Le déchirement du rideau du temple, en effet, ne peut s’expliquer que par une secousse tellurique extrêmement violente. On observera des répliques dans les jours à venir selon le même Matthieu grec (28, 2), comme cela se produit souvent pour les séismes de grande intensité.
« Si l’on en croit l’évangile des Hébreux, dont saint Jérôme a vu l’original araméen – nous rapporte Petitfils (page 409) – le linteau de l’édifice, énorme, aurait été brisé et fracassé. » On comprend que le rideau, immense, plus de 30 mètres de haut, soutenu par ce linteau, ait été déchiré.
Les chroniques des auteurs profanes que nous avons citées dans l’épisode 225 (à propos des ténèbres du Vendredi saint) confirment le tremblement de terre, en sus de l’éclipse anormale de soleil.
Matthieu grec donne les détails suivants, au sujet de ce tremblement de terre : « La terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s’ouvrirent et de nombreux corps de saints trépassés ressuscitèrent : ils sortirent des tombeaux après sa résurrection, entrèrent dans la Ville Sainte et se virent voir à bien des gens. » (Mt 27, 51-53). On constate que Matthieu grec confond ici volontairement le séisme du Vendredi Saint avec ses suites des jours suivants. Le tremblement de terre a pu ouvrir les tombeaux dès le premier jour, car sa force pouvait déplacer les pierres tombales, aussi bien qu’elle fendait les rochers. Mais les corps ne sont ressuscités, et sortis de leurs sépulcres, qu’au matin de Pâques. Ainsi Jésus-Christ reste bien le premier ressuscité d’entre les morts, selon la foi chrétienne (cf. 1 Co 15, 20). Sans doute lui ont-ils fait cortège dans le ciel au jour de l’Ascension. On peut présumer sans risque d’erreur que saint Joseph, père putatif de Jésus, fut l’un de ces premiers ressuscités, même s’il n’était pas enterré à Jérusalem. Il le méritait par sa ‘justice’. Les ressuscités se virent voir à bien des gens. C’est-à-dire qu’ils apparurent à plus d’une personne sur la terre, avant de monter eux-mêmes au ciel.
Désormais les quatre évangiles s’expriment en symphonie, en se complétant tour à tour. C’est comme un seul évangile qui parlerait à quatre voix.
Marc reprend : « Voyant qu’il avait ainsi expiré, le centurion, qui se tenait en face de lui, s’écria : ‘Vraiment cet homme était Fils de Dieu !’ » (Mc 15, 39). Le centurion a été impressionné, aussi bien par l’agonie extraordinaire de Jésus, que par les manifestations étranges de la nature depuis plus de trois heures. Il avait entendu les chefs juifs qui accusaient Jésus de se dire Fils de Dieu : « Nous avons une Loi et d’après cette Loi il doit mourir : il s’est fait Fils de Dieu. » (Jn 19, 7). C’était hier, au moment de la condamnation à mort (notre épisode 221). Le centurion ne peut que constater que Jésus est mort en vrai Fils de Dieu. Il n’a pas usurpé son titre. Il en était digne. Il était l’innocence même. C’est ce constat que, selon Luc, exprime le centurion : « Sûrement, cet homme était un juste ! » (Lc 23, 47).
Selon Matthieu le centurion et les hommes qui l’assistaient furent saisis d’une grande frayeur, d’un trouble quasi métaphysique. Ils ne pouvaient que se rendre à l’évidence : « Vraiment celui-ci était Fils de Dieu ! » (Mt 27, 54).
Pour Luc (23, 48), ce sont les foules qui manifestent leur contrition. Elles étaient accourues à ce spectacle en curieux, ou même en ennemis, comme souvent pour les exécutions capitales. Elles s’en retournent en se frappant la poitrine. Dans quel état d’esprit vont-elles, ce soir même, consommer la Pâque ?
Selon Matthieu (27, 55-56), Marc (15, 40-41) et Luc (23, 49), les amis de Jésus, dont de nombreuses femmes, se tenaient à distance. Sans doute formaient-ils un seul groupe, pour montrer leur solidarité. Marie, mère de Jésus, on l’a dit, n’est pas citée par eux. Mais la présence de Marie a été signalée tout à l’heure par Jean aux pieds de la croix (cf. Jn 19, 25-27 : notre épisode précédent). Mais il y a là, entre autres, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques le mineur et de Joset (selon Marc 15, 40) ou de Joseph (selon Matthieu 27, 56) et Salomé (selon Marc id.), la mère des fils de Zébédée (selon Matthieu id.). C’est ainsi que nous apprenons que Madame Zébédée s’appelait Salomé. Toutes ces femmes suivaient Jésus depuis la Galilée. Beaucoup d’autres, nous précise Marc, étaient montées avec lui à Jérusalem.
Ici, Jean (19, 31-37) intervient seul dans la symphonie. Il nous confirme qu’on était bien le jour de la Parascève, aussi bien du sabbat que de la Pâque, qui cette année-là tombait un samedi. Ce sabbat revêtait donc une grande solennité. Quand le repos du 15 Nisan coïncidait, comme ce fut le cas cette année-là, avec le repos hebdomadaire du samedi, on parlait alors de grand sabbat. C’est pourquoi Jean dit que « ce sabbat était un jour de grande solennité. » (Jn 19, 31).
