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208. Arrestation de Jésus. Le mercredi vers minuit.

Matthieu 26, 47-56. Marc 14, 43-52. Luc 22, 47-53. Jean 18, 2-11.

Et aussitôt, comme il parlait encore, se présente Judas, l’un des Douze, et avec lui une bande nombreuse armée de glaives et de bâtons, envoyée par les grands prêtres, les scribes et les anciens du peuple. Survient une bande. A sa tête marchait le nommé Judas, l’un des Douze.

Judas, le traître, connaissait bien l’endroit, car Jésus et ses disciples s’y étaient maintes fois réunis.

Judas, donc, menant la cohorte et des gardes détachés par les grands prêtres et les Pharisiens, arrive là avec des lanternes, des torches et des armes.

Or le traître leur avait donné ce signe convenu : « Celui que je baiserai, c’est lui ; arrêtez-le et emmenez-le sous bonne garde. » Et aussitôt arrivé, il s’approcha de Jésus pour lui donner un baiser, en disant : « Salut, Rabbi ! » Et il le baisa. Mais Jésus lui dit : « Judas, c’est par un baiser que tu livres le Fils de l’homme ? Ami, fais ta besogne ! » Voyant ce qui allait arriver, les compagnons de Jésus lui demandèrent : « Seigneur, faut-il frapper du glaive ? ... »

Alors Jésus sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : « Qui cherchez-vous ? Ils lui répondirent : « Jésus le Nazaréen. » -- « C’est moi », leur dit-il. Judas, qui le livrait, se tenait là avec eux. Quand Jésus leur eut dit : « C’est moi », ils reculèrent et tombèrent à terre. Il leur demanda à nouveau : « Qui cherchez-vous ? » Ils dirent : « Jésus le Nazaréen. » -- « Je vous dis que c’est moi, reprit Jésus. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez ceux-là partir. » Ainsi devait s’accomplir la parole qu’il avait dite : « Ceux que tu m’as donnés, je n’en ai pas perdu un seul. »

Alors s’avançant les autres mirent la main sur Jésus et l’arrêtèrent.

Et voilà qu’un des compagnons de Jésus, l’un des assistants, Simon-Pierre, qui portait un glaive, dégainant son glaive, portant la main à son glaive, le dégaina ; il en frappa le serviteur du grand prêtre et lui trancha l’oreille droite. Ce serviteur s’appelait Malchus. Mais Jésus prit la parole et dit : « Laissez ; cela suffit », et lui touchant l’oreille il le guérit. Alors Jésus dit à Pierre : « Remets ton glaive dans le fourreau ; la coupe que m’a donnée le Père, ne la boirai-je pas ? Rengaine ton glaive, car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. Penses-tu donc que je ne puisse faire appel à mon Père qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d’anges ? Comment alors s’accompliraient les Ecritures d’après lesquelles il doit en être ainsi ? »

A ce moment-là Jésus dit aux foules, à ceux qui étaient sortis, qui s’étaient portés contre lui, grands prêtres, chefs des gardes du Temple et anciens, s’adressant à eux Jésus leur dit ; « Suis-je un brigand que vous vous soyez mis en campagne avec des glaives et des bâtons pour me saisir ? Alors que chaque jour j’étais assis parmi vous, avec vous, dans le Temple, à enseigner, et vous ne m’avez pas arrêté, vous n’avez pas porté la main sur moi. Mais c’est votre heure et le règne des Ténèbres ! C’est pour que les Ecritures s’accomplissent. »

Or tout ceci advint pour que s’accomplissent les Ecritures des prophètes.

Alors les disciples, l’abandonnant, s’enfuirent tous. Un jeune homme le suivait, n’ayant pour tout vêtement qu’un drap, et on le saisit ; mais lui, lâchant le drap, s’enfuit tout nu.

Episode 208. Commentaire.

