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Alors, prenant la parole, Pierre se mit à lui dire : « Eh bien ! nous, nous avons tout quitté ; quittant nos biens nous t’avons suivi ; quelle sera donc notre part ? » Jésus leur déclara : « En vérité je vous le dis à vous qui m’avez suivi : dans la régénération, quand le Fils de l’homme siégera sur son trône de gloire, vous siègerez, vous aussi, sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël. Et nul n’aura quitté, quiconque aura quitté maisons, femme, frères, sœurs, père, mère, parents, enfants ou champs, à cause de mon Nom, à cause de moi et à cause de la Bonne Nouvelle, à cause du Royaume de Dieu, qu’il ne reçoive bien davantage, le centuple, dès maintenant, au temps présent, en maisons, frères, sœurs, mères, enfants et champs, avec des persécutions, et, dans le temps à venir, il aura en partage la vie éternelle. Et beaucoup de premiers seront derniers, et les derniers seront premiers. » |
C’est ici Pierre qui rebondit sur l’incident avec le jeune homme riche. Marc (10, 28), Luc (18, 28) et Matthieu grec (19, 27) sont bien d’accord pour le dire. Nouvel indice que Pierre, à travers Marc, est bien la source originelle du récit que nous suivons désormais pas à pas. Le témoin principal.
Matthieu grec seul rajoute au texte de Marc un logion qui semble tiré de la source Q : « Quand le Fils de l’homme siègera sur son trône de gloire, vous siègerez vous aussi sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël. » (Mt 19, 28). En effet, il se retrouve à peu de choses près dans Luc, mais à un autre endroit de son évangile : cf. Lc 22, 30b, pendant le récit de la Sainte Cène (notre futur épisode 205). Comme ce logion isolé ne se lit que dans Matthieu grec et dans Luc, et non pas dans Marc, on l’inclut ordinairement dans la reconstitution qu’on fait de la source Q. Il répond de fait à la définition a priori qu’on donne de cette source : ce qui est commun à Matthieu grec et à Luc, en dehors de Marc.
Ce logion, certainement authentique, et peut-être répété à plusieurs reprises par Jésus, est important sur le plan doctrinal, car il explicite la raison du choix de douze apôtres : pour symboliser l’Israël nouveau qui prend la suite de l’Israël ancien avec ses douze tribus. Cet Israël nouveau, à son tour, se prolongera dans le ciel au moment de la parousie. Douze trônes seront dressés pour les douze apôtres de Jésus-Christ. Chacun d’eux, après avoir été jugé lui-même, jugera les membres du Royaume. L’Apocalypse, également, nous montre la Jérusalem céleste reposant sur « douze assises portant chacune le nom de l’un des douze Apôtres de l’Agneau. » (Ap 21, 14).
La récompense promise au détachement sera le centuple dès maintenant, nous disent Matthieu grec (19, 29) et Marc (10, 30). Luc est un peu moins précis, qui parle seulement de « bien davantage en ce temps-ci. » (Lc 18, 30).
Mais « avec des persécutions » précise Marc (10, 30). Les deux autres synoptiques omettent cette mention. Mais tous les trois sont bien d’accord pour dire que dans l’autre monde nous écherra la vie éternelle. Marc (10, 30) et Luc (18, 30) emploient exactement la même formule : « et, dans le temps à venir, la vie éternelle », tandis que Matthieu grec écrit seulement « et aura en partage la vie éternelle » (Mt 19, 29).
Matthieu grec (19, 30) reproduit, en le modifiant à peine, le proverbe final de Marc : « Et beaucoup de premiers seront derniers, et les derniers seront premiers. » (Mc 10, 31). Alors que Luc l’omet. Luc l’omet ici, parce qu’il l’avait déjà transcrit dans sa grande insertion (cf. Lc 13, 30), en conclusion de la parabole sur le maître de maison (notre épisode 137). Tandis que Matthieu grec lui-même réutilisera ce proverbe juste un peu plus loin (cf. Mt 20, 16), en finale de sa parabole sur les ouvriers envoyés à la vigne (épisode suivant : 174), parabole qu’on ne trouve que chez lui. On tient là l’un de ces ipsissima verba typiques de Jésus. Il appartient à la double tradition : Marc et l’évangile araméen.