La théorie des quanta et la rationalité.

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Pour les non scientifiques, qui voudraient se faire une idée claire de la théorie des quanta, laquelle gouverne la physique contemporaine, je leur recommande le petit livre de Valerio Scarani intitulé : Initiation à la physique quantique, Vuibert, 2004.

L’auteur montre bien que si la physique quantique contredit le sens commun, ou même nos préjugés les plus invétérés, elle ne s’écarte pas toutefois des principes rationnels, ce qui serait d’ailleurs impensable. Il faudrait alors la déclarer absurde et impossible, inexistante.

Non. La théorie des quanta contredit seulement l’axiome fondamental de la Relativité, qui est celui-ci : aucune information ne peut être transmise à une vitesse supérieure à celle de la lumière, c’est-à-dire approximativement 300.000 kilomètres à la seconde dans le vide. C’est la raison pour laquelle, Einstein lui-même s’est séparé en 1926 des théoriciens dominants de la physique quantique (Heisenberg, Schrödinger, Bohr, …), car il ne pouvait admettre cette conséquence.

La théorie des quanta contredit le sens commun en ceci que nous avons peine à imaginer une transmission instantanée, c’est-à-dire à une vitesse infinie, ou quasi infinie, entre deux ou plusieurs particules quelle que soit leur distance dans l’espace. Cependant si l’idée heurte le bon sens, elle ne contredit pas la raison. Rappelons-nous seulement que Newton, l’illustre Newton, avait fondé sa théorie de l’attraction universelle sur l’idée d’une transmission à une vitesse infinie du phénomène attractif. Autrement dit, pour lui, à supposer qu’un astre vînt à disparaître subitement dans l’espace, tout le cosmos en serait instantanément informé.

La théorie de la Relativité a fait abandonner cette conception. Nous savons aujourd’hui qu’aucune force, fût-ce la force attractive, aucune énergie, n’agit ou ne se transmet à une vitesse supraluminale. Mais l’idée de Newton n’était pas absurde. La preuve, c’est qu’elle fut admise pendant plusieurs siècles sans qu’on y vît de contradiction. Elle était fausse, mais non pas absurde. La nuance est importante.

Scarani fonde toute la physique quantique sur le principe d’indiscernabilité. Si deux ou plusieurs particules corrélées entre elles (émises par la même source, ou ayant interagi) suivent des chemins indiscernables (indétectables par l’expérience), alors elles se comportent comme des ondes et interfèrent entre elles.

Si au contraire deux ou plusieurs particules corrélées suivent des chemins discernables (repérables par l’expérience), alors elles se comportent comme des corps (ou des projectiles) et se distribuent selon les prévisions de la probabilité (50 pour cent d’un côté, 50 pour cent de l’autre, s’il s’agit à l’arrivée de deux récepteurs distincts), et les interférences disparaissent. 

Pour fixer les idées, nous allons procéder à quatre expériences successives, très simples dans leur principe (même si leur réalisation pratique en laboratoire peut poser des problèmes techniques).

Première expérience.

Un émetteur de particules quantiques (par exemple des neutrons) envoie une à une, et d’une manière aléatoire, sur un séparateur (par exemple un miroir semi-transparent) des particules qui seront détectées, à l’arrivée, dans deux récepteurs distincts, A et B.

Par de surprise à ce niveau-là. Les deux chemins sont bien repérables. Toutes les particules transmises par le séparateur aboutissent au récepteur A, Et toutes les particules réfléchies par le séparateur parviennent dans le récepteur B. Elles se distribuent normalement selon les lois de la probabilité : 50 % dans le récepteur A ; 50 % dans le récepteur B. Exactement comme dans un jeu de pile ou face. Pas d’interférences. Les particules n’ont pas interagi entre elles.

Deuxième expérience.

Le même émetteur de particules envoie une à une des particules sur un premier séparateur. Par deux chemins distincts, exactement égaux, les particules parviennent toutes à un deuxième séparateur qui les ventilent dans deux récepteurs A et B.

On s’attendrait, a priori, à retrouver de nouveau 50 % des particules dans le récepteur A et 50 % dans le récepteur B.

Première surprise : il n’en est pas ainsi. Toutes les particules, arrivées à destination, ont été détectées dans le récepteur A. Aucune dans le récepteur B.

Toutes les particules ont donc été, soit transmises par le premier séparateur et réfléchies par le second , soit réfléchies par le premier séparateur et transmises par le second, pour aboutir au même endroit : le récepteur A.

Le trajet qu’elles ont suivi individuellement est indéterminé. On ne sait pas quel chemin elles ont emprunté. Il s’est produit un phénomène d’interférences. Les particules ont interagi entre elles.

Troisième expérience.

On modifie insensiblement la longueur d’une seule trajectoire (entre les deux séparateurs).

Alors, quelques particules commencent à parvenir dans le récepteur B.