Nous sommes donc le Mercredi Saint, 1er avril 33. Il est peut-être minuit, minuit et demi. Dans la nuit si calme de Gethsémani, un bruit étrange se fait entendre. Des lueurs de torche éclairent soudain le paysage. Une troupe s’avance, venant du palais du grand prêtre, ou peut-être directement du Temple tout proche. Une troupe hétéroclite, puisque on y voit des soldats, des gardes du Temple, peut-être des voyous, recrutés pour l’occasion. Saint Jean (18, 3) spécifie qu’il y avait la cohorte, sans doute un détachement de l’armée romaine mise à la disposition des grands prêtres. Il précisera même tout à l’heure (cf. Jn 18, 12) qu’il y avait un chiliarque, un chef de mille, mot que la Vulgate traduit par ‘tribun’, à la tête de la cohorte. 

Judas est à leur tête faisant fonction de guide. Saint Jean et les trois synoptiques sont bien d’accord pour dire que la troupe venait de la part des grands prêtres et des anciens. Saint Marc ajoute même de la part des scribes et saint Jean de la part des Pharisiens. Donc ils arrivaient tout droit du palais des grands prêtres. C’est d’ailleurs là qu’ils emmèneront Jésus, tout de suite après.

Saint Jean est précis : « Ils arrivent avec des lanternes, des torches et des armes. » (Jn 18, 3). La presque pleine lune de Nisan ne leur suffisait pas. D’ailleurs, le sait-on ? Le temps était peut-être nuageux.

Les quatre versions évangéliques du récit de cette arrestation s’imbriquent, ou se superposent, d’une manière admirable dans la synthèse. J’allais presque dire d’une façon extraordinaire, chacun apportant, à la place voulue, sa part d’informations. Tachons de suivre la synthèse alinéa par alinéa, afin d’essayer de rendre compte de cette complémentarité qui s’organise presque comme une architecture. La Théorie des deux sources fonctionne ici à plein rendement, et elle rend compte de l’écriture, non seulement des trois synoptiques, mais des quatre canoniques ensemble. Jean, ne l’oublions pas, est lui-même pleinement synoptique depuis l’Onction à Béthanie (notre épisode 201).

Les synoptiques et Jean sont bien d’accord pour dire que c’est Judas qui conduit la troupe. Les trois synoptiques nomment Judas ‘l’un des Douze’, tandis que Jean le qualifie de ‘traitre’.

Les trois synoptiques racontent alors le baiser de Judas ; c’était le signal convenu, pour faire reconnaître Jésus dans l’obscurité de ce lieu boisé. Sans doute le baiser a-t-il eu lieu dans le local commun où reposaient les disciples : la grotte qu’on appelle celle de l’agonie, mais que l’on devrait plutôt nommer la grotte de la trahison. Selon Matthieu (26, 49) et Marc (14, 45), Judas salue Jésus du titre de « Rabbi ! ». Le baiser se donna-t-il sur le visage ou sur la main ? Daniel-Rops nous dit que les disciples juifs, quand ils retrouvaient leur Maître après une absence, lui baisaient solennellement la main. Mais l’iconographie chrétienne a toujours retenu le baiser au visage, et c’est bien l’impression, en effet, que donnent les textes. Selon Luc seul, Jésus fait un reprocha amical à Judas : « Judas, c’est par un baiser que tu livres le Fils de l’homme ? » (Lc 22, 48). Le symbole normal de l’amitié et de l’amour est devenu le moyen de la trahison. Mais selon Matthieu grec Jésus dit seulement à l’adresse de Judas : « Ami, fais ta besogne. » (Mt 26, 50). Littéralement : ‘Pourquoi es-tu venu !’, avec point d’exclamation. Ce que le latin traduit : ‘Amice, ad quod venisti !’. D’après Luc, les apôtres commencent à s’inquiéter sérieusement de la tournure des événements : « Seigneur faut-il frapper du glaive ? … » (Lc 22, 49).

Mais Jean (18, 4-9), qui ne décrit pas la scène du baiser, nous montre Jésus, encore libre, s’avançant au-devant de ceux qui viennent l’arrêter : « Qui cherchez-vous ? » (Jn 18, 4). C’est Jésus le Nazaréen, qu’ils cherchent. Quand il eut dit : ‘C’est moi’, ils reculèrent et tombèrent à terre, y compris Judas. Il leur demanda une seconde fois : « Qui cherchez-vous ? » (Jn 18, 7). Ils réitérèrent : ‘Jésus le Nazaréen !’. Je vous dis que c’est moi. Laissez donc partir ceux-ci, dit-il, en montrant ses disciples. Jésus a voulu montrer par là sa maîtrise sur les événements. Il se laisse librement arrêter.

