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En ce temps-là, la renommée de Jésus parvint aux oreilles d’Hérode le tétrarque. Le roi Hérode apprit tout ce qui se passait. Il entendit parler de lui, car son nom était devenu célèbre. Et il était fort perplexe car certains disaient : « C’est Jean le Baptiste qui est ressuscité d’entre les morts ; d’où les pouvoirs miraculeux qui se déploient en sa personne. » D’autres disaient : « C’est Elie qui est reparu. » D’autres encore : « C’est un des anciens prophètes, qui est ressuscité. » Hérode, donc, en ayant entendu parler, disait à ses familiers : « Jean ! Je l’ai fait décapiter. Qui est-il celui dont j’entends dire de pareilles choses ? « Cet homme est Jean-Baptiste que j’ai fait décapiter : le voilà ressuscité d’entre les morts, d’où les pouvoirs miraculeux qui se déploient en sa personne. » Et il cherchait à le voir. |
On observe à partir de cet épisode un phénomène bien peu noté par les exégètes. Je ne me souviens pas l’avoir vu mentionné dans aucun commentaire biblique, ni dans aucune annotation de bible. Matthieu grec, que nous avions accusé jusqu’ici d’avoir profondément bouleversé l’ordre de Marc et conséquemment celui de Luc (qui le suit à peu près) dans la première partie de son évangile, à compter de maintenant lui devient extraordinairement fidèle, et ceci jusqu’à la fin authentique de Marc, qui est le verset Mc 16, 8.
Quand nous parlons de la fin authentique de Marc, nous ne voulons pas dire que la finale de cet évangile ne soit pas canonique. Elle est canonique, mais elle n’est pas de la main de Marc.
A vrai dire, le parallélisme strict entre Matthieu grec et Luc avait commencé dès l’épisode 72, la seconde visite à Nazareth. Mais il avait été interrompu aussitôt, à l’épisode suivant, le 73, la Mission des Douze, car Matthieu grec a placé ailleurs, comme nous l’avons expliqué, (avant cette visite à Nazareth), son discours apostolique.
Donc Matthieu grec suit désormais, à quelques ajouts ou omissions près, l’ordre de Marc. Plus même que Luc et ceci est encore très curieux à enregistrer, car Luc, jusqu’ici s’était montré relativement fidèle à Marc. En effet Luc commettra de grandes omissions, en particulier après la première multiplication des pains. Il ne parlera d’ailleurs que d’une seule multiplication des pains. Et il procédera, à partir du verset de Marc 9, 50 à une énorme insertion, dont nous avons déjà parlé, correspondant à Lc 9, 51 – 18, 14, soit plus de huit chapitres, insertion empruntée, on le suppose, majoritairement à la source Q, c’est-à-dire à l’évangile araméen de Matthieu, qu’il ne voulait surtout pas laisser perdre. Cet évangile lui avait été communiqué semble-t-il par le diacre Philippe en personne, lui-même héritier de l’apôtre saint Matthieu. Luc avait séjourné à Césarée maritime dans les années 57-59 de notre ère, quand il accompagnait saint Paul.
A compter de cet épisode, Matthieu grec prend donc le relais de saint Luc pour accompagner fidèlement saint Marc dans son exposé de la vie du Christ, jusque et y compris pour le récit de la Passion. Luc conforte saint Marc, avec les exceptions qu’on a dites. Jean lui-même rejoint épisodiquement la séquence de Marc, par exemple pour la première multiplication des pains, qui sera synoptique pour les quatre évangiles canoniques. Mais surtout à partir de l’onction à Béthanie, pendant la semaine sainte. Désormais, et pour la fin terrestre de Jésus, les quatre évangiles deviendront remarquablement synoptiques.
Cette observation d’ordre général est d’une extrême importance pour notre synopse et synthèse. Elle manifeste non seulement l’application concrète de la Théorie des deux sources, mais encore, si je puis dire, son triomphe exégétique. Elle seule, cette théorie, permet d’analyser profondément, et avec aisance, la structure imbriquée de nos quatre évangiles canoniques. Elle démontre péremptoirement que Marc constitue la colonne vertébrale de tout le corpus évangélique. Les deux autres synoptiques s’organisent autour de lui, et Jean lui-même vient heureusement compléter – et jamais contredire – l’ensemble ainsi constitué.
