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« Si ton frère vient à pécher va le trouver et reprends-le seul à seul ; réprimande-le et, s’il se repent, remets-lui. « Et si sept fois le jour il pèche contre toi et que sept fois il revienne à toi, en disant : ‘Je me repens’, tu lui pardonneras. « S’il t’écoute tu auras gagné ton frère. S’il ne t’écoute pas, prends encore avec toi un ou deux autres, pour que toute l’affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois témoins. Que s’il refuse de les écouter, dis-le à la communauté. Et s’il refuse d’écouter même la communauté, qu’il soit pour toi comme le païen et le publicain. « En vérité, en vérité, je vous le dis : tout ce que vous lierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié, et tout ce que vous délierez sur la terre sera tenu au ciel pour délié. » |
La péricope toute entière de Matthieu grec : 18, 15-35, y compris donc la parabole du débiteur impitoyable, a été transposée ici, et dans l’ordre, dans la grande insertion de Luc, bien qu’elle n’ait avec Luc qu’un seul verset parallèle, le premier : Mt 18, 15.
Ceci en vertu des principes a priori (parfois sensiblement arbitraires) de la synopse :
1) en l’absence de Marc, priorité à l’ordre de Luc.
2) mais en l’absence de parallélisme, conserver les textes en l’état, sans les scinder.
C’est ce qui se passe ici avec la péricope de Matthieu. Sauf le premier verset, elle n’a pas de parallèle.
Pourtant, les versets de Matthieu : 18, 21-22 ressembleront beaucoup au verset 17, 4 de Luc. Mais ils ne lui sont pas superposables dans la synthèse. Nous les laissons donc à leur place, tels quels.
On suppose donc que tout ce matériel est emprunté par Matthieu grec à la source Q, que Luc lui-même n’aurait citée que partiellement.
La susdite péricope de Matthieu grec (Mt 18, 15-35) représente la troisième partie de son discours ecclésiastique, dont la première partie : Mt 18, 1-11 est parallèle avec Marc (et partiellement avec Luc qui suit Marc). Ce furent successivement nos épisodes 96 (Qui est le plus grand ?) et 99 (Le sandale). Tandis que la seconde partie : Mt 18, 12-14 de ce même discours ecclésiastique a déjà été mise en synopse avec la parabole de la brebis égarée, dans la grande insertion de Luc. Ce fut notre épisode 146.
On touche ainsi du doigt comment Matthieu grec a composé son discours ecclésiastique. Il est parti de la matière que lui fournissait Marc (9, 33-37 et à suivre 9, 42-50), puis il l’a étoffé avec des ajouts provenant de la source Q : Luc 15, 3-7 ; Luc 17, 3 et même Luc 17, 4. Il l’a ensuite complété avec des sources propres qui n’ont pas de parallèles dans les autres évangiles, et que nous supposons, par provision, tirées aussi de la source Q, que Luc lui-même n’aurait pas reproduite entièrement.
On lit dans Luc : « Si ton frère vient à pécher, réprimande-le et, s’il se repent, remets-lui. Et si sept fois le jour il pèche contre toi et que sept fois le jour il revienne à toi, en disant : ‘Je me repens’, tu lui pardonneras. » (Lc 17, 3b-4). Il semble que dans Luc on n’envisage qu’une offense entre deux frères, tandis que la communauté n’intervient pas.
La charité chrétienne impose un pardon indéfini et quotidien. Elle implique une attitude qui peut devenir héroïque, surtout si la faute est grave. La jurisprudence (la casuistique, pour employer le mot juste) a toujours considéré que cette maxime ne remettait pas en cause le droit de légitime défense, ni la sauvegarde, par exemple, des personnes dont on a la charge. Elle exige seulement une disposition intérieure à toujours pardonner à son frère, dans l’instant, sans rancune. La récitation quotidienne du Notre Père, par exemple, deviendrait impossible si l’on oubliait ce précepte essentiel de l’amour fraternel.
Dans Matthieu grec (Mt 18, 15-17), qui complète la source Q, il s’agit d’une faute contre Dieu, et qui intéresse la communauté des croyants, l’Eglise. La procédure à suivre est formelle. Le témoin de la faute intervient d’abord seul. « S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère. » (Mt 18, 15). Mais s’il n’écoute pas, il faut prendre avec soi un ou deux autres frères, afin de mettre en œuvre la consigne du Deutéronome : « Que toute affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois témoins. » (Mt 18, 16 ; cf. Dt 19, 15). Deux ou trois personnes incarnent déjà l’Eglise, à titre privé. Ensuite intervient l’ecclésia, la communauté constituée des croyants, l’Eglise avec ses responsables. Enfin, s’il refuse d’écouter même la communauté, qu’il devienne « comme le païen et le publicain » (Mt 18, 17), c’est-à-dire un excommunié, avec lequel on ne garde que les relations inévitables.
Matthieu grec ajoute cette sentence christique, qu’il tient sans doute de bonne part : « En vérité je vous le dis : tout ce que vous lierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié, et tout ce que vous délierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié. » (Mt 18, 18). En effet, dans ce discours ecclésiastique de Matthieu grec (18), Jésus est censé s’adresser à ses disciples juste après la petite anecdote de la redevance au Temple acquittée par Jésus et Pierre (notre épisode 95). Et précisément, ces paroles de Jésus semblent étendre à tous les disciples le privilège qui avait d’abord été concédé au seul Pierre, lors de sa profession de foi (notre épisode 88). Privilège dont nous ne trouvions mention que dans Matthieu grec (16, 19). La communauté en effet, dans ses jugements, même si ce n’est pas en matière de foi, mais seulement en matière prudentielle, décide au nom de Dieu. Et ses décisions sont ratifiées par le ciel. Bien plus, la remise des fautes par l’Eglise, au pécheur qui fait pénitence, deviendra l’objet d’un sacrement institué le jour même de la Résurrection, et presque dans la forme dont on se sert ici : « Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. » (Jn 20, 23).