D’après Marc (14, 46) et Matthieu (26, 50), les autres s’avançant mirent la main sur lui, et l’arrêtèrent.

A ce moment-là, selon un incident rapporté par les quatre évangiles, l’un des compagnons de Jésus, dégainant son glaive, frappe l’un des serviteurs du grand prêtre et lui tranche l’oreille. D’après Luc (23, 50) confirmé par Jean (18, 10) nous savons que c’était l’oreille droite.  Mais par Jean seulement nous apprenons que le disciple était Pierre, et que le serviteur du grand prêtre s’appelait Malchus. Sans doute Pierre avait-il emporté avec lui l’un des deux glaives dont il était question chez le père de Marc, lors de la Sainte Cène, d’après Luc (22, 38).

Selon Marc, Jésus ne commente pas ce geste impulsif de son disciple. Mais Luc, quant à lui, donne cette information : « Jésus prit la parole et dit : ‘Laissez ; cela suffit.’ Et, lui touchant l’oreille, il le guérit. » (Lc 22, 51). Tandis que d’après Jean : « Jésus dit à Pierre : ‘Remets ton glaive dans le fourreau. La coupe que m’a donnée le Père, ne la boirai-je pas ?’ » (Jn 18, 11).  Matthieu grec fait dire à Jésus : « Rengaine ton glaive ; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. Penses-tu donc que je ne puisse faire appel à mon Père, qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d’anges ? Comment alors s’accompliraient les Ecritures d’après lesquelles il doit en être ainsi ? » (Mt 26, 52-54). On le voit, chacun des évangélistes, Luc, Jean et Matthieu, a complété, ici, à sa façon le récit de Marc, qui sert de guide.

A ce moment-là, selon les synoptiques seuls, Jésus s’adresse à la foule de ceux qui sont venus l’arrêter. Luc mentionne les « grands prêtres, chefs des gardes du Temple et anciens. » (Lc 22, 52). Marc, Matthieu et Luc rapportent à peu près dans les mêmes termes le discours de Jésus : « Suis-je un brigand, que vous vous soyez mis en campagne avec des glaives et des bâtons pour me saisir ! Chaque jour j’étais avec vous dans le Temple, à enseigner, et vous ne m’avez pas arrêté.» (Mc 14, 48-49). Marc ajoute : « Mais c’est pour que les Ecritures s’accomplissent. » (Mc 14 49), tandis que Luc a cette formule : « Mais c’est votre heure et le règne des Ténèbres. » (Lc 23, 53).

Matthieu grec fait ce commentaire général : « Or tout ceci advint pour que s’accomplissent les Ecritures des prophètes. » (Mt 26, 56). Notation fréquente chez lui.

Alors, d’après Marc (14, 50) et Matthieu (26, 56), les disciples l’abandonnant s’enfuirent tous.

Marc seul raconte ici une anecdote qui a beaucoup intrigué les exégètes : « Un jeune homme le suivait, n’ayant pout tout vêtement qu’un drap, et on le saisit ; mais lui, lâchant le drap, s’enfuit tout nu. » (Mc 14, 51-52). C’était le vêtement de nuit des personnes aisées. Les gens du peuple couchaient tout habillés, enveloppés dans leur manteau. Sans doute Marc, depuis la maison de son père, a-t-il suivi les disciples pendant la nuit, quand ils se dirigeaient vers Gethsémani. Il a entendu les derniers enseignements du Sauveur. Il s’est réfugié dans la grotte avec les disciples. Comme les autres, il a été surpris par l’irruption de la troupe. Et il a voulu suivre le cortège de ceux qui emmenaient Jésus vers le palais des grands prêtres, qui était proche, d’ailleurs, de sa propre maison. Mais il a été surpris dans la nuit par l’arrière-garde du commando.

Tout laisse à penser, en effet, qu’il s’agit d’un souvenir personnel. On ne voit pas pourquoi Marc aurait ajouté ce détail insignifiant. On ne voit pas de qui il l’aurait tenu.

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