Si l’on modifie ladite trajectoire d’une certaine longueur l, alors toutes les particules parviennent dans le récepteur B, et plus aucune dans le récepteur A. C’est-à-dire que toutes les particules ont été soit transmises par le premier séparateur et de nouveau transmises par le second, soit réfléchies par le premier séparateur et encore réfléchies par le second, pour aboutir au même récepteur : B.

Si l’on modifiait la trajectoire d’une longueur 2 l, alors toutes les particules se retrouveraient de nouveau dans le récepteur A. Plus aucune dans le récepteur B. Et ainsi de suite.

Comment se fait-il que les particules qui devaient emprunter le premier chemin aient été instruites de la modification apportée dans le seul second ? C’est là une énigme qui est au cœur de la physique quantique : aucune théorie, jusqu’ici, n’a réussi à l’expliquer. La plupart des physiciens ont même désespéré d’y parvenir jamais. On s’en accommode. Un point c’est tout.

Quatrième expérience.

Sur l’un des deux trajets (entre les deux séparateurs) on a réussi à placer un détecteur de particules : par exemple un voyant qui s’allume au passage de la particule.

Alors les deux chemins ne sont plus indiscernables. On sait exactement quelle trajectoire a empruntée chacune des particules. Plus aucune interférence ne se produit. Les particules se ventilent de nouveau comme dans la première expérience : 50 % dans le récepteur A, et 50 % dans le récepteur B.

Pourquoi un tel comportement des particules quantiques ? On l’enregistre mais on ne l’explique pas. Il est certain que chacune des particules a réussi à explorer tous les chemins possibles, et qu’elle est avertie instantanément, par un moyen qu’on ignore, de la modification apportée dans l’autre chemin, même après son départ de l’émetteur.

Les expériences entreprises sur les particules couplées : des paires de particules émises dans des directions opposées, ont montré que les particules interagissent à des distances phénoménales (par rapport à la petitesse des particules quantiques) et à des vitesses supraluminales, autant dire infinies.

Les hypothèses les plus hardies ont été élaborées par les théoriciens : celle de l’onde vide, par le prince de Broglie (chaque particule serait accompagnée d’une onde indétectable qui explorerait les autres chemins et l’avertirait instantanément de la modification intervenue), la théorie qui a beaucoup fait parler d’elle, celle des mondes multiples (chacun des couples de particules corrélées évoluerait dans un monde différent, un espace autre que le nôtre, ce qui autoriserait leur liaison à distance).

L’auteur (Scarani) aurait tendance à dire que deux particules corrélées, même à des distances astronomiques, ne sont plus deux entités distinctes, mais bien une seule.

Toutes ces théories (et Scarani le souligne) ont le grave défaut d’être invérifiables, infalsifiables donc, irréfutables par l’expérience. Elles ressortissent plus d’une espèce de « métaphysique » scientifique que de la science positive, ou concrète.

Mais ce « principe d’incertitude » de la physique quantique (selon le mot d’Heisenberg) : on ne sait pas par quel chemin est passée la particule, pas plus que si l’on connaît sa position on ne saurait déterminer exactement sa vitesse, ne contredit pas la raison. Il s’agit seulement d’une ignorance invincible, d’une limite imprescriptible, et même quantifiée.

D’une limite expérimentale, et irrémédiable, mais non pas d’une limite rationnelle.

On ne sait pas quel chemin a pris la particule. Ni elle a emprunté le premier chemin, en ignorant le second. Ni elle a parcouru le second, indépendamment du premier. Donc elle a, d’une manière inconnue, incompréhensible, mais non pas irrationnelle, parcouru les deux chemins à la fois. Violation du principe du tiers exclu ? Ou du principe d’identité dont il est la conséquence ? En aucune manière, car le principe du tiers exclu, ou de non-contradiction, ne vaut que pour les propositions contradictoires, et non pas seulement contraires. Reprenez votre manuel de métaphysique de Foulquié, il vous l’expliquera très bien.

Deux propositions contradictoires diffèrent en qualité (affirmation et négation) et en quantité (universelle et particulière).

‘Tous les hommes sont mortels’ et ‘quelques hommes ne sont pas mortels’ sont bel et bien contradictoires ; l’une est vraie tandis que l’autre est fausse, ou inversement ; proposition tierce absolument exclue.

‘La particule X est passée par le chemin court’ et ‘la même particule X a suivi le chemin long’ sont deux propositions contraires, mais non pas contradictoires. Le principe du tiers exclu ne joue pas. On peut très bien soutenir : par un moyen inconnu, ou même irrémédiablement indiscernable, la particule X a exploré les deux chemins à la fois.

Ou alors il faudrait poser en majeure du syllogisme : une particule ne peut emprunter qu’un seul chemin à la fois. Mais ce principe (ce postulat ?) n’est aucunement démontré. On ne sait même pas ce que c’est qu’une particule : une onde ou un corps ? Ou les deux à la fois ? C’est un fait que les particules quantiques se comportent tantôt comme des ondes tantôt comme des corpuscules. D’où une ambivalence incoercible.