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Alors on lui présentait jusqu’aux petits enfants pour qu’il les touchât, pour qu’il leur imposât les mains en priant ; ce que voyant, les disciples les rabrouèrent. Ce que voyant, Jésus se fâcha, les appela et leur dit alors : « Laissez venir à moi les petits enfants et ne les empêchez pas de venir à moi. Car c’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume de Dieu, le Royaume des Cieux. En vérité, je vous le dis, quiconque n’accueille pas le Royaume de Dieu en petit enfant n’y entrera pas. » Puis il les embrassa, les bénit en leur imposant les mains et poursuivit sa route. |
La synopsie parfaite, entre Matthieu grec, Marc et Luc, reprend ici, alors qu’elle était interrompue depuis le numéro 96 (avant la grande insertion de Luc). Elle va continuer presque sans interruption jusqu’au numéro 230 (Découverte du tombeau vide), c’est-à-dire jusqu’à la Résurrection du Christ. Et Jean s’y joindra à partir de l’Onction à Béthanie (numéro 201). Ce qui démontre bien, à la fois la synopsie profonde des quatre évangiles canoniques pour le récit de la Semaine Sainte du Christ, et d’autre part combien Marc est le document guide, non seulement pour les deux autres synoptiques, mais encore pour l’ensemble du corpus évangélique canonique.
Il est tout à fait hors de propos, à cet égard, de soutenir, comme le fait volontiers l’exégèse contemporaine, que le récit de la Passion du Christ proviendrait d’un document spécial, rédigé par un auteur inconnu, dont les évangiles canoniques se seraient inspirés. Ce document spécial n’est autre que l’évangile de saint Marc, issu de la prédication de l’apôtre Pierre. On ne doit pas chercher ailleurs.
Il ne fait aucun doute que l’évangile de Marc faisait autorité auprès des autres hagiographes, y compris saint Jean, en raison de sa provenance bien connue. Tout le corpus évangélique en un sens, et surtout le récitatif décrivant les événements capitaux des derniers jours du Christ, repose ainsi sur le témoignage décisif du Prince des Apôtres, saint Pierre lui-même. Jamais les autres évangélistes n’auraient attaché une telle importance à la narration modeste de saint Marc, simpliste même à certains égards, surtout pour le ministère public de Jésus, s’ils ne l’avaient sue provenir de la prédication de l’apôtre Pierre. Certes, ils ont prétendu compléter cette narration de différentes manières. Ils en ont quand même fait, chacun, l’ossature, ou la charpente, de leur propre évangile.
Voilà que Jésus-Christ joue les Jean-Paul II ! Lui aussi bénit sur sa route les petits enfants. Il n’est pas à bord de sa papamobile, il est à pied. « On lui présentait des petits enfants pour qu’il les touchât, mais les disciples les rabrouèrent. » (Mc 10, 13). On ne voit pas très bien s’ils rabrouent les mamans, qui tentent de s’approcher de Jésus, ou bien les enfants eux-mêmes. Il semblerait que ce fussent de petits bébés qu’on tendait à bout de bras, à Jésus, pour qu’il les touchât. Alors ce seraient les mamans qui seraient rabrouées. Mais le Maître se fâche qu’on les rabroue.
Autrefois, le rapport à l’enfance qu’on avait n’était pas le même qu’aujourd’hui. On flatte, on cajole les enfants, on s’extasie devant eux. On n’en fait presque des rois. En ce temps-là, les petits enfants vivaient presque dans un monde séparé, sans grand rapport avec les adultes. Ils étaient confinés dans le gynécée. Jésus change la relation avec l’enfance, comme il a changé le rapport avec les exclus de la vie, les marginaux, les lépreux. Il fait tomber les barrières entre ces mondes qui s’ignoraient. Là encore c’est une révolution silencieuse qu’il opère dans la civilisation humaine. Il met en œuvre, sans le dire, l’égalité. Tout être humain quelle que soit sa condition doit être reconnu comme une personne.
Autrefois les enfants, jusqu’à leur majorité religieuse, étaient considérés comme des serviteurs, des êtres encore inférieurs, auxquels on adressait à peine la parole et que l’on traitait presque comme quantité négligeable, sauf en considérant l’investissement éventuel pour l’avenir. Jésus les élève au rang de membres à part entière de la famille humaine. Il les embrasse comme des amis, comme des frères, comme des égaux. Il discerne en eux une qualité nouvelle, qu’on n’avait pas remarquée jusqu’ici : l’innocence. Les enfants sont tels que sortis des mains du créateur. Ils sont tout neufs. Ils sont sans péché personnel, même si la tare du péché originel les atteint. Ils sont purs et joyeux. Ils accueillent en confiance la parole des adultes, parce qu’ils n’ont pas en eux de malice. Cet esprit d’enfance est nécessaire pour entrer dans le Royaume de Dieu.
C’est pourquoi Jésus les montre en exemple. Il faut être un enfant, ou tout au moins revenir à l’état d’enfance, pour entrer dans le Royaume.
L’âme de Jésus est celle d’un petit enfant. Car il est le Fils éternel, engendré aujourd’hui même. Pour être son disciple, pour lui ressembler, pour l’imiter, il faut comme lui se tenir devant Dieu comme un enfant. Se recevoir tout entier de Dieu.
C’est pourquoi Jésus a voulu que le sacrement d’entrée dans le Royaume de Dieu soit une renaissance.
Luc et Matthieu, dans cet épisode, recopient à peu près la teneur de Marc. Mais bien sûr Matthieu grec, à son habitude, change le Royaume de Dieu en Royaume des Cieux.