Selon la Loi juive il ne fallait surtout pas que les corps des condamnés restassent en croix (cf. Dt 21, 22-23). Pour la loi romaine, au contraire, les corps devaient pourrir sur place et même être la proie des bêtes sauvages.
Les crucifiés pouvaient survivre plusieurs jours. Mais Jésus avait été trop maltraité par le supplice de la flagellation et par les autres sévices. Il était mort au bout de six heures d’agonie. Ces compagnons, quant à eux, étaient toujours vivants. C’est pourquoi il faudra leur asséner le coup de la mort.
On se demande comment les crucifiés pouvaient survivre si longtemps à un supplice si affreux, car la cage thoracique, en s’affaissant, avait tendance à se paralyser. Certains prétendent que les suppliciés étaient liés par les bras. Ce qui leur permettait de respirer plus longtemps. D’autres disent que les condamnés étaient obligés de prendre appui sur leurs pieds pour se soulever et ainsi, de temps en temps, reprendre leur souffle. Mais cet effort eût été bien trop douloureux, impossible même. Et les condamnés seraient morts asphyxiés, au bout de quelques instants. En réalité, une cheville de bois, ou sedile, étaient passée entre leurs jambes, et soutenait le corps, ce qui permettait la respiration et la prolongation de l’agonie. Pour des raisons d’esthétique on a supprimé la représentation de cet objet. Les romains parlaient d’equitare in cruce, par allusion à cet objet.
D’après Jean, ce sont les juifs qui demandent à Pilate qu’on brise les jambes des condamnés, et qu’on enlève les corps.
La consigne est donnée.
Les soldats vinrent donc et brisèrent les jambes du premier, puis du second, des crucifiés. Quant à Jésus, ils le trouvèrent déjà mort. Ils ne lui brisèrent pas les jambes, c’était inutile. Mais pour éviter tout doute, l’un des soldats lui perça le côté d’un coup de lance. Il en sortit, note Jean, du sang et de l’eau.
D’après le linceul de Turin, le coup fut effectivement donné post mortem, car la plèvre ne se referma pas. L’arme utilisée fut une lancea romaine, avec la lame en forme de feuille de laurier. Le coup a été donné de bas en haut, parce que la croix était élevée. Le sang était celui de la veine cave supérieure qui était resté liquide. L’eau « était un abondant sérum clair d’origine inflammatoire. Soumise à un traumatisme profond dû à la flagellation, la région thoracique avait développé une péricardite sérieuse. Le coup n’a pas été violent, mais au contraire lent, sinon les liquides se seraient mêlés. » (Petitfils, page 400).
Jean certifie son témoignage par l’attestation la plus formelle : « Celui qui a vu en rend témoignage, - un authentique témoignage, et celui-là sait qu’il dit vrai, - pour que vous aussi vous croyiez. » (Jn 19, 35). Il fera de même dans l’avant-dernier verset de son évangile : « C’est ce disciple qui témoigne de ces faits et qui les a écrits et nous savons que son témoignage est véridique. » (Jn 21, 24). On a cru voir dans ces phrases l’œuvre d’un disciple, ou d’un groupe de disciples, qui auraient complété et commenté son livre. En réalité, rien n’est plus johannique que ces deux versets. Tous les mots, toutes les expressions, sont typiquement de son style. Etant donné que le quatrième évangile est anonyme : Jean, l’auteur, emploie toujours des périphrases pour se désigner. On a là une forme de signature, sans équivoque.
Le fait qu’on n’a pas brisé les jambes de Jésus, et le coup de lance, sont arrivés providentiellement pour que les prophéties de l’Ecriture s’accomplissent.
« On ne lui brisera pas un os. » (Jn 19, 36). Cf. Ex 12, 46 : « Vous ne romprez, non plus, aucun os de la victime. » Cela était dit de l’agneau pascal que les juifs de Jérusalem immolaient, puis consommaient, précisément ce soir même. Mais Jésus était le véritable agneau pascal ; son sacrifice se substituait définitivement aux sacrifices d’animaux.
Jean conclut par cette citation du prophète Zacharie : « Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé. » (Jn 19, 37 ; cf. Za 12, 10). On peut affirmer sans risque d’erreur que tout l’œuvre johannique – apocalypse, évangile comme épîtres – ne sera qu’une longue méditation de ce verset de Zacharie. Jean n’a pas cessé de contempler le Christ en croix, le Christ transpercé. Il a été marqué à jamais par ce spectacle dont il fut le témoin privilégié. Lui, le disciple que Jésus aimait, fut le visionnaire, ensuite le prophète, du cœur transpercé de Jésus.
De ce cœur transpercé ont coulé le sang et l’eau, c’est-à-dire l’eucharistie et le baptême, c’est-à-dire en réalité tous les sacrements, et toutes les grâces de salut.
L’Eglise du Christ, nouvelle Eve, est née du flanc transpercé du nouvel Adam.