Matthieu, Marc et Luc nous parlent soudain d’Hérode, resté extraordinairement silencieux pendant tout ce ministère galiléen de Jésus, depuis bientôt un an. C’est que l’apostolat de Jésus s’affirmait purement religieux, mystique, thaumaturgique, humanitaire serait-on presque tenté de dire. Le fait est qu’Hérode n’interviendra pas dans la vie du Christ jusqu’à la Passion. Et encore le fera-t-il à Jérusalem, à son corps défendant, sur mandat du gouverneur, Pilate.
Au début du ministère galiléen de Jésus, lors de notre épisode 43, nous entendions les Pharisiens se concerter avec les partisans d’Hérode en vue de perdre Jésus. Mais il semble que ce fut sans suite. (Cf. Mc 3, 6).
Dans Luc, dans la source Q, mais à une date indéterminée, comme pour tous les épisodes de la source Q, à un moment où Jésus faisait route vers Jérusalem, on entendra quelques Pharisiens lui dirent de s’en aller de là, de la part d’Hérode, et qu’Hérode voulait le faire mourir. Ce qui ressemble fort à une espèce de chantage a dû se dérouler vers la fin du ministère galiléen. (Cf. Lc 13, 31-33 : notre futur épisode 138).
Soudain on entend parler d’Hérode, mais c’est pour apprendre aussitôt que Jean-Baptiste est mort dans un passé indéterminé ! Sans doute en février de l’année 32, alors qu’on approche de la Pâque. On l’ignorait jusque là. Les nouvelles ne volaient pas si vite.
Daniel-Rops situe la mort de Jean-Baptiste en mars 29. Mais comme il a trois ans d’avance sur nous dans sa chronologie, cela correspond à mars 32.
Petitfils fait mourir Jean-Baptiste pour la 34e année d’Hérode, le jour de son dies natalis, l’anniversaire de son avènement. En réalité il faut corriger : ce devait être la 35e année d’Hérode Antipas.
Arthur Loth, au terme d’une longue discussion, admet que la mort de Jean-Baptiste serait à placer fin 31. Cependant, il vaut mieux dire début 32, car on n’apprend cette mort qu’après la tempête apaisée, qui est sans doute survenue dans l’hiver 31-32. Et que la nouvelle n’ait filtré que peu avant la Pâque 32, qui tomba cette année le 14 avril, indique aussi une mort vers février 32.
Hérode nourrissait d’énormes remords au sujet de la mort de Jean-Baptiste qui ne lui fut arrachée que dans un moment d’égarement, pour ne pas dire d’ivresse, comme on le verra dans l’épisode suivant. C’est pourquoi, de sa tombe, Jean-Baptiste protégeait encore Jésus. Hérode se disait : un prophète sur la conscience, c’est déjà beaucoup. Pas deux. Il parlait alors de Jésus avec sympathie. C’est Jean-Baptiste qui est ressuscité, d’où ses grands miracles. Etonnante réflexion quand on songe que jamais aucun miracle ne fut attribué au Baptiste. Visiblement, Hérode était impressionné par les grands miracles de Jésus, qui allait jusqu’à ressusciter des morts, mais aussi par les foules énormes, et pacifiques, qu’il attirait. Hérode n’avait pas de raison politique d’intervenir. Or, le pouvoir politique, autrefois, ne réagissait que quand il se sentait menacé, à tort ou à raison. Le souverain était plutôt un régisseur de domaines, qui ne se mêlait en rien de la vie privée des gens, sauf à leur faire payer des impôts.
Saint Luc (9, 9) précise même qu’Hérode cherchait à voir Jésus. Peut-être le tétrarque souffrait-il de quelque rhumatisme dont il se serait volontiers délivré. Luc, par cette incise (c’est une prolepse), prépare l’épisode de la Passion, qu’il sera seul à raconter, quand Hérode Antipas pourra enfin satisfaire sa curiosité.