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Alors Pilate ordonna de prendre Jésus et de le flageller. Puis les soldats, tressant une couronne avec des épines, la lui mirent sur la tête et ils le revêtirent d’un manteau de couleur pourpre ; s’avançant vers lui, ils disaient : « Salut, roi des Juifs ! » et ils le giflaient. |
On remarque que saint Luc ne parle pas des sévices subis chez Pilate, par le Christ, ni avant le jugement définitif, ni après. Ni de la flagellation ni de la mascarade avec couronnement d’épines, qui a suivi ladite flagellation.
On a mis cela sur le compte de sa grande sensibilité. Quoi qu’il en soit, la tradition synoptique, représentée ici par les seuls Marc et Matthieu, est tout à fait corroborée par Jean qui décrit les premiers sévices, ceux perpétrés le mercredi soir, Mercredi Saint, après le relâchement de Barabbas, et donc avant la dernière audience accordée par Pilate et la condamnation à mort de Jésus, le Jeudi Saint, aux environs de midi (cf. Jn 19, 14). La Théorie des deux sources rend compte ici, exactement, de la situation documentaire, ou textuelle : le témoignage original de saint Marc, s’il est omis par saint Luc pour cette péripétie dramatique, est certifié, et à cette place, aussi bien par Matthieu grec (le diacre Philippe) que par saint Jean.
Marc et Matthieu nous décrivent seulement d’un tiers de verset ces sévices, antérieurs à la condamnation définitive de Jésus. « Et, après avoir fait flageller Jésus » dit Marc (15, 15b). Et Matthieu grec : « Quant à Jésus, après l’avoir fait flageller. » (Mt 27, 26b).
Mais Jean nous les raconte sobrement, en trois versets : Jn 19, 1-3. Il confirme la flagellation, et il signale la mascarade du mercredi soir, avant le jugement définitif. Matthieu et Marc reportent la mascarade après le jugement définitif, donc au jeudi soir. Mais il est probable qu’elle a effectivement duré deux soirs et deux nuits entières, pendant lesquels Jésus a été livré au bon plaisir de la soldatesque romaine, dans le prétoire de Pilate. Le récit télescopé des évangiles, quoique exact à la lettre près, ne permet guère de s’en rendre compte, mais la synopse aussi bien que la concordance des évangiles, confirmées par la vraisemblance historique, l’imposent. Ne pas l’admettre, c’est tomber dans un imbroglio inextricable, dans une série de contradictions.
La flagellation romaine devait être infligée à tout condamné à la crucifixion, en public, et devant le tribunal même, nous apprend Josèphe (Guerre des Juifs, II, 14, 9 et V, 11, 1). Jésus n’était pas encore tout à fait condamné à mort, puisqu’il ne le sera que demain vers midi. Et cependant Pilate lui inflige ce supplice. Il tient la promesse qu’il avait faite par deux fois, quand il espérait encore le faire libérer : « Je le relâcherai donc, après l’avoir châtié. » (Lc 23, 16.22). En agissant ainsi contre l’équité, et contre la loi, il est probable que Pilate espérait apitoyer les juifs le lendemain, quand il leur présenterait Jésus tout couvert de blessures. C’est dans la même arrière-pensée qu’il le livrera à la garnison romaine, pour qu’elle le bafoue et en fasse un roi de carnaval.
Pilate avait sans doute donné l’ordre au licteur de flageller Jésus jusqu’à la limite de la résistance humaine, mais sans toutefois la franchir. Il tenait à garder Jésus vivant, au moins jusqu’au lendemain. Tout cela était providentiel.
Pour la flagellation, les romains utilisaient soit le fouet à lanières simples (flagellum), soit le fouet à lanières munies de pointes, ou d’ossements, ou de balles de plomb (flagrum). Selon le linceul de Turin, Jésus aurait reçu au moins 120 coups de fouet, avec un flagrum à deux lanières, armées de billes, assemblées en haltère.
Puis Jésus, avec la complicité de Pilate, devint le jouet de la garnison romaine. Ils pouvaient se moquer impunément, d’un roi, d’un juif, et même du Roi des Juifs. Il est probable que la mascarade se tint dans la cour intérieure du palais d’Hérode, à la vive lumière, après la tombée de la nuit, des lanternes, ou torches, ou autres lampions : les mêmes qu’on a déjà vus à Gethsémani (cf. Jn 18, 3). De ses appartements privés, à l’étage, Pilate, avec ses invités d’honneur, pouvait suivre le spectacle, en se penchant, une coupe à la main, sur la balustrade, entre deux services d’un repas copieux. Privilège d’esthète. En même temps, il donnait discrètement des ordres pour qu’on n’achevât pas le prisonnier. Tout devait rester sous contrôle.
La garnison romaine, à Jérusalem, était de l’ordre de six cents hommes, nous dit Petitfils (page 327), stationnée principalement dans la forteresse Antonia, ou dans le palais d’Hérode. Elle était renforcée par la garde prétorienne, quand le procurateur montait lui-même à Jérusalem. Dans l’immense palais d’Hérode, dont Flavius Josèphe nous a décrit les splendeurs, peut-être résidaient-ils plusieurs centaines d’hommes. Ce sont eux qui s’emparent de Jésus pour se distraire, avec l’aval du gouverneur. Une aubaine ! C’est le carnaval du Roi des Juifs qu’ils organisent, avec vêtement de pourpre, selon Jean, et couronnement solennel, avec des épines. Tout le monde vient se prosterner devant lui, pour lui rendre hommage. En même temps, on le soufflète et on l’insulte. On enfonce la couronne d’épines, à coups de bâton. Jésus, lui, ne dit rien.
A la fin de cette longue séance de dérision, sans doute Jésus a-t-il été traîné, tout pantelant, dans un cachot jusqu’au lendemain matin où il devait comparaître une dernière fois. Pour lui, pas question de dormir, car il était en proie aux horribles souffrances, dues à la flagellation. Peut-être, pour empêcher qu’il ne meure prématurément, a-t-on pris soin de le désaltérer ?
Extraordinaire journée que ce Mercredi Saint, 1er avril, quand on jette un coup d’œil en arrière. Que de péripéties ! Que de rebondissements ! Elle s’est déroulée pour nous comme un film au ralenti. Quatorze épisodes, au total, si l’on compte l’agonie de Jésus au jardin des Oliviers, qui, effectivement, a dû prendre place autour de minuit. Par comparaison, la journée du lendemain Jeudi Saint, beaucoup plus calme, ne comportera que deux épisodes : la condamnation à mort de Jésus, et la suite des sévices, chez Pilate, après la condamnation.