Retour au plan : PLAN
Alors Judas, qui l’avait livré, voyant qu’il avait été condamné, fut pris de remords et rapporta les trente pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens : « J’ai péché, dit-il, en livrant un sang innocent. » Ils répliquèrent : « Que nous importe ? A toi de voir. » Jetant alors les pièces dans le sanctuaire, il se retira et s’en alla se pendre. Ayant ramassé l’argent, les grands prêtres se dirent : « Il n’est pas permis de le verser au trésor, puisque c’est le prix du sang. » Après délibération, ils achetèrent avec cet argent le ‘champ du potier’ comme lieu de sépulture pour les étrangers. Voilà pourquoi ce champ-là s’est appelé jusqu’à ce jour le ‘Champ du Sang’. Alors s’accomplit l’oracle du prophète Jérémie : Et ils prirent les trente pièces d’argent, le prix du Précieux qu’ont apprécié les fils d’Israël, et ils les donnèrent pour le champ du potier, ainsi que me l’a prescrit le Seigneur. Et voilà que, s’étant acquis un champ avec le salaire de son forfait, cet homme est tombé la tête la première et a éclaté par le milieu, et toutes ses entrailles se sont répandues. -- La chose fut si connue de tous les habitants de Jérusalem que ce champ fut appelé dans leur langue Hakeldama, c’est-à-dire ‘Champ du Sang’. |
La mort de Judas intervient dès ce 1er avril au matin, dès que Jésus est livré à Pilate. Il n’a pas douté que Jésus ne fût condamné par l’autorité romaine.
Curieusement, la mort de Judas nous est racontée de façon indépendante à la fois par un évangéliste, Matthieu grec, et par Luc dans les Actes des apôtres. Nous n’hésitons pas à joindre ces quelques lignes des Actes à la synthèse des quatre évangiles dans cette vie de Jésus. Elles font partie indubitablement de la vie de Jésus.
Les expressions de Matthieu grec et Luc divergent quelque peu. Mais elles relatent bien le même événement. Dans Matthieu grec, nous avons le récit d’un historien qui s’en tient aux faits. Dans les Actes de Luc, c’est la diction d’un orateur – c’est en effet Pierre qui parle dans un discours devant 120 personnes – et qui s’exprime volontiers par adages populaires.
Le diacre Philippe et Luc ont dû puiser à des sources différentes.
Les deux versions se recoupent sur des points précis, qu’on peut énumérer : 1°) Il s’agit de l’achat d’un champ, dans les environs de Jérusalem, qu’on appelle ‘le Champ du Sang’. Luc nous donne le nom araméen : Hakeldama. 2°) Ce champ est bien connu des habitants de Jérusalem. 3°) Judas s’est suicidé.
Quand Pierre dit, dans les actes : « Et voilà que, s’étant acquis un champ avec le salaire de son forfait… » (Ac 1, 18), il parle par figure. Judas n’a pas acheté un champ, après son forfait, pour aller s’y pendre et y répandre son sang. Il n’en eut pas le temps ! Un champ quelconque ayant été acheté par les grands prêtres, après la Passion, avec le salaire gagné par Judas pour prix de sa trahison, on peut dire, symboliquement, que Judas l’a acheté après sa mort et que c’était le prix du sang de Jésus, et non le prix du sang de Judas. Ainsi toutes les difficultés de conciliation des textes se résolvent très facilement. Quand Luc insère ces mots dans le discours de Pierre : « La chose fut si connue de tous les habitants de Jérusalem que ce champ fut appelé dans leur langue Hakeldama, c’est-à-dire Champ du Sang’ » (Ac 1, 19), c’est évidemment une parenthèse que Pierre n’a pas prononcée telle quelle. La parenthèse fut ajoutée bien après la Pentecôte, et bien après le discours de Pierre. Pierre n’aurait pu dire, puisqu’il parlait en araméen : « Ce champ fut appelé dans leur langue… » (Id.).
De l’autre côté de la Géhenne, non loin de l’ancienne porte Sterquiline, ou porte de la Poterie, ou porte de la céramique, on montre encore aujourd’hui le champ du potier, ‘cette terre marquée par la malédiction’ (Daniel-Rops, page 504).
Matthieu écrit, selon habitude constante dans le premier évangile : « Alors s’accomplit l’oracle du prophète Jérémie. » (Mt 27, 9) Il s’exprime par approximation. En fait, la citation qui suit est un mélange de Zacharie (11, 12-13) et de Jérémie (32, 6-15). On ne pouvait pas l’attribuer immédiatement au prophète Zacharie, car ce dernier avait écrit : « Et je pris les trente pièces d’argent et les jetai dans le Temple de Yahvé, dans le trésor. » (Za 11, 13). Or justement les trente pièces d’argent de Judas ne furent pas versées au trésor, mais jetées dans le sanctuaire et récupérées par les prêtres. Que si l’on traduit « au potier », avec certaines versions, et non « dans le trésor », il ne s’agit toujours pas d’acheter un champ. Mais c’est bien Jérémie qui parle d’acheter un champ sur l’ordre du Seigneur (cf. Jr 32, 6-15), et qui mentionne en un autre endroit les potiers (cf. Jr 18, 2s), qu’il situe dans la région de la porte des Tessons, ou des potiers (cf. Jr 19, 1s). La prophétie est donc un amalgame, comme on en rencontre aussi dans Marc (cf. 1, 2). Les citations, dans l’antiquité, ne se faisaient pas par référence à un texte standard, comme aujourd’hui, mais de mémoire, et souvent par allusion à un état du texte que nous ne possédons plus.
Où Judas jeta-t-il son argent ? Il nous est dit qu’il le jeta dans le sanctuaire, naos (cf. Mt 27, 5). Il est probable que, ayant franchi la porte de Nicanor, au moment même où elle venait d’ouvrir, parvenu dans le parvis d’Israël réservé aux hommes, il jeta ses trente pièces dans le parvis des prêtres, par dessus la balustrade, là où se trouvaient l’autel des holocaustes et la Mer d’Airain.